REDIFFUSION : Tensions Burkina-Côte d’Ivoire  /Bohoui B. Carell, Consultant en communication, Spécialiste de l’Afrique: ‘’ Il serait suicidaire pour les deux pouvoirs d’engager leurs pays dans la voie d’un conflit impliquant des intérêts personnels’’

Par Léon SAKI – Afrique Matin.Net

A l’occasion de la visite du président burkinabé en Cote d’Ivoire, nous vous proposons une rediffusion de l’entretien avec notre consultant au plus fort des tensions entre les deux pays, suite au Coup d’état manque et au mandat d’Arrêt lance contre le président de l’assemblée nationale ivoirienne par les autorités burkinabé.

Une semaine après les attaques du Splendide Hôtel et du restaurant le cappuccino qui ont fait près d’une trentaine de morts, le Burkina  a fait de nouveau l’objet d’une autre attaque, celle-là d’un dépôt d’armes et de plusieurs incendies de marchés. Peut-on affirmer que ce pays est résolument entré dans un cycle de déstabilisation ?

Lors de notre précédent  entretien après les attaques djihadistes du Splendide Hôtel et du capuccino, nous avons affirmé que ces  attaques «pourraient avoir un rapport avec une volonté politique de déstabilisation en cours  sous la bienveillance de certains irréductibles et nostalgiques liés à l’ordre ancien. »  Et nous avions averti par la suite que « les solutions à la situation présente et assez particulière du pays des hommes intègres  incombent  principalement aux nouvelles autorités et à la France qui sont loin d’ignorer les véritables sources de cette menace. Elles incombent encore plus à la France en grande partie responsable (pour son rôle dans les crises libérienne, ivoirienne, libyenne et malienne), du chaos sécuritaire dans cette partie de l’Afrique. On ne démantèle pas un sanctuaire -abritant de gros intérêts de réseaux obscurs- comme le Burkina, les mains dans les poches. Les autorités Burkinabé sont averties. Elles devront véritablement retrousser les manches pour faire face à la vague de déstabilisation à venir. Car vraisemblablement, les attaques du splendide Hôtel pourraient en cacher bien d’autres. C’est maintenant que le plus dur commence. » (introduire le lien de l’interview pécédente)

Une semaine après cet entretien, les faits nous ont donné raison, avec l’attaque du dépôt d’armes de Yimbi par des ex éléments du RSP. Oui, on peut affirmer que le Burkina est entré dans l’œil du cyclone.

S’agissant justement de cette dernière attaque en date où des armes ont été emportées avec une facilité déconcertante. Les nouvelles autorités Burkinabès ont-elles vraiment pris la pleine mesure de la menace de déstabilisation qui plane sur le pays?

Il est difficile d’affirmer le contraire. La réaction énergique du pouvoir suite à ces différentes attaques l’atteste. N’oublions pas que les nouvelles autorités, ne sont pas aussi nouvelles dans la gestion du pouvoir d’Etat qu’on pourrait le penser. Elles ont été pour la plupart des piliers du défunt régime  de longues années durant.

Le président Roch Marc Christian Kaboré a occupé les postes de député, président de l’Assemblée nationale, ministre, Premier ministre et enfin jusqu’à une date récente avant sa démission, président du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Quant à Salif Diallo, le président de la nouvelle assemblée nationale, ex directeur de cabinet de Blaise Compaoré entre 1983 et 1987, plusieurs fois ministre, ex ambassadeur, ex vice- président du CDP,  il est aussi l’ancien bras droit du président déchu. Son homme à tout faire et des ‘’affaires obscures’’ jusqu’à sa disgrâce. Simon Compaoré, l’actuel ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure, ex inamovible maire de la capitale Burkinabé surnommé par certains le ‘’maître de Ouaga’’, fut lui aussi un des hommes forts du CDP et de l’entourage immédiat de l’ex Chef d’Etat. Nous voyons donc, pour ne citer que ces trois personnalités, que les ‘’nouvelles autorités’’ sont loin d’être des novices en matière de gestion du pouvoir.

Quels sont donc les handicaps auxquels elles font face ?

