Depuis la Belgique Laurent Gbagbo pleure Bernard Binlin Dadié, le redoutable écrivain « incorruptible ».

A toi, mon très cher doyen
Très peu de personnes ont accès à la plénitude de la bénédiction divine. Celle-ci ne s’ouvre qu’aux hommes et aux femmes qui ont quelque chose de particulier à apporter à l’humanité pour son progrès vers la perfection. Ils deviennent patrimoine commun de l’humanité et leurs âmes entrent, de ce fait, dans l’infinitude qui leur confère l’éternité.

A la lumière de ton œuvre, à la fois immense et multidimensionnelle, mon très cher Bernard Dadié, tu as accédé au statut de ces hommes d’exception. Homme aux multiples talents et aux convictions incorruptibles, tu as tout donné à ta patrie et à ton continent afin de les sortir des chaines de la domination infâme. Tu as mené ce combat sur tous les fronts, notamment ceux des belles lettres et de la politique. Les nombreux prix qui t’ont été décernés au niveau mondial, pour récompenser la qualité de tes œuvres littéraires, témoignent pour toi dans la chaine des générations.

Or la qualité de tes œuvres litttéraires exprime l’intégrité de ton engagement politique construit sur le socle inébranlable de ta soif pour la liberté. Au nom de la liberté, en tant que valeur universelle à tous les peuples, tu t’es engagé dans la lutte pour la naissance de notre nation dès ton jeune âge. De 1944, année de formation des premiers instruments de lutte politique pour la libération des peuples africains jusqu’à ce jour fatidique du 9 mars 2019, tu as fait don, sans discontinuité, de 75 années de ta vie aux peuples opprimés au nom de ton idéal de liberté.

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Toute la nation ivoirienne et toute l’Afrique te restent indéfiniment redevables pour ce sacrifice incommensurable. A titre personnel, je te sais infiniment gré de l’amitié dont tu m’as honoré et qui s’est exprimée par ton soutien à mon endroit quand, à peine parvenu au pouvoir, après des décennies de lutte pacifique, des forces réactionnaires et violentes se sont liguées contre moi et mon gouvernement pour barrer notre chemin vers la liberté de nos peuples.

En effet, il ne t’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que lesdites forces sont les mêmes que toi et tous nos illustres devanciers, aviez combattues naguère. Les protagonistes ont changé mais le combat reste le même. Tu as ainsi fait fi de ton âge qui te donnait le droit d’une retraite bien méritée, et tu t’es investi entièrement dans ce combat. Malgré la fatigue et la maladie, à 103 ans, tu as gardé cette posture du combat jusqu’à ce que ton dernier souffle te soit retiré.

Au moment où tu entres dans le repos éternel, je voudrais t’assurer, très cher doyen, de ce que je tiens fermement le flambeau que tu m’as donné en octobre 2010 comme le serment de la poursuite inlassable de notre quête de liberté et de l’incorruptibilité de nos convictions. Je sais à quel point mon sort te préoccupait et, par-dessus tout, je connais le prix que tu accordais au succès de notre lutte.

C’est pourquoi, bien qu’ébranlé par ta disparition, qui arrive quelques mois seulement après celle de Sangaré Aboudramane, je reste déterminé à demeurer fidèle à l’idéal de notre combat politique. Tu peux donc te reposer et jouir de la plénitude de la félicité éternelle que Dieu offre aux âmes de bonne volonté.
Adieu Bernard B. Dadié. Adieu cher doyen et infiniment merci pour tout.
Laurent GBAGBO