Colonisation/L’Afrique nourrit les autres: « le grabbing des terres »

 « Le grand succès des ennemis de l’Afrique, c’est d’avoir corrompu les Africains eux-mêmes. » Frantz Fanon

L’un des grands malheurs de l’Afrique outre la famine endémique due notamment à une histoire coloniale mais pas seulement mais aussi à des dirigeants qui perpétuent l’ordre colonial à leur profit, tout en prenant la précaution d’être adoubés par leurs anciens maîtres, est une nouvelle forme d’asservissement à distance où l’Africain travaille pour d’autres mais est incapable de subvenir à ses besoins. Serait- ce que parce qu’il n’est pas encore « entré dans l’histoire » où est-ce un atavisme, voire une malédiction? On connait déjà le pillage des matières premières du sol et du sous-sol de l’Afrique notamment l’énergie et les métaux rares comme le coltran que l’on utilise dans les technologies de la communication (ordinateur, téléphones mobiles…). Ce coltran est revendu cent fois son prix par des intermédiaires sans loi ni foi à des multinationales occidentales très discrètes sur cette nouvelle traite autrement plus abjecte que la traite historique de ces mêmes civilisateurs en terre de conquête et d’évangélisation de ces peuplades barbares qui devaient obligatoirement touchés par l’Evangile au nom de la « règle des trois C ». Christianisation, Commerce, Colonisation.
Nous allons dans cette contribution parler d’une nouvelle colonisation , véritable post-colonialisme qui perpétue l’exploitation « consentante » de l’indigène par des allogènes venus tirer le meilleur profit de la terre africaine pour nourrir les nouveaux colons à distance.
L’accaparement des terres agricoles en Afrique par des Etats étrangers et des multinationales a été plusieurs fois dénoncé, notamment en février 2011 à Dakar, à l’occasion du Forum social mondial, par l’ONG Actionaid.

 L’accaparement des terres, un phénomène ancien qui s’accélère
L’acquisition de terres n’est pas un phénomène nouveau, mais il a pris de l’ampleur avec l’arrivée de la crise alimentaire de 2008. Il a précisé que les investisseurs, qui se ruent sur ces terres arables, ont en ligne de mire des plus-values sur la vente de produits et denrées alimentaires. A titre d’exemples, on cite le cas d’un Américain qui, à lui tout seul, a acquis un million d’ha au Soudan, ou des entreprises productrices de biocarburants qui ont acheté de grandes superficies de terres pour y cultiver du jatropha. De même, dix millions d’hectares de terres agricoles ont été offertes à des agriculteurs sud-africains pour y cultiver du maïs et du soja et y élever de la volaille et des vaches laitières, a annoncé en avril 2009.
Si on se réfère à la définition, l’expression «accaparement des terres» vient de l’anglais land grabbing (to grab, «saisir», «empoigner»). Elle désigne la vente, la location ou la cession de terres arables à grande échelle, en général plusieurs milliers d’hectares, entre un État et un investisseur local ou étranger, public ou privé. (…) La société américaine United Fruit Company possédait autrefois près du quart des terres cultivables du Honduras (d’où l’expression «république bananière»). Les pays concernés sont en général des pays en développement ou émergents, disposant de grandes superficies de terres cultivables considérées comme «disponibles» et peu chères et offrant des avantages comparatifs en matière de production agricole: climat favorable, main-d’œuvre peu coûteuse. D’après le projet Land Matrix qui rassemble cinq partenaires, dont le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), 83,2 millions d’hectares font ou ont fait l’objet de transactions internationales à des fins agricoles entre 2000 et 2010. Cela représente 1,7% de la surface agricole utilisable dans le monde. Le nombre de contrats signés et recensés s’élève à 403, pour une superficie totale de 26,2 millions d’hectares.