A leur décharge, l’on peut objecter qu’elles héritent d’un Etat quelque peu déstructuré. Le Burkina Faso sort d’une transition éprouvante avec à la clé un appareil sécuritaire en souffrance. Il convient de le réorganiser entièrement pour faire face aux nouveaux défis qui se présentent au pays. De surcroit, les nouveaux tenants du pouvoir font tout aussi face à une situation nouvelle (des actes de déstabilisation multiformes avec l’implication des djihadistes) que n’avait jamais connu le pays auparavant. Ceci nécessite d’énormes moyens.

Qu’est-ce qui explique cet acharnement des commanditaires à vouloir déstabiliser coute que coute le Burkina Faso ?

Au risque de nous répéter, le Burkina Faso est un sanctuaire où plusieurs groupes d’intérêts politico- économiques et de réseaux mafieux (Rebellions étrangères, Djihadistes, trafiquants d’armes, d’or, de diamants etc.) ont prospéré pendant 27 ans sous l’ombre de l’ex régime. A travers de gros investissements, ce pays est aussi un des plus grands sanctuaires de blanchiment d’argent en Afrique. Le départ de Blaise Compaoré met grandement à mal ce sanctuaire et les intérêts de ses principaux bénéficiaires. Seul un retour à l’ordre ancien pourrait faire retomber ce sanctuaire dans l’escarcelle des nostalgiques de l’ancien pouvoir.

Le Burkina court-t-il à terme  un réel danger de déflagration face à cette vague de déstabilisation?

Le risque est bien réel. Par des actions d’éclat les forces réactionnaires, à défaut d’initier des actions d’envergure à même de changer l’ordre des choses de manière significative, jouent vraisemblablement la carte du pourrissement. En prévision, certainement à long terme, d’actions de plus grande ampleur. Et les autorités auraient tort de baisser la garde.

D’une rébellion par exemple ?

Une rébellion, pourquoi pas ? Cependant tout dépendra de la capacité des nouvelles autorités à apporter au plus vite des réponses appropriées à  ces actes de déstabilisation. A ce sujet, le facteur temps est un élément  déterminant à plusieurs échelles. Car à notre sens, le temps ne joue pas véritablement en faveur du nouveau régime.

Pourquoi estimez-vous que le facteur temps est déterminant, à quels niveaux se situent les risques que courent le pays et ses nouvelles autorités ?

Tout d’abord au niveau économique, il est bon de savoir que le pays ne dispose pas de matières premières propres à même de soutenir efficacement son économie. L’économie burkinabè repose essentiellement sur le coton et les ressources minières encore sous exploitées. Le Burkina Faso est donc très dépendant de l’aide extérieure et des investissements étrangers. Si cette situation de grande insécurité perdure le pays des hommes intègres, désormais pays à haut risque, pourrait enregistrer la fuite des investisseurs étrangers et le tarissement de l’aide au développement. De cette situation, découlera la faillite de son économie déjà fortement éprouvée depuis 2 ans. Il pourrait alors s’en suivre un embrassement social qui aura l’avantage de favoriser les entreprises de déstabilisation auxquelles le nouveau régime risque de ne pas survivre.

Au plan politique, le régime de Roch Marc Christian Kaboré semble jouir pour l’instant d’une opinion favorable au sein de la communauté internationale. Il semble bénéficier du soutien tacite de la France et des Etats Unis. Vu les menaces terroristes dans le sahel et pour la stabilité de la sous-région, aucun des deux n’a véritablement intérêt que le pays des hommes intègres sombre dans le chaos. A contrario, le régime d’Abidjan se trouve  confronté à un certain isolement ces derniers temps. Cependant les rapports pourraient  s’inverser à l’occasion des élections françaises de 2017, dans l’hypothèse où les républicains au sein  desquels  Abidjan et l’ex homme fort de Ouagadougou possèdent de solides relations, accédaient  au sommet de l’Etat français.

Le défi qui se pose donc aux nouvelles autorités est le rétablissement dans les plus brefs délais d’un climat de sécurité à même de ramener une sérénité propice aux affaires dans le pays. Et nous pensons que c’est le sens des actions sécuritaires vigoureuses menées par le gouvernement et de la levée du couvre-feu en vigueur depuis 4 mois malgré les sanglantes attaques de ces derniers temps.

La justice Burkinabè sous la transition et sous le nouveau régime brandit,  différents éléments à l’appui, la piste ivoirienne. Dont notamment l’affaire des écoutes téléphoniques mettant ainsi au grand jour la responsabilité de plusieurs personnalités politiques et militaires de ce pays voisin. D’aucuns parlent de manipulations. Quel est votre avis sur la question?

