Frères Aimé Tano et Jean-Luc Molinier : « Nous sommes au service du seigneur et de l’humanité »
Réalisée à Bouaké par Brou François – Afrique Matin.Net
Situé à plus d’une quinzaine de kilomètre de la ville de Bouaké, sur l’axe Bouaké-M’Bahiakro, le Monastère Sainte-Marie de Bouaké représente pour la plupart des visiteurs un mystère. Que neni. Fondé en 1960 par les moines de Toumliline au Maroc, il est le seul monastère masculin de l’Ordre bénédictin en Côte d’Ivoire. Les bénédictins sont des moines chrétiens contemplatifs qui vivent sous la Règle de saint Benoît (480-547). C’est l’ordre religieux le plus ancien de l’Église catholique. Pour les lecteurs de www.afriquematin.net, a rencontré les frères Aimé Tano et Jean-Luc Molinier qui ont bien voulu situé les lecteurs sur la vie que mènent les Moines et les difficultés auxquelles est confrontée l’institution.
Comment peut-on définir un Monastère ?
Frère Aimé Tano. D’abord, je voudrais indiquer que nous sommes des Moines bénédictins, nous vivons sous la règle de Saint Benoit, une règle qui date du 6ème siècle. Et, selon cette règle, le Monastère est une école au service du Seigneur et de l’humanité. Nous sommes là, dans notre quête de Dieu et dans notre quête de la charité, vis-à-vis des uns et des autres. Ceux qui viennent vers nous, doivent être avec eux-mêmes d’abord. Nous avons une hôtellerie qui accueille des gens qui veulent habiter avec eux-mêmes, avec Dieu, qui veulent réfléchir sur le sens de leur vie et quelquefois se reposer, mais aussi chercher à parler avec quelqu’un. C’est souvent difficile dans le monde actuel de trouver une oreille qui écoute ! En venant quelquefois au Monastère, on a la chance de trouver ces oreilles qui écoutent.
Et quels sont les attributs d’un Moine ?
En ce qui concerne le Moine, c’est d’abord un chrétien, un baptisé, qui veut vivre l’engagement de son baptême. Et, pour réaliser ce but, chercher à être avec Dieu, il vit dans un Monastère, il sent un appel. Il vit avec des frères, dans une communauté qui a ses règles, avec à sa tête un Supérieur. Le but premier que poursuit le Moine, c’est d’être en communion avec Dieu et le but immédiat est la recherche de la Paix. Toute sa vie dans ce Monastère, tout est orienté vers ce but ultime qui s’épanouit dans la prière, dans les offices – on se retrouve sept (7) fois par jour pour prier Dieu. Sans oublier aussi la vie communautaire, chacun assume les charges qui lui ont été confiées. Il y a aussi l’accueil.
Qui est habilité à fréquenter le Monastère ?
Le Monastère est ouvert à tout le monde, nous ne faisons pas de différence, nous accueillons tout le monde. Nous accueillons chacun en prenant en considération sa problématique.
Le citoyen lambda sait qu’un Monastère est par essence un lieu où trouver le réconfort. Arrivez-vous à satisfaire tous ceux qui vous sollicitent ?
Il n’y a rien de parfait sur cette terre. Il n’y a que Dieu seul qui a la solution à tous les problèmes. Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous sommes.
Pouvez-vous nous faire un peu l’historique du Monastère de Bouaké ?
L’histoire du Monastère de Bouaké est très longue. Il y a eu d’abord des Moines qui sont partis d’En Calcat en France (entre Montpellier et Toulouse) pour s’installer d’abord au Maroc, à Toumliline, autour des années 50. Puis, compte tenu de la situation politique, ils ont décidé de descendre en Afrique noire. Et en lien avec certains Evêques, notamment le premier Evêque de Bouaké, Monseigneur Duirat, ils se sont installés à Bouaké.Ils sont arrivés ici au moment des indépendances dans les années 60, et deux ans plus tard, ils s’implantaient à Koubri, au Burkina Faso. Il faut toutefois rappeler que tous les anciens de Koubri sont passés par le Monastère de Bouaké pour leur formation.
Au début de son implantation notre monastère a davantage mis l’accent sur la culture, car les moines, partout où ils se trouvent, sont toujours préoccupés par la culture. Et le fondateur, le Père Denis Martin,qui était un homme de relation et de culture, organisait des conférences, appelées « les semaines culturelles de Bouaké » où il faisait appel à des personnes ressources pour décortiquer des thèmes choisis et des sujets bien précis. Donc nous sommes présents depuis 50 ans et nous sommes actuellement une vingtaine de Moines dans ce monastère.
Quelle est la spécificité du Monastère ?
