Fif-Affaire « C’est Sidy qui a rappelé Kalou en sélection » : Voici la réplique cinglante de Bonaventure Kalou à Sory Diabaté
Par André Silver Konan.
Les vérités cinglantes de Bonaventure Kalou sur la crise à la Fif. L’ex-international ivoirien répond à ses détracteurs, à travers un échange qu’il a eu avec le journaliste-écrivain André Silver Konan.
Que reprochez-vous exactement à la gestion actuelle du football par la Fédération ivoirienne de football ?
C’est une gestion opaque du président Sidy Diallo et de son équipe. Sous son mandat, plusieurs grands sponsors comme Orange et Bolloré ont arrêté leur appui à la sélection nationale, pour des raisons liées à la personne du président de la Fédération. Ce dernier entretient des relations conflictuelles avec des dirigeants de clubs et non des moindres, dont Me Roger Ouégnin de l’Asec Mimosas et Jacques Anouma, l’ancien président de la fédération. On ne peut pas diriger une fédération de football, espérer glaner des lauriers importants, en ouvrant autant de fronts. Le dernier étant la bagarre avec le président de la Fédération marocaine de football. Quel exemple veut-on donner à nos jeunes footballeurs quand le président de la fédération lui-même se bagarre ? Quel message veut-on passer en terme de fair-play, quand cinq à six jours après, au lieu de s’excuser, on réitère que si cela était à refaire, on l’aurait refait ? A ce niveau, on doit être un exemple, en termes de comportement et de gestion. De même, il gère sans rendre compte à ses mandants, à savoir les dirigeants de clubs qui l’ont élu. C’est la raison pour laquelle des clubs lui demandent une assemblée générale. L’assemblée générale n’est pas de la mer à boire. Quand on a rien à se reprocher, on ne fuit pas une assemblée générale, on ne conteste pas la procédure de demande d’une assemblée générale, en s’appuyant sur des questions de forme, liées à une virgule ou à un point-virgule ou en usant de chantage à la subvention, pour amener certains signataires à renier leurs signatures.
Au demeurant, Sidy n’a pas su réunir autour de lui tous les animateurs du monde du football en Côte d’Ivoire. Et cette propension au refus du fair-play s’est accentuée à l’issue de sa réélection. Le problème va au-delà de Sidy Diallo. C’est une réforme du football ivoirien que nous demandons, y compris la réforme de la gestion des clubs. En clair, même ceux qui réclament des comptes à Sidy Diallo doivent faire la démarche pour se mettre à niveau, par rapport au logiciel de gestion d’un club de football moderne.
Comment expliquez-vous la débâcle des Eléphants, deux ans seulement après leur victoire à la coupe d’Afrique ?
Cette débâcle était prévisible. L’équipe avait pour ossature les « Académiciens » de la génération 90. Il fallait préparer une nouvelle génération pour prendre la relève, ce qui n’a pas été fait. La stratégie qui consiste à se baser sur des bi-nationaux ne me semble pas efficace. Je précise que je n’ai absolument rien contre les bi-nationaux, ils sont d’ailleurs très brillants. Cependant ils ne connaissent pas bien l’environnement africain et ivoirien en particulier. Ils arrivent et sont comme jetés dans la fosse aux lions. Globalement, le contexte africain est différent du contexte européen. Former donc une équipe en se fondant sur cette unique stratégie est risqué et la conséquence est visible, c’est la débâcle. Il eut fallu former une ossature et faire soutenir celle-ci par des bi-nationaux, pas le contraire. L’échec était donc prévisible au regard de la politique actuelle du football défendue par l’équipe dirigeante. Rappelez-vous, avant le match contre le Maroc, j’avais prédit qu’une victoire serait problématique et que si celle-ci survenait, ce serait parce que les jeunes gens se seraient battus comme des lions, et que de toutes les façons, c’aurait été un arbre de victoire ponctuelle qui aurait caché une forêt de panne de stratégie structurelle.
Vous vous attaquez à la vision actuelle de Sidy Diallo, mais à en croire son bras droit, Sory Diabaté, vous-même avez bénéficié de cette vision, puisque c’est lui qui vous a rappelé en équipe nationale. Comment pouvez-vous profiter d’une « vision » et venir quelques années plus tard, la critiquer ?
Au moment où je jouais en équipe nationale, Sidy Diallo n’était pas président de la Fif, il était deuxième ou troisième vice-président. Il n’aurait donc pas eu le pouvoir de me rappeler en sélection nationale. Au demeurant, le fait même que son équipe actuelle le dise (quoique cela soit faux en ce qui me concerne) signifie que c’est leur vision d’une sélection nationale. Je ne suis pas étonné qu’on ait accusé, à un moment donné, des dirigeants, de monnayer l’appel en sélection. Personnellement, je ne rentrais pas dans ce canevas, chaque fois que je suis venu en sélection, c’est parce que je le méritais. Quand on partait à la coupe du monde, je jouais à Paris et j’étais le meilleur à mon poste. L’entraîneur n’est pas dupe, il m’a fait appel. Quand je ne l’ai plus mérité, je ne suis plus allé en sélection. C’est aussi simple que ça. En définitive, cette vision est paternaliste et est en totale contradiction avec la vision orthodoxe d’une sélection nationale. En effet, on vient en sélection nationale parce qu’on a les aptitudes nécessaires, non parce qu’un président de fédération vous y appelle. En outre, il n’appartient pas à un homme qui n’est pas sélectionneur national, fut-il président de la fédération, de convoquer des joueurs en équipe nationale. Sans doute que c’est ce qui est fait sous sa présidence, à savoir que les joueurs sont appelés selon son bon vouloir et c’est vraiment malheureux. C’est tout cela qui nous détermine à réclamer une réforme du football ivoirien.