 La situation actuelle

Le Fonds des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) livrait, le 8 octobre, un bilan en demi-teinte de la faim dans le monde. S’élevant actuellement à 870 millions, le nombre de personnes affamées continue de reculer, certes, mais très faiblement par rapport au début des années 2000. Si l’on en croit le sondage annuel CSA-CCFD-Terre solidaire publié à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation le 16 octobre. 56% des Français (et 73% des 65 ans et plus) estiment que la situation de la faim dans le monde se dégrade Ces cinq dernières années sont marquées par des émeutes de la faim (2008), deux crises alimentaires au Sahel (2010 et 2012) et une famine en Somalie. Les Français interrogés pointent du doigt plusieurs causes de la faim. S’ils insistent sur les aléas climatiques (35%) et la spéculation des marchés financiers sur les matières premières agricoles (34%), ils mettent d’abord en avant la corruption des gouvernements locaux (39%). Les Français citent aussi l’accaparement des terres parmi les causes de la faim (22%).
Des mesures urgentes sont donc nécessaires pour désamorcer la menace d’une nouvelle vague d’accaparements de terres, explique l’ONG, qui fait appel à la Banque mondiale, déjà sollicitée ces dernières années par plusieurs coalitions pour son rôle dans le processus d’acquisition des terres. L’institution financière a en effet «le pouvoir d’appliquer, au moins temporairement, un gel de ses investissements dans des terres agricoles», estime Oxfam, «le temps de revoir ses politiques en la matière dans les pays en développement, d’œuvrer à la définition de normes pour les investisseurs et de mettre en place des mesures plus rigoureuses pour prévenir l’accaparement des terres».
Par son rôle d’investisseur foncier et, en même temps, de conseiller auprès des pays en développement, la Banque mondiale occupe une position stratégique. Or, «il ressort d’une de ses propres études que les pays enregistrant le plus de transactions foncières à grande échelle sont ceux où la protection des droits fonciers est la plus faible», souligne le rapport. Depuis 2008, 21 plaintes ont été officiellement déposées par des communautés estimant que des projets de la Banque mondiale violaient leurs droits fonciers. Oxfam espère voir des avancées à la prochaine assemblée annuelle de la Banque mondiale, qui se déroulera à Tokyo du 12 au 14 octobre, et l’enjoint à «envoyer aux investisseurs du monde entier un signal fort» pour «mettre fin à l’accaparement des terres et améliorer les normes» notamment en matière de transparence.

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 L’influence des grandes sociétés de négoce sur le système alimentaire mondial
Avant la crise alimentaire de 2008, l’expansion annuelle des terres agricoles dans le monde était de 4 millions d’hectares par an. En 2009, ce ne sont pas moins de 50 millions d’hectares de terres arables qui ont été cédés dans le monde Cette surface équivaut quasiment à l’intégralité du territoire français L’extraordinaire ruée vers les terres africaines a été accélérée par la crise alimentaire de 2008, le développement des agro-carburants, la pression de certaines institutions internationales sur les Etats, la compétition des pays en développement pour attirer les investisseurs. Mais aussi par l’étendue des terres «non utilisées» dans le Sud et la disponibilité de la main- d’oeuvre. «Deux objectifs motivent les acteurs. Il y a la sécurité alimentaire, préoccupation de la Chine, de l’Inde, du Japon, de la Malaisie, de la Corée du Sud et du Japon. (…) L’autre objectif, partagé par les acteurs de la finance, consiste à voir ces terres comme des placements rentables. C’est le cas des sociétés d’investissements, des fonds de pension qui gèrent les retraites des salariés ainsi que des fonds de capital investissement à la recherche de rotation rapide de leurs capitaux. Bien évidemment, les hedge fund ont pris position sur le filon. 70% des achats sont en Afrique ».

