Crises économiques/La catastrophe a-t-elle été évitée ?
Par Michel Santi*
Nonobstant la forte correction de l’ordre de 10 % survenue récemment sur les bourses, la première économie mondiale, celle qui précède toujours toutes les autres en termes de croissance comme de dépression, celle qui sert d’exemple ultime en matière de néo libéralisme, – l’économie américaine – s’est donc redressée de manière spectaculaire depuis la crise des années 2007 – 2008. Marché de l’immobilier en constante progression, chômage au plus bas depuis une génération et marchés boursiers euphoriques sont autant de preuves de ce redressement exemplaire d’une économie ayant néanmoins frôlé la catastrophe il y a dix (10) ans.
La classe moyenne américaine est pourtant fort loin d’avoir retrouvé son niveau de vie précédent cette récession, et n’a pas non plus récupéré toutes ses richesses volatilisées à la faveur de la crise financière. En fait, tirés vers le bas par des revenus stagnants – en dépit d’une conjoncture économico-financière florissante – les salariés US sont aujourd’hui confrontés à une situation et acculés à des extrémités équivalentes à celles ayant prévalu au milieu des années 1990. C’est donc à un authentique retour vers le passé qu’est contrainte la classe moyenne américaine – naguère si enviée par les européens – car une étude de la Réserve Fédérale démontre une chute de 8% de sa richesse en vingt ans ! Cette rétrogradation se transforme cependant en une déchéance en bonne et due forme pour les moins bien nantis dont les maigres avoirs ont littéralement fondu de 22% durant la même période.
Les plus pauvres sont effectivement les damnés d’un système qui fonctionne par les riches et pour les riches ayant, eux, augmenté leur fortune de 146% depuis 1998 ! Les disparités des revenus sont encore plus choquantes car, tandis que 90% des citoyens américains ont subi un effondrement de 50 % du fruit de leur travail, les 1% les plus riches d’Amérique ont pu jouir d’une flambée de 23 % de leurs revenus !
À présent que les bourses semblent décrocher ou, à tout le moins, devoir s’ajuster sur l’économie réelle que vivent au quotidien les vrais gens, tournons-nous vers les Gates, les Bezos, les Zuckerberg, les Musk et vers les frères Kock qui ont très certainement analysé et la Grande Dépression et les liquéfactions des années 2007 – 2008, car on peut légitimement douter qu’ils en aient tiré un quelconque enseignement. L’économie de ce début de XXIe siècle n’est effectivement en rien plus saine que celle de la fin des années 1990 car le capitalisme de 2018 est encore et toujours tiré par la seule locomotive de la finance.
Dans ce jeu de dupes à somme nulle pour la société civile, des géants comme Apple disposent d’une richesse aberrante évaluée à environ 375 milliards de dollars qui ne seront évidemment pas réinvestis sur leurs produits mais sur les marchés financiers et dans une ingénierie qui leur permettront de se soustraire autant que possible à l’impôt. Dans ce monde de 2018, les entités comme Apple et bien d’autres ne sont plus qu’un gigantesque fonds spéculatif dont seulement un wagon est dédié à l’innovation technologique, et dont la quasi-totalité des éléments constitutifs ne bénéficient donc ni à la consommation ni à la société.
Après la tragédie des années 2007 à 2010, et alors que les classes moyennes sont en plein déclassement au sein de toutes les nations occidentales, les heureux 1% doivent très sérieusement peser les conséquences de leurs actions et de leurs décisions, et surtout ne pas se cacher derrière le prétexte – usé jusqu’à la lie – selon lequel ils ne pouvaient prévoir un nouveau et inéluctable cataclysme accentué – sinon provoqué – par leur appât immodéré du gain. Alors que le monde de la finance semble parti pour de nouvelles secousses d’hyper volatilité et d’hyper instabilité – qui sont sa marque de fabrique- nul ne peut plus aujourd’hui se prévaloir d’ignorer les conséquences de ses actes.
* économiste et banquier