«Nous sommes à deux doigts d’une guerre nucléaire»
Le programme nord-coréen de développement de l’arme nucléaire et les ambitions nucléaires de l’Iran font régulièrement les gros titres des médias du monde entier. Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche, ces problèmes se sont encore aiguisés.
Le président américain a annoncé que les USA comptaient sortir de l’accord nucléaire avec l’Iran, puis a dit qu’il était prêt à frapper la Corée du Nord. Ce sujet a également été soulevé pendant la Conférence de Moscou sur la non-prolifération qui s’est déroulée avec la participation de plus de 200 délégués de haut rang de 40 pays. Anton Khlopkov, directeur du Centre d’énergie et de sécurité, membre du conseil scientifique auprès du Conseil de sécurité russe, présidait cette rencontre: il évoque pour le quotidien Izvestia les négociations officieuses entre les représentants américains et nord-coréen à Moscou, le programme nucléaire iranien et le risque qu’une nouvelle guerre mondiale éclate.
– La Corée du Nord et l’Iran ont actuellement une influence sur la stabilité nucléaire. Les voix des «faucons» retentissent de plus en plus fort, aux USA appelant à utiliser la force contre Pyongyang. Dans quelle mesure la situation pourrait-elle s’enflammer?
— Si on parle de stabilité stratégique, de stabilité dans le secteur nucléaire, la principale préoccupation n’est pas liée à l’Iran ou à la Corée du Nord, mais aux États-Unis. Le président russe Vladimir Poutine a récemment rappelé que la Russie et les USA, en tant que superpuissances nucléaires, étaient liés par des engagements particuliers en la matière. On parle là, selon différentes estimations, d’environ 80-90% de toutes les armes nucléaires dans le monde. La position de Washington sur les principales questions liées au régime de non-prolifération nucléaire et au contrôle des armes dépend de plus en plus des cycles électoraux dans le pays. C’est forcément inquiétant.
Il est dans l’intérêt de la Russie de préserver le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui vise à prévenir l’apparition de nouveaux États nucléaires.
Nous suivons attentivement les publications de la presse américaine. En effet, avec l’arrivée du président Donald Trump au pouvoir, la question de l’usage de la force est revenue sur la table. Mais la décision semble claire: une opération militaire est trop risquée.
– Autrement dit, la décision de ne pas utiliser la force contre la Corée du Nord est déjà prise?
— Les militaires ne dévoilent jamais leurs décisions. Mais on a l’impression que l’option militaire n’est pas prioritaire parce qu’elle est trop risquée: il y aurait trop de pertes parmi les alliés et aux USA. La rhétorique dure et l’échange direct au-delà de la limite de la culture diplomatique entre le président américain et les autorités nord-coréennes sont regrettables. Cela complique significativement la reprise du dialogue. Quand les parties montreront leur disposition au dialogue, il sera possible de prendre pour base la proposition sino-russe du 4 juillet 2017. Mais les attentes doivent être réalistes, or certains pays de la région se fixent pour objectif prioritaire la dénucléarisation de la péninsule coréenne, l’abandon, par la Corée du Nord, de son potentiel nucléaire (je ne parlerais pas encore d’arme nucléaire). C’est une impasse. Il faut se fixer des objectifs réalistes. Premièrement, il faut faire baisser la tension. Et ensuite avancer. Aujourd’hui, on est à deux doigts d’une guerre nucléaire.
– Il est évident que le conflit nucléaire qui pourrait éclater sur la péninsule coréenne serait dangereux pour la Russie. Quelle est la menace principale?
– La Russie partage une frontière avec la Corée du Nord et toute instabilité à nos frontières représente une menace supplémentaire. La hausse de la tension autour de la Corée du Nord et sur la péninsule a déjà conduit à l’accroissement de l’infrastructure militaire des USA dans la région. L’expérience historique montre que quand l’infrastructure militaire américaine apparaît, elle n’est pas démantelée de sitôt. En cas d’escalade potentielle de la tension dans les relations russo-américaines, elle pourrait même être utilisée contre la Russie. Washington trouvera bien un prétexte tel que la prétendue ingérence de la Russie dans les élections américaines.
Si la tension actuelle sur la péninsule coréenne dégénérait en conflit armé, il est fort probable que l’infrastructure nucléaire serait affectée. Il n’est pas seulement question de l’usage de bombes nucléaires. La région abrite des dizaines de centrales nucléaires. Comment peut-on protéger les centrales nucléaires de la Corée du Sud et du Japon, les sites nucléaires de la Corée du Nord?
– La Russie est-elle prête à agir comme médiatrice entre les USA et la Corée du Nord? Des médias ont rapporté que des représentants américains et nord-coréens s’étaient rencontrés pendant la conférence organisée par votre centre.
— La Russie et la Chine cherchent effectivement à instaurer un dialogue entre les principaux acteurs de la crise — Washington et Pyongyang. La Corée du Nord est inquiète pour sa sécurité, ce que l’on ne peut pas ignorer, et pour elle la principale menace émane des USA. Il est donc impossible d’avancer sans volonté politique de la part de Pyongyang et Washington. Des décisions politiques sont nécessaires, comme l’administration de Barack Obama l’avait fait sur l’Iran. A un moment donné Obama a décidé qu’il était prêt à risquer son capital politique pour entamer le dialogue avec Téhéran. Il est évident aujourd’hui qu’on est encore loin d’une telle décision par rapport à la Corée du Nord, malheureusement.