Que répondez-vous à ceux qui disent que votre génération veut prendre le pouvoir à la Fif ?
Le football nous a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui. Nous aimons le football, nous voulons que d’autres jeunes réussissent dans la vie grâce au football. Nous ne pouvons donc pas assister à la prise en otage de ces rêves et ne rien faire. Ce serait une fuite de responsabilités. Nous ne pouvons pas regarder, en tant que spectateurs, à la mise à mort du football ivoirien, alors que nous avions été des acteurs. Ce sont des prises de position normales et légitimes. Une chose est certaine, que ce soit Didier Drogba ou moi, nous ne pouvons pas faire pire que ce qui est fait actuellement, vu le niveau où notre football se trouve.
En quelques mots, quelle est votre vision du football ?
Ma vision est simple. Nous sommes allés en Europe pour nous frotter à ce qu’il y a de mieux, en termes d’organisation, de gestion et de management du football. Le football est un spectacle mais à la fois un business qui se vend très bien. Il faut juste savoir le vendre, avoir un projet et intéresser les managers. La stratégie basée uniquement sur des subventions de la fédération est limite et c’est malheureusement cette vision qui est poursuivie par de nombreux dirigeants de clubs aujourd’hui. Conséquence : ceux-ci, comme on le voit en Côte d’Ivoire, sont sujets à du chantage à la subvention. Pour rendre le championnat plus attrayant, les clubs doivent être davantage forts, en allant chercher des partenariats ici ou ailleurs. L’objectif étant de garder sur place nos meilleurs éléments. En effet, ce qui se passe aujourd’hui est que quand un jeune réussit deux ou trois matchs, il cherche tout de suite à se rendre dans les pays du Maghreb, voire en Mauritanie. Le football ivoirien est riche, sauf que seule la fédération profite de cette manne.
En 2021, la Côte d’Ivoire va organiser la CAN à domicile, comment ne pas se faire humilier ?
Il faut que le ministre s’implique davantage dans cette crise qui risque de perdurer entre d’un côté ceux qui demandent une assemblée générale et de l’autre ceux qui ne veulent pas en entendre parler à la fédération. Aucun projet important ne pourra évoluer, tant que cette méfiance et cette crise demeurera. Sinon pour ma part, c’est simple, il faut davantage investir dans la formation. On n’a plus trop le temps, il reste trois ans. Il faut aller chercher les meilleurs formateurs pour qu’ils viennent former ceux qui forment les gamins. Il n’y a pas de secret, quand les Belges n’arrivaient pas à se qualifier pour les compétitions européennes, ils ont amené tous leurs formateurs en France, quand ce pays a remporté la coupe du monde en 1998. Le résultat ne s’est pas fait attendre : la Belgique dispose de l’une des meilleures équipes en termes de jeu, en Europe. Cependant pour pouvoir investir dans la formation, il faut que tous les différends soient aplanis. Le statu quo n’est à l’avantage de personne.
Globalement, qu’est-ce qu’il faut pour un éveil des consciences de la jeunesse africaine ?
La jeunesse africaine doit commencer à se prendre en charge. En tant que jeunes, nous devons arrêter le suivisme « moutonnier » qui consiste à suivre, sans réfléchir, sans effort personnel d’analyse de la situation, tout ce qu’un leader politique dit. Chacun de nous en tant que jeune doit réfléchir pour lui-même. Le temps où on votait une personne selon sa région ou son groupe communautaire est révolu. La meilleure façon de s’affranchir est de voter des programmes et des idées et je pense que ces temps-là sont en train de venir. Dans tous les pays du monde les jeunes essayent de s’affirmer et de s’affranchir. Le président français Emmanuel Macron est le symbole achevé de cet affranchissement. Le monde bouge et il faut bouger avec lui, pas de rester dans l’obscurantisme et entretenir des positions effroyablement partisanes comme je le vois souvent sur certains forums de discussions de jeunes intellectuels.
Quel est votre rêve secret pour la Côte d’Ivoire ?
Mon rêve aujourd’hui c’est que le football ivoirien sorte de ces sentiers battus, retrouve ses lettres de noblesse et se lance irrésistiblement vers le sommet. Mais au-delà du football, c’est un rêve pour la Côte d’Ivoire. Je rêve que les élections de 2020 se déroulent sans violences. J’entends des choses et certaines personnes, à tort ou à raison, ont peur. Je ne cache pas que des amis m’ont déconseillé de faire revenir mes enfants au pays, au motif que « ce n’est pas fini », mais j’ai pris l’option d’un retour définitif dans mon pays. Je ne souhaite pas que les élections soient des moments d’angoisse pour les populations. Les élections doivent se passer de façon apaisée, comme au Ghana, qui est un bon exemple de transition et d’alternance. Nous ne construirons pas ce pays sur la base de guerres et de violences. L’histoire est un perpétuel recommencement et quand on ne tire pas des leçons du passé, on est amené à répéter les mêmes erreurs.