Implications techniques de la décision du 4 juin 2018 : Confirmation d’un verdict anticipé (par Roger Dakouri Diaz )

Une importante décision a été rendue, hier, 4 juin 2018, par les juges de la Chambre de première instance de la Cour Pénale Internationale, dans l’affaire : Procureur contre GBAGBO Laurent et BLÉ Goudé Charles.

Aussi dans l’intérêt d’une intelligence aisée des implications de cette décision, importe-t-il de faire, dans des termes beaucoup plus simplifiés, un bref rappel des faits et des procédures (I) avant de décliner les enjeux réels de cette dernière décision (II).

I- FAITS ET PROCÉDURES

Après le dernier témoin du Procureur le 19 janvier dernier, normalement, place devait être faite nette à la contre-offensive des deux équipes de défense des accusés GBAGBO Laurent et BLÉ Goudé Charles.

Mais, contre toute entente, et visiblement non rassurée par l’économie des dépositions de ses 82 témoins et plusieurs centaines de preuves documentaires fournis, Madame le Procureur Fatou BENSOUDA surgissait encore, avec en bandoulière, cette fois-ci, un nouveau lot composé d’un millier de «preuves documentaires».

En réplique, la défense du Président Laurent GBAGBO lui opposait, in limine litis, c’est-à-dire, en préalable, l’évaluation de ses premiers éléments de preuves, sous le rapport des charges primitivement imputées aux accusés.

En conséquence de cette requête de la défense du Président Laurent GBAGBO, la Chambre (les juges) rendaient la décision du 9 février 2018, déclarant non seulement la requête de Fatou Bensouda portant production de nouveaux éléments de preuves, «sans objet» mais, accédait, dans de larges proportions, à cette requête de l’équipe dirigée par Me Altit. Aussi était-il imparti à dame Fatou BENSOUDA, un délai de trente jours (30j) pour traduire :

1- Dans un document-synthèse dont les caractéristiques lui étaient rigoureusement prescrites…

2- Si, en regard de la trame de ses propres preuves présentées, pendant deux (2ans), jour pour jour, elle maintenait les charges initialement retenues dans son Document de Notification des Charges (DNC), (une sorte d’acte l’inculpation, en droit interne), d’une part…

3- La forme de responsabilité, c’est-à-dire, (par exemple, «co-auteur indirect ou auteur ou complice »), rattachait dorénavant cette économie des preuves, aux «nouvelles charges», d’autre part.

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Mais alors que tous se doutaient du caractère visiblement laborieux d’une telle mission herculéenne, à réaliser sur une période de 30 jours seulement, le Procureur Fatou BENSOUDA rendait précipitamment «sa copie» avant l’échéance à elle prescrite par la décision du 9 février 2018.

En réaction, Me Altit introduisait une dernière requête auprès de la Chambre pour stigmatiser, au plan formel, l’inobservation criante des prescriptions de la décision du 9 février 2018 par l’Accusation dans l’élaboration de son mémoire à mi-parcours, et sur le fond, la légèreté criante des arguments au moyen desquels cette accusation avait étayé les charges par elle reconduites. Par voie de conséquence, la défense du Président Laurent GBAGBO sollicitait de la Chambre (les juges), qu’il lui soit permis de montrer en quoi l’Accusation a erré, c’est-à-dire a présenté un dossier très léger.

La décision rendue donc ce lundi 4 juin 2018 par la Cpi n’est rien d’autre qu’une réponse à cette dernière requête de Me Altit et son équipe.

II- ANALYSE TECHNIQUE DE LA 
DÉCISION

QUELLE EST LA VRAIE SUBSTANCE DE CETTE DÉCISION

S’agissant d’une décision de justice, celle rendue hier lundi 4 juin 2018, comporte forcément des implications sérieuses pour la suite du procès que nous allons nous exercer à sérier.

LESQUELLES VIS-À-VIS DE FATOU BENSOUDA ?

Nous avions précédemment rappelé, qu’après l’audition de son dernier témoin le 19 janvier 2018, l’Accusation avait formalisé une requête pour être autorisée encore à verser des centaines de nouveaux éléments au dossier de la procédure.

Mais, en conséquence de la réaction de Me Altit, exigeant la synthèse des premières preuves, la Chambre avait déclaré cette demande «sans objet».

