Christiane Djahuié, Pdte de l’ONG Besoin d’Agir: « A mon avis, cette constitution porte en elle les germes d’une exacerbation de la crise sociopolitique. Plutôt que d’être un outil de paix, elle ne fait qu’accentuer la fracture sociale ».

Vous avez déclaré dans un message au soir du vote référendaire que quelque soit l’issue, c’est le peuple qui sera vainqueur. Qu’est qui vous a permis de le penser ainsi?

Je l’ai affirmé parce que j’ai estimé que les populations mécontentes ont su reconquérir une partie de leur liberté confisquée et de leur dignité outragée. Depuis plusieurs années, les Ivoiriens font face à un système politique dans lequel les droits et libertés fondamentaux sont menacés. Il suffit que l’on manifeste son désaccord même sur la base de moyens légaux pour se retrouver en prison. C’est hélas le cas de bien des cadres du Fpi emprisonnés voilà maintenant plus d’un an. C’est aussi celui de Samba David qui est un leader de la société civile. Depuis septembre 2015, il a été jeté en prison pour trouble à l’ordre public, discrédit sur décision de justice etc. Alors qu’il avait été condamné à 6 mois fermes de prison, il comptabilise lui aussi, plus un an d’emprisonnement en raison de charges additionnelles pour son implication dans les marches éclatées initiées quelques jours avant son arrestation par la Coalition de la jeunesse pour le changement. Je n’oublie pas mes camarades de la plate-forme ‘‘La vie chère’’, une organisation regroupant deux autres organisations de la société civile en plus de Besoin d’Agir. Ces derniers ont fait l’objet de plusieurs interpellations lors de manifestations de rue visant à protester contre la hausse du prix de l’électricité, une mesure gouvernementale jugée inique et impopulaire par les Ivoiriens.

Selon la Commission électorale, la nouvelle constitution a été adoptée à 93% de oui et un taux de participation de 42%. Quels sont vos commentaires la dessus ?

Vu comment les choses se sont déroulées, j’émets de sérieux doute sur la crédibilité et la légitimité du scrutin. De toute évidence, le chef de l’exécutif, désirant gouverner en s’appuyant sur des institutions totalement inféodées à son pouvoir s’est donné les moyens d’imposer une nouvelle constitution largement contestée par les Ivoiriens. Maintenant qu’elle a été promulguée, il faut s’attendre à de fâcheuses conséquences.

Quel avenir voyez-vous pour la côte d’Ivoire avec la grande majorité d’Ivoiriens qui rejette la nouvelle constitution comme cela s’est démontré sur le terrain ?

« A mon avis, cette constitution porte en elle les germes d’une exacerbation de la crise sociopolitique. Plutôt que d’être un outil de paix, elle ne fait qu’accentuer la fracture sociale ». On nous l’a présenté comme le remède capable de résoudre tous les maux dont souffrent les Ivoiriens et pourtant dès le lendemain du vote, le front social s’est embrasé. Payer un salaire à des sénateurs pour qu’ils œuvrent à consolider le pouvoir du chef de l’Etat, tandis que le taux de chômage chez les jeunes enregistre une progression importante, les fonctionnaires tirent le diable par la queue, des familles entières sont jetées à la rue sans mesure d’accompagnement, ça n’a vraiment pas de sens. La constitution du 30 octobre 2016 aurait pu revêtir un caractère consensuel si seulement ses initiateurs avaient pris la peine d’envoyer un message rassurant à l’endroit de toutes les forces vives de la nation, puis de les réunir autour d’un projet aussi important.

L’opposition demande la démission du président Alassane Ouattara et une intérim assurée par le président de l’Assemblée nationale pour l’organisation de nouvelles élections.

Si je faisais l’exercice de reformuler votre question, elle donnerait ceci : l’opposition est-elle capable de faire évoluer en sa faveur le rapport de force avec le pouvoir en place ? Par ailleurs, l’Assemblée nationale dont M. Soro Guillaume est le président, a adopté l’avant-projet de la nouvelle constitution. Si je faisais l’exercice de répondre à votre question, je dirai oui, à condition qu’elle se donne les moyens de ses ambitions.

En tant que présidente d’une organisation de la société civile, quelles sont vos solutions pour une sortie pacifique de cette crise ?

Au nombre des défis à relever pour sortir notre pays de la crise, figure en bonne place, celui de la réconciliation nationale. Cela implique la libération des prisonniers politiques et la fin du harcèlement dont sont victimes l’opposition politique et la société civile. Car pour se réconcilier, il faut être libre. Il y a aussi les défis que posent la politique sociale, la pacification de l’espace scolaire et estudiantin, la répartition équitable des richesses nationales, la reprise en main de l’économie nationale, l’instauration d’un Etat de droit, la bonne gouvernance en un mot.