Xi Jinping devient président à vie pour réaliser son « rêve chinois »
La réforme de la Constitution doit mettre fin à la limite des deux mandats du président. Xi Jinping pourra donc rester au pouvoir après 2023.
« Il n’est pas bon d’avoir une trop grande concentration du pouvoir. Ça perturbe la pratique de la démocratie socialiste et du centralisme démocratique du parti, ça freine les progrès de la construction socialiste, et nous empêche de bénéficier pleinement de la sagesse collective. »
Cette citation ressemble à une mise en accusation de la pratique du pouvoir par le président chinois Xi Jinping. Elle remonte pourtant à 1980 et elle est signée Deng Xiaoping, l’homme des réformes post-maoïstes, le dirigeant communiste qui a remis la Chine sur les rails du développement économique des trois dernières décennies.
La date de cette référence est essentielle : quatre ans après la mort de Mao Zedong, au lendemain de l’élimination de la « bande des quatre » et des aventures politiques. Deng Xiaoping voulait doter le Parti communiste chinois de règles de gouvernance qui éviteraient le pouvoir personnel, le culte de la personnalité, les dirigeants à vie qui risqueraient de retomber dans les travers catastrophiques du « Grand Timonier ».
L’irrésistible ascension de Xi Jinping, « Grand Timonier » du siècle chinoisLes préceptes de Deng ont bien fonctionné jusqu’ici, avec des directions collégiales, une limitation à deux mandats de cinq ans, et une relative modestie au sommet qui tranchait avec le statut de Dieu vivant de Mao. Jusqu’à l’arrivée à la tête du Parti de Xi Jinping, en 2012, qui a opéré une rupture.
L’annonce discrète ce week-end par l’agence Xinhua d’un projet de réforme de la Constitution mettant fin à la limite des deux mandats du président de la République populaire de Chine, confirme l’analyse prédominante après le 19e Congrès du Parti communiste chinois, en octobre dernier : Xi Jinping ne quittera pas le pouvoir en 2023 comme il aurait dû le faire s’il avait respecté la « doctrine Deng » de gouvernance.
Un Parti-Etat
Xi Jinping est bel et bien le dirigeant chinois aux pouvoirs les plus étendus depuis Mao, à un moment où la Chine est elle-même plus puissante qu’elle ne l’a été depuis des siècles. Les pays occidentaux ont à peine pris la mesure de cet homme de 64 ans qui sera au cœur de la vie internationale pour encore très longtemps, avec un pouvoir absolu sans égal, pas même dans la Russie de Vladimir Poutine…
Tous les observateurs avaient relevé qu’au 19e Congrès, aucun successeur n’avait été désigné pour remplacer Xi Jinping à l’issue de son second mandat, comme Xi lui-même l’avait été à mi-parcours de la présidence Hu Jintao. Mais le suspense avait été maintenu sur le changement de règle, et de nombreux commentateurs estimaient que l’incertitude serait maintenue jusqu’au bout.
Si Xi Jinping a précipité les événements, au point de changer la Constitution, c’est pour envoyer un double message :
- D’abord celui de sa force personnelle, qui ne trouve plus, au sein du Parti communiste, la moindre résistance à une évolution qui ne plaît pourtant pas à tout le monde. La lutte anticorruption a éliminé des dirigeants corrompus mais aussi les rivaux potentiels… Ensuite sur la primauté du Parti sur l’Etat, et la fin du projet, un temps envisagé par Deng Xiaoping et ses successeurs, de séparer le Parti et l’Etat. Aujourd’hui, c’est clair, la Chine est dotée d’un « Parti-Etat » qui le restera, et c’est le PCC qui est au « poste de commandement ».
Le pouvoir de Xi Jinping devrait être conforté lors de la session annuelle des deux Chambres du Parlement, la semaine prochaine, qui devrait voir des hommes du clan du Président accéder à plusieurs postes clé.
On attend en particulier de voir si Wang Qishan, le « moine communiste » comme on le surnomme en raison de son ascétisme, ex-responsable de la lutte anti-corruption dans la période écoulée, est nommé vice-président, chargé des relations internationales, en particulier du dossier coréen et des relations avec Washington. Il est le véritable bras droit de Xi Jinping et sa nomination en ferait un duo redoutablement puissant.
L’autoritarisme au service de la puissance
A 64 ans, Xi Jinping peut donc envisager de rester de longues années au pouvoir, au-delà de son deuxième mandat qui démarre la semaine prochaine avec sa « réélection » à la tête de l’Etat. Il a déjà réussi à faire inscrire de son vivant sa « pensée » sur le « socialisme de la nouvelle ère » au sein de la charte du Parti communiste chinois, et à se faire appeler « lingxiu », c’est-à-dire « le leader », une formule qui n’était pas employée depuis la fin de l’ère maoïste, et à éliminer le principe de la collégialité cher à Deng Xiaoping, au profit d’un pouvoir personnel absolu.
Il pourra ainsi conduire le pays vers ses prochains objectifs, qui correspondent à des anniversaires plus que symboliques : les 100 ans de la fondation du Parti communiste chinois en 1921, et surtout le centenaire de la proclamation par Mao de la République populaire de Chine le 1er octobre 1949. Pendant cette période, la Chine devra devenir un pays de « petite » puis « moyenne » prospérité, et « moderne », et redevenir la première puissance mondiale qu’elle était avant le choc avec les Occidentaux au milieu du XIXe siècle.
Le prix à payer pour cette ambition est un pouvoir de plus en plus autoritaire, qui a éliminé tous les contre-pouvoirs, ceux, institutionnels à l’intérieur du Parti, et ceux qui avaient commencé à émerger au sein de la société civile – avocats, ONG, blogueurs, etc. – victimes d’une répression sévère.
De nombreux Chinois, au sein de l’élite politico-économique, acceptent cette logique, et admettent que ce pouvoir hypercentralisé et autoritaire est efficace pour conduire un pays de 1,4 milliard d’habitants vers la réussite de ses objectifs. Les performances économiques du pays, et sa stature internationale croissante, leur permettent de vivre le pouvoir absolu du « lingxiu » Xi comme un moindre mal.
Le « rêve chinois »
Mais il y a aussi les nombreux Chinois qui redoutent les dérives de ce pouvoir absolu que plus personne n’ose contester, si ce n’est quelques persiflages sur les réseaux sociaux, vite effacés par une cyberpolice de plus en plus performante grâce aux progrès de la technologie de surveillance chinoise.
Depuis l’annonce de ce qui apparaît comme une « présidence à vie », les cybercenseurs font la chasse aux références à un « empereur », ou à Winny l’Ourson, le personnage de dessin animé qui a déjà été comparé à Xi Jinping par le passé, représenté accroché à un pot de miel…
Souce: https://www.msn.com/fr-fr/?inst=1