Dès lors, qu’impliquent les dispositions de la décision du 4 juin 2018, articulées comme il suit :

«Que la présentation des éléments de preuves du Procureur est close» ?

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Ne s’agit-il pas d’une réponse claire et définitive à sa requête visant à compléter la trame «insuffisante» des 82 preuves testimoniales et documentaires ?

Mais, la réponse coule de source. Par cette décision, les juges estiment qu’aucune preuve nouvelle ne peut être encore accueillie de la part de Fatou Bensouda.

QU’IMPLIQUENT ALORS LES DERNIÈRES DISPOSITIONS DE CETTE DÉCISION DU 4 JUIN 2018 ?

Premièrement : «Ordonne au Procureur et au représentant des victimes au plus tard, au 27 août 2018, leur réponse selon les mêmes modalités».

Qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas une lucarne pour le Procureur et/ou le Représentant des victimes pour finalement introduire leurs nouvelles preuves ?
Tant s’en faux ! Les termes «selon les mêmes modalités» emportent une sorte de «compétence liée» pour les contradicteurs de Me Altit. En effet, par ces termes, il leur est précisé qu’ils ne devront que réagir aux arguments présentés par Me Altit, en s’abstenant de s’offrir des libertés de nature à leur permettre d’invoquer des arguments et preuves nouveaux, en soutien aux charges reconduites dans le document de synthèse du Procureur. En un mot comme en plusieurs, les contradicteurs de Me Altit doivent se contenter d’attaquer, point par point, ses arguments à propos de l’annulation des charges. Pas plus.

Deuxièmement : «Décide de tenir une audience, à compter du 10 septembre 2018, qui s’étendra autant que nécessaire, et au cours de laquelle les parties et les participants seront autorisés à poursuivre, illustrer ou compléter leurs soumissions, ainsi que répondre aux observations et à toute question que pourrait avoir la Chambre».

Que retenir de ces dernières dispositions, lorsque les juges y indiquent :

a)- «Décide de tenir une audience, à compter du 10 septembre 2018, qui s’ étendra autant que nécessaire… ».
Est-ce à dire que la décision de la requête portant annulation des charges de Me Altit, sera rendue à cette date du 10 septembre 2018 ? Pas du tout, puisqu’on verra par la suite qu’il y aura débats à l’audience. Mais cela n’augure pas moins la fin du puzzle.

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b)- «Les parties et les participants seront autorisés à poursuivre, illustrer », et surtout, «compléter leurs soumissions». N’est-ce pas là encore une nouvelle ouverture pour l’Accusation de se prévaloir de ses fameux nouveaux éléments ?

La réponse sera sans ambages : NON.

Pourquoi ?

Parce que le permettre sous-entendrait une inexcusable contrariété de motifs de la décision du 4 juin 2018. En d’autres termes, ce serait dire une chose et son contraire dans une même décision de justice. Or un tel manquement entraîne de facto la nullité de la décision concernée. En l’espèce, il ne s’agira donc que de se maintenir dans la réplique des arguments de Me Altit portant annulation des charges. Et les dispositions in fine de cette décision ne le démontrent qu’à suffisance.

QU’ENTENDRE DES DISPOSITIONS FINALES SUIVANTES ?

«Répondre aux observations et à toute question que pourrait avoir la Chambre».

Nous avons tous suivi ce procès depuis le 28 janvier 2016. S’agissant d’une phase d’instruction, c’est-à-dire d’enquête, à part quelques recadrages de la part du Juge-président CUNO, à l’endroit du Procureur et de la défense, du serment et autres notifications aux témoins comparants, ce, dans le droit fil de ses responsabilités tenant à l’ordre, à la discipline et à la police de l’audience, aucune question de fond n’est jusque-là venue des juges.

Or, il est indiqué ici que, le cas échéant, des questions seront posées par les juges. À quel propos ?
Mais, bien sûr, ces observations et questions seront liées à la demande d’annulation des charges que s’apprête à introduire Me Altit.

Au total, vu cette allure, avec ou sans la présentation des témoins de la défense, si la Chambre succombe aux arguments de Me Altit, le procès s’arrête. Net.

L’Activateur Tchedjougou OUATTARA