 Les « majors » qui affament le monde
Justement, parmi les acteurs influents mais peu connus du système alimentaire mondial, les quatre leaders du négoce. Ils font l’objet d’un rapport détaillé commandé par Oxfam. Selon l’ONG, des multinationales comme Cargill ou Louis Dreyfus participent pleinement à la volatilité des prix agricoles et à l’accaparement des terres. De «Occuper le système alimentaire!» pour l’Observatoire du droit à l’alimentation à «Cultivons» pour «réparer le système alimentaire mondial» pour Oxfam, les mobilisations internationales pour dénoncer la mainmise de l’agro-industrie et de la finance sur l’agriculture se multiplient. Mais si Monsanto, Nestlé ou Walmart sont largement épinglés, les principales sociétés de négoce en matières premières agricoles restent méconnues. (…) » (4)
« Les quatre plus grosses sociétés, Archer Daniels Midland (ADM), Bunge, Cargill et Louis Dreyfus, se partagent à elles seules 90% du marché des céréales. Les ABCD, dénommées ainsi selon l’acronyme de leurs initiales, dominent donc largement le marché mondial des matières premières agricoles. Elles interviennent également à toutes les étapes de la chaîne agricole industrielle, à la fois comme fournisseurs de semences, d’engrais et de produits phytosanitaires, mais aussi comme propriétaires terriens, financeurs, transporteurs… (…) Cargill a par exemple acquis des grandes plantations de palme en Indonésie. (…) Les auteurs du rapport ont cependant eu du mal à quantifier les volumes de terres concernées, face à la diversité des stratégies foncières: propriétés, concessions, acquisitions de compagnies locales… Avec la raréfaction de l’eau et du sol, le contrôle foncier devient aussi une stratégie d’investissement financier. L’augmentation concomitante des profits des ABCD avec la dérégulation financière entamée dans les années 2000 aux États-Unis montre en tout cas qu’elles ont largement profité de la financiarisation des marchés. (5)
Il ne faut pas croire que le phénlomène de « grapping » ne touche que l’Afrique. Il en est de même des autres continents, les gouvernements bradent à tour de bras. C’est le cas de la Colombie où dit-on l’Orénoque est à vendre. «Le président colombien Juan Manuel Santos l’avait dit lors de son discours d’investiture en 2010: la Colombie a suffisamment d’eau et de terres pour devenir le nouveau grenier de l’Amérique. Il a bien l’intention de le prouver.» Pour la politologue colombienne Paula Alvarez, Bogota ne veut rien de moins que mettre en vente son «Far East», une énorme portion de terre qui commence aux portes de la capitale, pour descendre en pente douce vers l’est et le sud jusqu’aux bassins de l’Amazone et du légendaire Orénoque. Cet eldorado de près de 7 millions d’hectares est convoité par des banquiers locaux et des investisseurs chinois, brésiliens, argentins, indiens et israéliens qui comptent y planter maïs, soja, pins et palme africaine. (…) En Colombie, 500.000 hectares de terres agricoles appartiendraient à des étrangers. Une part des terrains cultivables qui reste raisonnable, au regard de celle qu’ont cédée ses voisins: 4,5 millions d’hectares au Brésil, 13 millions au Paraguay » (5).
Enfin, il faut signaler que le marché noir du bois lié à l’exploitation ou au blanchiment du bois illégal explose selon un rapport publié par le Pnue et Interpol. L’Amazonie, l’Indonésie et le bassin du Congo sont devenus les plaques tournantes de ce qui ressemble de plus en plus à du crime organisé autour du carbone vert, avec des méthodes élaborées Un marché noir en constante hausse dont la valeur actuelle serait comprise entre 30 et 100 milliards de dollars par an. Le rapport dresse un tableau extrêmement préoccupant de la situation.