J’ai dit tantôt qu’un Moine c’est un chrétien, un baptisé. C’est quelqu’un dont la vie est plus centrée sur cette recherche de Dieu. Il a besoin de s’éloigner, et ce silence favorise sa croissance dans cette recherche de Dieu, mais aussi dans sa vie quotidienne avec ses frères, dans l’accueil des autres et de tous ceux qui viennent au Monastère. C’est un témoin du Christ. Simplement.
Combien de personnes vous accueillez annuellement ou mensuellement ?
Nous en recevons tous les jours, c’est à dire au quotidien. Nous disposons d’une hôtellerie de vingt-deux (22) chambres. Nous accueillons des prêtes, des religieux, des laïcs, des nationaux comme des internationaux.
Comment fonctionne le Monastère, et quelles sont vos sources de financements ?
Le Monastère ne reçoit pas de subventions. Au début les moines faisaient du yaourt, malheureusement cette unité de fabrique a fermé depuis 2002, parce que la clientèle se faisait rare et le déficit était énorme. Nous, on ne sait pas vendre cher, ce n’était pas notre objectif de le faire. Du coup ces difficultés nous ont amenés à fermer. Pour le moment nous exploitons une ferme avicole et d’autres petites activités.
Père Prieur, en votre qualité de Supérieur, quel est le rôle que vous jouez au sein du Monastère ?
En ma qualité de Supérieur de cette communauté, mon rôle est d’aider chaque frère à chercher Dieu, de l’écouter, C’est aussi de veiller par la distribution des charges, de donner une activité à chacun pour l’aider au mieux, à grandir et à construire la communauté. Il est nécessaire aussi parfois de rappeler l’essentiel de notre vie à travers le commentaire quotidien de la règle à la communauté. C’est surtout de veiller à l’unité en étant attentif à ce que l’idéal des frères plus forts ne décourage pas les plus faibles et que tous soient unis.
La vie communautaire est essentielle pour le moine, ce qui nous différencie des autres religieux, c’est le vœu de stabilité, lorsque l’on entre dans un Monastère, on y reste jusqu’à la mort… dans le même monastère avec les mêmes frères. Les religieux dominicains ou autres s’engagent dans un ordre ou dans une congrégationmais ils sont amenés à passer de communauté en communauté en fonction des besoins de la mission. En fonction de cela, on comprend mieux l’importance de la vie communautaire et du pardon mutuel.
La vie dans un Monastère ne présente-t-il pas un aspect de prison classique ?
Les gens voient le Monastère comme une prison. Mais quand on vit, on s’aperçoit que c’est un chemin de grande liberté. Grâce à l’obéissance, l’homme apprend peu à peu à faire vraiment ce qu’il a envie de faire, c’est-à-dire la volonté de Dieu.
La crise de 2002 qui a secoué la région de Bouaké n’a-telle pas été un frein à la bonne marche de votre communauté ?
Cette crise de 2002 a été un moment très fort. Lorsque la guerre a éclaté, on s’est retrouvé avec plus de quinze mille (15.000) personnes, y compris les populations chrétiennes qui sont venues de partout et qui demandaient de l’aide. Le soutien de quelques organismes internationaux à notre structure a été salué avec joie. La période a été très difficile à vivre. Heureusement aucun Moine n’a été inquiété, nous n’avons pas enregistré de dégâts. Mais ce qu’il y a lieu de souligner, c’est que nous avons sollicité le pouvoir pour la création d’un centre de santé, qui, nous l’espérons, ouvrira ses portes très bientôt. Le Monastère est considéré comme une école de la vie et en fonction des possibilités et des disponibilités, l’aspect intellectuel n’est pas négligé. J’en veux pour preuve, quatre frères qui sont des nôtres sont aux études à Abidjan à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO).
Qu’est-ce que la population peut attendre de vous, puisque vous dites que pendant la crise elle est venue vers vous pour trouver refuge ?
Il y a toujours des indigents partout. Et si nous voulons faire uniquement du social, nous n’arriverons pas à satisfaire la population. Nous ne disposons pas de ressources additionnelles à part nos activités du poualiller. Le gouvernement ne donne pas d’appui aux religieux. Les besoins qui se font sentir aujourd’hui se situent au plan de l’accueil. Des jeunes qui rencontrent des difficultés d’ordre social viennent pour suivre des enseignements, disons une retraite spirituelle, aussi bien que des personnes qui ont des besoins viennent individuellement nous rencontrer. Nous sommes consultés à tous les niveaux et Dieu est au cœur de notre vie et celle de tout le monde. Dans la société ivoirienne aujourd’hui la vie monastique a beaucoup d’avenir et venir au Monastère c’est remettre les pieds sur terre. Nos portes sont ouvertes à tous.