France-Edouard Philippe/Le premier ministre et son gouvernement veulent accélérer les mesures qui permettent de distribuer du pouvoir d’achat

L’objectif de l’actuelle équipe gouvernementale du président Emmanuel Macron est de continuer à transformer, à moderniser le pays, à répondre à des questions qui sont posées depuis trop longtemps. Edouard-Philippe, le premier ministre donne des éléments de réponses et  fait  ici des précisions suite à la crise  que vit la France depuis plus d’une semaine, créée par les « gilets jaunes ». 

Ceux qui disent que le quinquennat est terminé se trompent-ils  ?

Peut-être le souhaitent-ils et sans doute auraient-ils souhaité qu’il ne commence jamais. Mon objectif est qu’il continue, que nous allions vite et loin. Je crois que la mobilisation des gilets jaunes ne traduit pas une aspiration pour le statu-quo, au contraire. La mobilisation de samedi dernier a été plus faible et plus calme. J’y vois l’effet des propositions formulées par le président de la République, à la fois sur les mesures et la volonté de lancer un grand débat national. On a aussi constaté que la motivation d’une partie de ceux qui avaient enfilé un gilet jaune allait encore au-delà de l’expression de revendications sociales. Beaucoup de Français et de gilets jaunes ont été choqués par certains modes d’actions, la violence, la radicalité. Je constate enfin que quand le président de la République et moi-même avons réuni les forces politiques, syndicales et les associations d’élus pour appeler au calme, le message a été relayé. Il faut saluer ce sens des responsabilités de tous. J’ai constaté que certains responsables politiques, après avoir soutenu les gilets jaunes, et parfois en avoir porté, l’avaient finalement oublié et appelé au calme en constatant les débordements. Chacun a pris ses responsabilités, tant mieux.

Dans quelle mesure avez-vous été pris de court par cette crise ?

Dès l’élection du président de la République, voire même avant, nous savions que la colère était là. La majorité actuelle est dépositaire de cette envie de changement pour que chacun puisse choisir sa vie et vivre de son travail. Je me souviens avoir prononcé en juillet dernier un discours exclusivement axé sur la colère. Certains en ont été surpris alors que nous étions en pleine euphorie de la Coupe du Monde. Cela dit, il était difficile de prévoir que la colère des Gilets Jaunes s’exprimerait de cette façon et à ce moment précis. Nous avons reçu le message des Français : ils veulent que nous allions plus vite sur le pouvoir d’achat tout en les associant davantage à la décision.

Vous récusez l’expression de tournant social ?

Il n’y a pas de tournant. Il y a un changement de méthode. L’objectif reste de créer plus de richesse, de réduire le coût du travail, d’être plus compétitifs, de tenir nos comptes publics. Nous allons accélérer les mesures qui permettent de distribuer du pouvoir d’achat tout en conservant celles qui améliorent la compétitivité des entreprises. C’est la raison pour laquelle nous ne revenons pas sur la bascule du CICE en baisse de charges en dépit de son coût exceptionnel en 2019. Baisser le coût du travail tout en augmentant le pouvoir d’achat est indispensable pour notre pays.

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Pourtant, vous reportez des baisses d’impôts promises aux entreprises pour financer celles des ménages…

Nous voulons faire en sorte que le travail paie et nous baissons les impôts pour tout le monde, les ménages, comme pour les entreprises et les investisseurs. Pour les salariés, la prime exceptionnelle va bien plus loin que ce qui a été fait par le passé. Elle sera totalement défiscalisée (impôts, charges sociales, CSG-CRDS), jusqu’à un montant de 1.000 euros, pour les salariés qui gagnent moins de trois fois le SMIC. Cette prime pourra être versée librement par l’entreprise, dans des conditions simples et lisibles. J’ai déjà vu beaucoup d’entreprises dire se saisir de cette opportunité, et pas uniquement des grands groupes comme Total ou Orange.

Combien rapporteront pour les salariés les heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées ?

Nous avons fait le choix d’une défiscalisation, en plus d’une suppression de cotisations, pour que l’impact sur le pouvoir d’achat des salariés soit maximal. Le gain s’élèvera à 400 euros par an en moyenne.

Qu’en est-il de la hausse du smic de 100 euros ?

L’engagement du président passera par une hausse massive de la prime d’activité. Cela permet d’aller vite : dès le 5 février, la prime sera versée pour compléter le salaire de janvier et atteindre ainsi la hausse de 100 euros. Elle permet de tenir compte des éléments de justice sociale, et notamment de l’ensemble des revenus du foyer. Nous avons préféré cette solution à une baisse des cotisations salariales, qui était plus injuste et qui, à ce titre, a déjà été censurée par le conseil constitutionnel. C’est la proposition du gouvernement mais nous en débattrons naturellement au Parlement. A terme, il faut aussi travailler pour rendre cette prime d’activité plus lisible et plus automatique.

Quelles seront les conséquences pour les salariés concernés ?

Nous allons élargir le nombre de foyers éligibles, qui passera de 3,8 millions à 5 millions. Car cette réforme va bien au-delà des personnes qui sont juste au SMIC : tous les salariés célibataires sans enfant auront 100 euros de plus jusqu’à 1.560 euros net de revenus. Avec un enfant, une mère célibataire, et elles sont nombreuses sur les ronds-points, pourra percevoir la prime jusqu’à 2.000 euros de salaire. Un couple de deux enfants, dont l’un gagne le smic et l’autre 1.750 euros, verra ses revenus augmenter de 200 euros. Par ailleurs, utiliser la prime d’activité permet aussi d’inclure les indépendants et les fonctionnaires dont les rémunérations sont proches du smic.