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 Quelle alimentation en 2050?
La Journée mondiale de l’alimentation est l’occasion de se poser des questions. Jean-Louis Rastoin, directeur de la chaire Unesco en alimentations dans le monde de Montpellier SupAgro, a d’abord dressé un bilan désastreux de la situation actuelle, avant de se montrer plus optimiste sur notre avenir… si d’importants changements sont opérés par les acteurs des filières agroalimentaires, les politiques et bien sûr, les consommateurs. Pendant que les Africains luttent pour survivre dans les labos de recherche européens on pense à la nourriture de 2050 et là, l’imagination est débordante.
«D’ici 2050, lit-on, la Terre devrait abriter plus de 9 milliards d’habitants… qu’il faudra nourrir. Les arguments avancés sont alors variés et divers, mais il y a en a un qui revient régulièrement: l’agriculture ne suivra pas! (…) Certains voudraient s’affranchir des élevages en produisant de la viande in vitro. D’autres envisagent plutôt de construire des fermes verticales à la périphérie des villes car les surfaces agricoles pourraient manquer. Enfin, un grand nombre de spécialistes sont plus pragmatiques et estiment simplement qu’il suffirait d’améliorer nos modes de production agricole, tout en développant de nouveaux modèles agro-économiques. De nombreuses pratiques agroalimentaires devront changer si l’on souhaite nourrir sainement toute la population mondiale d’ici 2050.
Dans le même ordre, la financiarisation de la biodiversité risque de tomber dans les rets des groupes et hyènes de toutes sortes. Le 17 octobre une réunion eut lieu à Hyderabad en Inde pour la 11ème Conférence des Parties de la convention de l’ONU sur la biodiversité (…) Selon les documents préparatoires, lit-on dans une contribution du site Attac, la protection de la biodiversité nécessiterait des «instruments financiers innovants».(…) La biodiversité est ainsi livrée à la finance privée au mépris de la complexité, de l’unicité et de l’incommensurabilité des écosystèmes, au détriment des droits des populations locales et au seul profit de quelques entreprises qui pourront continuer à polluer, détruire et spolier la biodiversité.

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Et en Algérie où en sommes-nous?
Chacun a en tête l’âge d’or du Service national- outre le fait que c’était un formidable et irremplaçable creuset du vivre- ensemble pour constituer une nation- qui donnait aussi un sens à la construction du pays. C’était la construction des mille villages, c’était la Transsaharienne, c’était le Barrage vert, c’était l’indépendance énergétique par la prise en charge de l’industrie pétrolière et gazière après la tentative d’asphyxie des compagnies étrangères. Que reste-t-il de tout cela?
En 2012 l’Algérie importe pour sa nourriture pour 8 milliards de dollars (les trois quarts de notre nourriture proviennent de l’étranger) grâce aux dollars de la rente. Une autre donnée, l’Algérie perd chaque année des milliers d’hectares du fait de l’avancée du désert. Le Sahara est capable de nourrir 100 millions d’Algériens pour peu que le peuple se mette au travail. Chacun a en tête l’exemple de la ferme de 1000 hectares de Gassi Touil qui donnait du blé avec de bons rendements. Elle fut abandonnée. On parle de 28.000 ha à développer? On pense que 100 000 hectares sont irrigables et peuvent produire.
C’est dire que nous ne sommes pas persévérants et rétifs à tout effort! Imaginons un service national new-look qui s’occupe des grands travaux qui donnera du grain à moudre aux milliers d’ingénieurs, de techniciens, de jeunes qui ne demandent qu’à donner la pleine mesure de leur talent. Ces grands travaux, outre le fait qu’ils vont contribuer au vivre ensemble des Algériens des quatre coins du pays, permettront à l’Algérie de sortir de l’ornière du sous-développement. Les perspectives ne doivent pas s’arrêter au social qui est un tonneau des Danaïdes. Nous donnons de mauvaises habitudes aux jeunes car ils ont la conviction que tout leur est dû sans effort. Pour que cela réussisse, il faut un engagement sur une génération, par sur deux ans. On l’aura compris, les concepteurs et les chefs d’orchestre doivent donner l’exemple pour qu’ils soient suivis.

 Chems Eddine Chitour
Professeur Émérite
Ecole Polytechnique Alger Enp-Edu.Dz