Nous attendons toujours le démenti des mis en cause ou au mieux de l’Etat ivoirien lui-même face à ces graves accusations. Ce qui n’a pas été le cas jusqu’à ce jour  à notre connaissance. Le président ivoirien, Alassane Ouattara semble lui-même très embarrassé. Il a juste fait part de sa volonté de régler le problème par la voie diplomatique plutôt que de laisser la justice Burkinabé aller au bout de cette affaire. Comprenne qui pourra.

Pendant que Alassane Ouattara appelle au règlement diplomatique de la question, outre le mandat d’arrêt international lancé contre l’ex président Blaise Compaoré réfugié en Côte d’Ivoire, un autre a été émis contre le président de l’assemblée nationale de ce pays. A-t-on atteint un point de non-retour dans les relations ivoiro-burkinabé?

Il convient de faire la part des choses. Cette affaire laisse clairement transparaître des intérêts personnels entre individus d’un même sérail qui ne parlent plus le même langage. Ils ont en commun une longue histoire d’amitié dictée par des intérêts politiques, économiques et d’affaires. A l’opposé du nouveau régime fort d’un élan patriotique au sein de la population en raison des attaques dont est victime le pays, le pouvoir d’Abidjan à l’exception de ses plus farouches partisans semble isolé dans cette crise au sein des populations ivoiriennes. Le risque d’entrainement des deux pays et de leurs populations dans cette affaire qu’on pourrait qualifier de ‘’règlement de comptes’’ est minime voire inexistant. Par contre le risque d’assister à des actions de groupuscules d’extrémistes partisans des deux camps n’est pourtant pas à exclure en cas de montée du mercure. Cependant cela devrait rester très isolé.

Si l’implication du régime d’Abidjan est avérée, dans ce cas nous aurons atteint un point de non-retour dans la défiance entre les différents tenants du pouvoir. S’agissant des deux pays, un conflit ouvert est peu probable.

Qu’est ce qui conforte votre point de vue ?

Deux raisons essentielles. La côte d’ivoire et le Burkina Faso partagent des liens sociaux et économiques historiques, fortement dépendants.

Au plan social, en plus d’une forte représentativité des ressortissants burkinabés, officiellement près de 4 millions d’individus sur une population estimée à 22 millions d’habitants, la Côte d’ivoire possède un nombre important de citoyens d’origine burkinabè. De surcroit, certaines populations sont fortement représentées de chaque côté de la frontière entre les deux pays. Inversement, nous assistons à l’émergence progressive d’une communauté ivoirienne au Burkina à l’occasion des longues années de crise qu’a vécue le pays d’Houphouët Boigny. Celle-ci est renforcée par les ivoiro-burkinabès et les burkinabés nés ou ayant passé de longues années en Côte d’ivoire communément appelés ‘’diaspo’’. C’est une communauté certes moins importante, mais de plus en plus visible dans les différents secteurs d’activité et dans la société Burkinabè en général.

Au plan économique, le Burkina compte pour environ 30% dans les échanges commerciaux avec la Côte d’Ivoire dans la zone franc, les deux pays sont invariablement les premiers partenaires économiques en Afrique.

Pour ces deux raisons essentielles, il serait suicidaire pour l’un ou l’autre de s’engager dans la voie d’un conflit ouvert entre les deux nations. Aucune n’y a véritablement intérêt au risque de se fragiliser sur le plan intérieur.

D’ailleurs, pour l’instant à notre connaissance, la justice Burkinabé n’a pas encore mis en cause l’Etat Ivoirien, mais des personnalités d’un régime. Nous attendons donc de voir.

Comment entrevoyez-vous le futur des relations entre ces deux pays au cas où la responsabilité du régime ivoirien était engagée?

Dans l’hypothèse où l’implication du régime d’Alassane Ouattara est totalement avérée, ce qui  serait alors en jeu dans cette crise, c’est la difficile cohabitation entre deux régimes en lieu et place de la crise entre l’Etat Burkinabé et certaines personnalités ivoiriennes à laquelle nous assistons en ce moment. Dans ce cas, il sera question de la survie entre deux pouvoirs, non entre deux pays comme nous l’avons mentionné. Les relations entre les deux Etats survivront aux régimes et aux hommes politiques comme il en  a toujours été le cas depuis leurs accessions à l’indépendance.