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Tous les salariés au smic ne seront donc pas concernés ?

Cela peut paraître étonnant, mais 1,2 million de salariés autour du Smic se trouvent dans les 30 % des foyers Français les plus aisés. Notre objectif est d’accroître le pouvoir d’achat des foyers de la classe moyenne, c’est ce qu’ont demandé les « gilets jaunes » et dans ce contexte prendre en compte l’ensemble des revenus ne me paraît pas scandaleux. C’est même un sujet de justice sociale.

Combien de retraités vont bénéficier de la mesure sur le taux de CSG annoncée par Emmanuel Macron ?

Nous prenons là aussi en compte une demande légitime de justice sociale. Nous avions un dispositif dans lequel 60 % des retraités étaient touchés par l’augmentation de CSG. Nous revenons sur cette situation et nous allons faire en sorte que seuls 30 % des retraités soient concernés par cette augmentation qui, je le répète, finance la baisse de cotisations et donc le pouvoir d’achat des salariés.

Sur le pouvoir d’achat, n’avez-vous pas eu la tentation d’augmenter le SMIC ce qui aurait été bien plus simple ?

Augmenter le SMIC, et l’augmenter massivement, c’était faire porter sur les entreprises le coût de cette mesure ce qui aurait conduit à une hausse significative du coût du travail défavorable à l’emploi. Nous aurions été en contradiction avec nos engagements en faveur de la compétitivité.

Quelle sera la facture pour les finances publiques de cet ensemble de mesures ?

Les mesures annoncées par le président vont coûter de l’ordre de 10 milliards d’euros. Nous avions annoncé pour 2019 un déficit de 2,8 %, en réalité, plutôt de 1,9 % du PIB si l’on soustrait le coût exceptionnel de la transformation du CICE en baisse de charges. Notre objectif est de tenir au maximum nos engagements.

Nous devrons trouver d’1 à 1,5 milliard d’euros d’économies

Nous assumons une légère augmentation du déficit du fait de l’accélération de la baisse des impôts. Mais nous faisons attention aux comptes publics, et nous prenons une série de mesures, sur les entreprises et sur les dépenses, de l’ordre de 4 milliards. Cela devrait permettre de contenir le déficit à environ 3,2 % pour 2019.

Comment parvenez-vous à réduire la facture laissée par la crise des « gilets jaunes » ?

Nous le faisons d’abord par des recettes supplémentaires. Nous avons pris l’engagement d’une diminution progressive du taux de l’impôt sur les sociétés pour atteindre le niveau de 25 % en 2022. En 2019, le taux devait passer de 33 % à 31 %. Cette baisse ne concernera finalement que les entreprises ayant moins de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires. La mesure étant décalée d’un an pour les autres. Nous demandons donc un effort aux plus grandes entreprises pour nous permettre de dégager une recette supplémentaire de l’ordre de 1,8 milliard d’euros.

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Y a-t-il d’autres mesures ciblant les entreprises ?

Nous allons mettre en place une taxe sur les Gafa dès 2019 à l’instar de certains de nos partenaires dans l’attente de la taxe européenne qui a fait l’objet d’un accord récent. Il est profondément injuste que la fiscalité de ces groupes ne soit pas en ligne avec celle des autres entreprises. Cela devrait permettre de générer 500 millions d’euros de recettes, et ce niveau peut être atteint dès l’an prochain. Enfin nous allons revoir ce qu’on appelle la « niche Copé » sur les opérations intra-groupe des entreprises, qui rapportera de l’ordre de 200 millions d’euros.

L’Etat va-t-il aussi devoir se serrer la ceinture ?

Nous allons engager avec les parlementaires au cours de l’année 2019 un exercice de maîtrise de la dépense. Dans le cadre de l’exécution du budget 2019, nous devrons trouver d’1 à 1,5 milliard d’euros d’économies. Là aussi, c’est un travail que nous devons mener avec le Parlement.

Que répondez-vous à la presse allemande, qui dit que Macron a transformé la France en une nouvelle Italie ?

Notre situation est bien différente de celle qui prévaut en Italie. La cohérence de notre projet est quand même assez éloignée des idées avancées par les différentes parties du gouvernement italien. Nous allons continuer à moderniser le pays avec des réformes aussi importantes que l’assurance chômage, la fonction publique et les retraites.

Emmanuel Macron a évoqué la taxation des revenus des dirigeants du CAC40, qui doivent être domiciliés en France. A quoi pensez-vous ?

Quand on préside une entreprise importante qui a son siège social en France, on doit payer ses impôts en France. Cela ne fait aucun doute. Ce ne sera pas dans le projet de loi d’urgence qui sera examiné cette semaine mais le Parlement se saisira de ce sujet très rapidement.

Vous vous inquiétez souvent de l’évolution de la dette. Avec la hausse du déficit, faut-il s’attendre à voir celle-ci passer le seuil des 100 % du PIB en 2019 ?

Notre objectif est de faire baisser la dette d’ici la fin du quinquennat. C’est un horizon qui reste pour moi indispensable. Je trouve fascinant de voir tant de gens s’inquiéter du seuil symbolique des 100 %, mais qui pendant des années ne se sont pas préoccupés de la dette de la SNCF en faisant mine de croire qu’elle n’était pas une dette de l’Etat. Nous avons choisi de traiter la question de la dette de la SNCF en prenant les choses en main et en les assumant, j’accepte les risques que cela implique.

 Source : leschos.fr