Economie/A quoi servent les Banques Centrales

Par Jacques Attali*

Pendant très longtemps, et aujourd’hui encore, les marchés financiers ont été suspendus aux décisions des banquiers centraux, attendant d’eux qu’ils valident ou contredisent leurs prévisions d’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. L’Economiste  et haut fonctionnaire français Jacques Attali fait des précisions sur la présences des banques centrales dans l’ordre mondial des finances.

 Croire que ces taux auront encore un quelconque impact sur l’inflation, c’est ne rien comprendre à la situation actuelle : l’inflation d’aujourd’hui n’a aucune origine monétaire ; et tenter de l’enrayer en augmentant les taux d’intérêt, comme le font et vont continuer à le faire les banques centrales, est suicidaire.

Certes, la quantité de monnaies et de crédits déversée sur le monde est immense, et beaucoup ont annoncé depuis longtemps que cela allait déclencher une très forte inflation. Cela n’a pas été le cas, en raison de la puissance de la concurrence qu’impliquait la mondialisation et de la force du progrès technique ; et ce n’est pas la quantité de monnaie et de crédit disponible, ni même la guerre en Ukraine, qui ont déclenché l’inflation, mais bien, comme je l’avais annoncé dans ces mêmes colonnes il y a un an, un choc exogène lié à l’augmentation soudaine et massive des prix de plusieurs matières premières que les entreprises ont dû se résigner à transférer sur leurs clients.

Selon Jacques Attali, « les vainqueurs de la crise actuelle seront ceux qui l’auront compris les premiers. Sera-ce la Chine ».

Pourtant, les banques centrales continuent d’augmenter leurs taux, pour donner l’impression qu’elles ont un quelconque impact sur le réel. Ce sera quintuplement contreproductif.

D’une part, cela va augmenter la charge de la dette publique, privant les Etats de ressources essentielles pour financer leurs activités. D’autre part, cela va apporter des surprofits totalement illégitimes aux compagnies d’assurances (au moins aussi illégitimes que les superprofits des compagnies pétrolières).

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Par ailleurs, cela va enrichir des rentiers au détriment de ceux qui travaillent, creusant encore les inégalités et encore, cela va renchérir le coût du financement d’investissements absolument vitaux pour organiser la transition de l’économie de la mort vers l’économie de la vie.

Enfin, il est absolument absurde de subventionner des consommateurs pour qu’ils continuent à consommer un poison, sans les inciter d’aucune façon sérieuse à en consommer moins, ni surtout sans les réorienter vers les produits et services de l’économie de la vie, en soulageant évidemment l’impact de cette hausse des prix sur les plus vulnérables.

Au total, cela conduira à chercher   un équilibre de l’offre et de la demande vers le bas, entraînant l’économie dans une spirale récessionista, alors qu’il faudrait tout au contraire relancer massivement l’investissement dans les secteurs d’avenir, avec des taux d’intérêt très bas.

Si cette politique continue, elle restera dans l’Histoire comme une erreur aussi grave que celle commise par les banques centrales il y a exactement un siècle en imposant le retour à l’étalon or. On sait où cela a mené le monde.

Les gouvernements devraient cesser de reporter sur les banques centrales leurs véritables responsabilités ; c’est à eux d’agir, par une politique industrielle ; c’est à eux de remplacer le « quoi qu’il en coûte » de la demande par un « quoi qu’il en coûte » de l’offre, par une mobilisation générale des banques et des entreprises pour financer l’économie de la vie et la reconversion de l’économie de la mort.

Les vainqueurs de la crise actuelle seront ceux qui l’auront compris les premiers. Sera-ce la Chine, qui en a tous les moyens, mais qui ne semble pas, pour l’instant, décidée à s’y lancer, pour ne pas renforcer son secteur privé ?  Seront-ce les Etats-Unis, qui s’y essayent déjà modestement avec le Plan Biden ?

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 Sera-ce l’Union Européenne, qui en a tous les moyens financiers et technologiques, mais qui est paralysée par son manque de vision, par la division de ses instances de gouvernance, et par le renvoi de toute décision de politique économique à une Banque Centrale qui n’a, par nature, pas de mandat en politique industrielle ? A moins que l’Afrique, ou l’Inde, ne se réveillent avant les anciennes puissances. De la réponse à cette question dépend le sort du monde au 21ème siècle.

*Conseiller d’État, maître de conférences à l’École polytechnique, professeur d’économie

 Source/attali.com