Coups d’Etats en Afrique/Qu’est ce qui fait courir les militaires ?
Par Nazaire Kadia*
La spirale des coups d’états continue de faire son chemin en Afrique de l’ouest, dans la sphère francophone. Après la Guinée, le Mali, c’est autour du Burkina Faso de s’inviter au banquet.
Une révolte des militaires qui, dans un premier temps demandaient la démission de certains de leurs chefs a fini par avoir raison du président Roch Christian Kaboré et de son pouvoir. Le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), est dans la place avec à sa tête le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
La joie qui s’est emparée de la rue ouagalaise à l’annonce de la chute du président Roch Christian Kaboré, est à la dimension de l’exaspération, de la déception et des ressentiments d’une population face à l’incapacité du pouvoir à donner une réponse appropriée aux attaques des terroristes et autres djihadistes, avec à la clé des centaines de morts.
C’est le lieu de véritablement s’interroger sur la récurrence de ces coups de force et l’intempestive irruption des militaires sur l’échiquier politique en Afrique de l’ouest. Qu’est ce qui fait courir ces militaires ?
Faut-il en vouloir à ces militaires et leur propension à quitter les casernes pour mettre fin à des pouvoirs civils issus d’élections ?
Assurément oui. Sur le principe, aucun démocrate ne peut se satisfaire de la présence des militaires à la tête de nos états et les lendemains incertains qu’ils font vivre aux pays. Cela doit être condamné avec la dernière énergie.
Cependant les pouvoirs civils en Afrique de l’Ouest ne sont guère exempts de tous reproches. Ils font souvent preuve d’incurie et leur gouvernance, caractérisée par la prise en otage des libertés sous toutes ses formes, la corruption, le favoritisme, les détournements de deniers publics, la suffisance, l’arrogance, et le tripatouillage des constitutions pour se maintenir au pouvoir, finissent par développer un sentiment de rejet au sein d’une population qui ploie sous le fardeau d’une paupérisation galopante.
Les dirigeants font souvent preuve d’une passivité incroyable face aux préoccupations existentielles du peuple, et donnent l’impression d’être loin de ce peuple.
Dès lors, le peuple se met à rêver d’un changement quel qu’il soit, et n’hésite pas à donner sa caution à un coup d’état sans en mesurer les conséquences. Mais qu’importe ? Pourvu que ceux qu’il croit être incapables de trouver des solutions à ses problèmes, plient bagage !C’est aussi le lieu de s’interroger s’il n’est pas possible d’écouter attentivement ces militaires putschistes sur leurs vraies intentions et tirer quelque chose de bon dans ces changements brusques de pouvoir.
En effet, il est usuel, que l’on presse ces militaires venus au pouvoir, d’organiser des élections et de remettre rapidement le pouvoir aux civils, sans que les problèmes qui les ont conduits à faire irruption sur l’échiquier politique n’aient connu un début de solution. Cette façon de faire conduit la remise de pouvoir aux civils et peu de temps après, on assiste à un autre coup d’état. N’est-il pas possible, avec la réalité de la perte du pouvoir des civils constatés, de tout remettre à plat, afin de recommencer à zéro, pour éviter ce cycle infernal de coup d’état.
Aujourd’hui, il est de notoriété publique, que le Ghana est cité en exemple comme un pays totalement immergé dans la démocratie, où l’alternance est une réalité et où un président en exercice peut perdre une élection qu’il organise lui-même, sans que le ciel ne tombe sur la tête des ghanéens.
Cette situation n’est pas née ex nihilo. Le Ghana a lui aussi connu une période où les coups d’états étaient monnaie courante. Le dernier, celui de John Jerry Rawlings a permis de tout remettre à plat, de faire le nettoyage nécessaire, mettre tout le monde au pas, et quand l’heure fut venue, le pouvoir fut remis aux civils. Aujourd’hui, les coups d’états sont un lointain souvenir pour les ghanéens.
Pourquoi ne pas donner la chance au Mali avec le colonel Goïta de dupliquer cet exemple. Il suffira de l’accompagner pour y arriver. Les menaces et autres sanctions ne changeront rien à la donne. Le pouvoir peut être remis aux civils aujourd’hui sans pouvoir empêcher un coup d’état le lendemain.
La forte mobilisation à Bamako et à Ouagadougou pour soutenir les militaires, doit interpeler les uns et les autres sur le fait que souvent, les militaires portent sur leurs épaules les espérances d’un peuple désabusé, paupérisé et fatigué, qui ne fait plus confiance aux hommes politiques. Il faudra certainement en finir avec ces vieux clichés qu’on a de ces militaires, non instruits, incultes, incapables de réfléchir et de concevoir un projet de société.
Loin de nous l’idée de faire l’apologie des coups d’états et des militaires, mais voir des chefs d’Etats à la légitimité douteuse et pour qui la démocratie n’est pas la tasse de thé, donner des leçons (de démocratie) est absolument inacceptable !
Comme le dit un ami mien, le corbeau peut bien se faire à l’idée qu’il chante moins bien que le rossignol ; mais que cette appréciation vienne du margouillat qui n’a jamais eu à entonner un chant, est une véritable insulte qu’il ne peut accepter.
Ainsi va l’Afrique.
Mais s’il y a eu un soir en Afrique, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.
* Analyste politique