La présence de hauts représentants nord-coréens et de spécialistes américains qui travaillent dans des organisations de recherche (personnalités non officielles) à la Conférence de Moscou sur la non-prolifération prouve que Pyongyang et certains bureaux de Washington ont conscience de l’importance d’un dialogue.
Mais l’information excessive sur ce genre de rencontres est contreproductive. Les médias doivent respecter le fait que parfois les gens ont simplement besoin de se parler de manière informelle.
– Passons à l’Iran. En juillet 2015 a été mis au point le Plan d’action global conjoint, «l’accord du siècle», entre les Six et l’Iran. Donald Trump l’a qualifié de «pire accord de l’histoire». Y a-t-il un risque que les USA sortent de cet accord et quelles en seraient les conséquences?
— C’est un plan conjoint, mais il n’est pas signé. C’est un détail technique important.
– Autrement dit, il n’est pas contraignant?
– Du point de vue juridique, toute partie peut en sortir, tout comme d’un accord ou d’un traité déjà signé. Par exemple, les Américains ont quitté le traité sur l’ABM. La Corée du Nord a annoncé sa sortie du TNP. Même si, dans le cas du Plan d’action, la procédure était bien plus complexe parce que l’accord a été approuvé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est pourquoi a été créée une sérieuse base juridique pour que l’accord soit rempli. La probabilité que l’administration américaine exerce une forte pression sur l’Iran existe.
Il se pourrait que l’accord soit menacé. La destruction du Plan d’action serait un facteur de déstabilisation de la situation dans la région.
– Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été ouvert à la signature en juillet 2017. Plus de 100 pays l’ont approuvé. De quoi s’agit-il? D’où vient ce traité? Et pourquoi la Russie y est opposée?
– 120 pays ont participé et pour l’instant, plus de 50 pays l’ont signé. Ce traité est apparu à l’initiative de plusieurs pays européens et de mouvements militants. Son objectif consiste à interdire complètement les armes nucléaires. Certes, c’est un objectif noble en soi, mais les approches sont irréalistes. Par exemple: pourquoi crée-t-on l’arme nucléaire, pourquoi certains pays la possèdent? La réponse est très simple. Parce qu’ils ont des défis en matière de sécurité nationale et qu’ils considèrent l’arme nucléaire comme un élément important pour garantir la sécurité nationale.
C’est pourquoi on ne peut pas retirer un élément de toute la structure de sécurité. Le mécanisme de désarmement nucléaire doit s’inscrire dans un processus plus large lié au changement des systèmes de sécurité tant au niveau régional que mondial.
– Parmi les pays qui soutiennent le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, certains d’entre eux disposent-ils de l’arme nucléaire?
— Non. Mais ironiquement certains pays européens qui ont participé à ce processus à l’étape initiale, étaient même à l’avant-garde du mouvement, l’ont quitté sous une très forte pression des USA.
– Ce traité restera donc une utopie?
— Probablement, oui.
– Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est prononcé pour le retrait de l’arme nucléaire américaine d’Europe. De quels pays est-il question? Dans quels pays l’arme nucléaire américaine est-elle présente et pourquoi la Russie s’y oppose?
– Pendant la Guerre froide, à l’époque de la rivalité nucléaire russo-américaine, notre arme nucléaire ne se trouvait pas seulement dans les 15 républiques de l’URSS mais également en Allemagne de l’Est, en Pologne et dans d’autres pays du Pacte de Varsovie. A la fin des années 1980, toutes les armes nucléaires ont été d’abord retirées d’Europe de l’Est, puis des républiques soviétiques. Nous l’avons fait. La Russie a rapatrié toutes ses armes, mais pas les USA. L’arme nucléaire américaine reste présente en Allemagne, en Turquie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Italie. Une question se pose: pourquoi?
La situation est absurde quand on connaît l’attitude de certains pays envers le nucléaire. En Allemagne, on estime que l’énergie atomique est dangereuse et tout un secteur ferme, mais des dizaines d’ogives nucléaires restent stockées sur le territoire du pays.
– Notre conversation donne l’impression que l’Iran n’est pas le principal perturbateur de la tranquillité nucléaire dans le monde, ni même la Corée du Nord. Il semblerait que les USA jouent un rôle plus notable en ce sens…
– Je ne simplifierais pas les choses. Il existe plusieurs facteurs qui influencent l’état actuel des choses dans le domaine de la non-prolifération. Malheureusement, aujourd’hui, les USA font souvent partie du problème et non de la solution. En partie parce qu’ils sont l’un des trois dépositaires de l’accord.
Un simple exemple. En 2015 s’est déroulée une conférence sur l’examen du TNP. Le document final a été convenu, mais trois pays l’ont bloqué: les USA, le Royaume-Uni et le Canada. Tous les autres étaient prêts à le soutenir.
Dans les accords sur l’Iran, les Américains ont joué un rôle crucial mais la nouvelle administration est arrivée et elle est prête à tout détruire.
Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur de l’article repris d’un média russe et traduit dans son intégralité en français.
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