Nigeria-Biafra/Emmanuel Igah (analyste) « L’ère n’est pas à la sécession »
Mais où est donc passé Nnamdi Kanu ? Hier mardi 17 octobre, le chef indépendantiste du Biafra était absent à l’ouverture de son procès devant un tribunal d’Abuja, la capitale du Nigeria. Cinquante (50) ans après, où en est le mouvement séparatiste du Biafra ? Le Franco-Nigérian Emmanuel Igah dirige Phobos, une société de conseil en géopolitique et en développement. Voici sa position.
A l’ouverture de son procès hier, Nnamdi Kanu était absent et son avocat a lancé à la présidente : « Votre Honneur, je ne peux pas dire si mon client est mort ou vivant ». Qu’est-ce que vous en pensez ?
Ah ! Ça c’est, je crois, le jeu classique des avocats. Il était prévisible que Nnamdi Kanu ne se présenterait pas à cette audition. Il est caché quelque part, peut-être toujours dans la région ibo. Certains disent qu’il a peut-être été exfiltré par ses partisans à l’étranger. Mais bon… On n’a pas de preuves.
Mais visiblement, l’attaque de son domicile le 14 septembre dernier a été meurtrière !
Oui, des militaires ont été envoyés à l’est du Nigeria pour affronter les partisans du Biafra, qui n’étaient pas encore des gens armés. Mais ça a quand même tourné à des affrontements violents. Ça a été très décrié au Nigeria et à l’étranger. Donc je pense que le gouvernement a décidé, peut-être, de changer son fusil d’épaule, en empruntant la voie judiciaire pour tenter de maîtriser cette situation.
Selon le frère cadet de Nnamdi Kanu, l’attaque du 14 septembre dernier aurait causé la mort de vingt huit (28) personnes. Est-ce qu’éventuellement le leader indépendantiste aurait pu être tué lors de ces événements ?
Ce serait très surprenant. Si Nnamdi Kanu avait été tué, je pense qu’on l’aurait su depuis longtemps. Je pense que ce n’est pas possible.
Comme au Kurdistan et comme en Catalogne, le mouvement IPOB de Nnamdi Kanu réclame un référendum d’autodétermination au Biafra. Est-ce qu’il a une change de l’obtenir ?
Ah, non ! Je pense qu’il ne l’obtiendra pas. Ça s’est passé en Catalogne, le gouvernement espagnol ne reconnaît pas ce référendum. Et même en Irak d’ailleurs avec les Kurdes. Aucun pays n’accepterait comme ça, qu’une partie importante de son territoire puisse décider de façon unilatérale d’organiser son référendum. Il y a eu des cas où cela s’est passé ; au Soudan, etc., mais ça a été négocié au niveau de la communauté internationale.
Pour le Nigeria, l’heure n’est pas à la sécession. Il y a des problèmes importants, parce que le prix du pétrole a fortement chuté, il y a un problème de cohésion entre les différentes ethnies du Nigeria, de polarisation ethnique et politique – et même religieuse –, donc on a pas mal de problèmes. Mais de façon, à mon avis consensuelle, la classe politique et la population nigériane dans sa grande majorité souhaiteraient qu’on trouve des solutions par le dialogue. On n’est pas à un niveau où on voudrait l’éclatement du pays. Ce n’est pas le souhait des Nigérians actuellement.
On dit qu’à Abuja le vice-président Osinbajo est plus ouvert au dialogue que le président Buhari.
Oui, ça ce n’est peut-être pas difficile à comprendre. Osinbajo est un vice-président issu de la société civile nigériane – il est professeur de droit –, et le président Buhari, lui, est un ex-général. D’une manière ou d’une autre, le dialogue se produira, mais ce ne sera pas un dialogue direct entre la fédération et les Igbos de l’est, qui veulent faire « sécessionner » à nouveau. Ce serait un dialogue global, parce que le sentiment de mécontentement touche l’ensemble des régions du pays. Il y a des problèmes de redistribution des ressources et les Nigérians sont en train de clamer, haut et fort, l’organisation d’une sorte de conférence nationale pour redéfinir les termes de la coexistence des différentes composantes de la fédération.
Peut-il y avoir alliance entre le mouvement IPOB de Nnamdi Kanu et les rebelles du delta du Niger ?
Je ne pense pas. Nnamdi Kanu tente de convaincre les populations de tous ces Etats du Delta, qui sont des Etats au cœur de la région pétrolifère du Nigeria. Et jusqu’ici je crois que c’est une fin de non-recevoir qui lui a été opposée. Les gens ne veulent pas recommencer l’expérience de la guerre civile des années 1960 qui a été très pénible et très sanglante.
Et peut-il y avoir des passerelles entre ces sécessionnistes du Biafra et les autonomistes du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun ?
Un tel développement n’est pas à exclure. Si les deux pays laissaient cette situation dégénérer – ce sont deux régions qui sont limitrophes, donc il n’est pas impossible qu’il y ait une sorte de synergie qui se produise un peu plus tard. Mais je pense que de la même façon que le Nigeria et le Cameroun coopèrent pour combattre Boko Haram, les deux gouvernements du Cameroun et du Nigeria auront à cœur d’œuvrer ensemble pour qu’une telle éventualité ne se produise pas. Parce que ce n’est pas bon ni pour le Cameroun ni pour le Nigeria qu’on ait une situation d’instabilité dans cette partie du Nigeria et du Cameroun.
Il y a cinquante ans les séparatistes biafrais ont eu le soutien des pays francophones et de France. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Tout laisse à penser que, pour l’instant, Nnamdi Kanu et son mouvement – l’IPOB – sont assez isolés. Je ne vois aucun pays qui souhaiterait que le pays le plus peuplé d’Afrique puisse entrer dans un affrontement militaire, comme cela a été le cas dans les années 1960. Donc le Nigeria, à mon avis, peut compter sur la bonne volonté et la bienveillance des grandes puissances du monde actuellement.