Coopération sécurité et défense/Le Colonel Xavier Lafargue (Attaché de défense)

« Nous devons inciter la Côte d’Ivoire à être innovante dans notre  manière d’appréhender la coopération ».

Attaché de défense auprès de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire depuis 2015, le colonel Xavier Lafargue est issu de la promotion  « Général Delestraint » de Saint Cyr. Il a servi dans les forces spéciales, au sein du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine à Bayonne, de la brigade des forces spéciales terre et du commandement des opérations spéciales. Il a par ailleurs commandé le 2ème régiment de  parachutistes d’infanterie de marine à La Réunion. Le colonel Lafargue est également riche d’une grande expérience opérationnelle. 

  Colonel, quelles sont vos missions en tant qu’Attaché de  défense à l’ambassade de France en Côte d’Ivoire ? 

L’Attaché de défense est le représentant du ministère de la Défense au sein de l’ambassade. Il est à ce titre le conseiller défense de  l’ambassadeur. Je le conseille donc, tant sur les aspects défense du pays hôte que sur les aspects défense de la France, notamment dans la sous région, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire où nous avons un  contingent de 900 hommes des Forces françaises de Côte d’Ivoire (FFCI). Plus précisément, l’Attaché de défense a trois missions  principales. Celle qui est consacrée au renseignement d’intérêt militaire. L’Attaché de défense doit avoir une bonne connaissance des  armées du pays hôte et de son environnement sécuritaire, de manière à anticiper les menaces  éventuelles. Cela est d’autant plus sensible en Côte d’Ivoire où 17 500 ressortissants français y sont  installés.   Il y a également celle de la coopération défense. Particulièrement importante en Côte d’Ivoire, la coopération défense se  décline en deux axes : la coopération structurelle et la coopération opérationnelle. Cette coopération a pour objet de renforcer les capacités militaires de sécurité et de défense des Ivoiriens. La partie sécurité est majoritairement conduite par mon collègue l’Attaché de sécurité intérieure à l’ambassade mais un peu par moi aussi car l’appui à la sécurité maritime relève de ma responsabilité. Au total, nous avons en Côte d’Ivoire 8 projets de coopération pour 11 coopérants. Deux autres coopérants s’ajouteront d’ici cet été, et enfin celle du soutien à l’industrie de défense française. L’Attaché de défense doit renseigner la Direction  générale de l’armement (DGA) en France sur les besoins potentiels de la Côte d’Ivoire, accueillir les industriels français du domaine de la défense de passage en Côte d’Ivoire et les mettre en relation avec les bonnes personnes et encourager les ivoiriens à participer aux grands salons français de l’armement.

En plus de ces trois principales missions, l’Attaché de défense est également en charge du devoir de mémoire et du  souvenir, en lien avec les associations d’anciens combattants.

  Quelles sont les différents aspects de la coopération défense en Côte d’Ivoire ?

La coopération défense vise à transformer les armées de Côte d’Ivoire pour que celles-ci atteignent les standards d’une armée moderne, républicaine, bien équipée, taillée à la juste suffisance et capable d’intervenir en opération extérieure. Les événements récents [les mutineries] nous ont démontré que l’objectif est loin d’être  atteint… Le travail de coopération doit donc continuer. Comme je vous l’ai dit précédemment, il y a deux types de  coopération : la coopération structurelle et la coopération opérationnelle. La première est le squelette, la seconde, le muscle. L’une ne va pas sans l’autre.

Dans le domaine de la coopération structurelle, il y a deux grands axes. Celui de la formation,  assurée par les coopérants à l’Ecole de formation des armées (EFA) et à l’Institut de  sécurité maritime interrégional (ISMI) et celui de  l’appui à l’organisation et au commandement, assuré par les conseillers-coopérants auprès des chefs d’état-major et du Ministre de la Défense.

Quant à la coopération opérationnelle, elle se décline en trois axes. D’abord par  la préparation aux opérations extérieures, plus particulièrement aux opérations de maintien de la paix. Récemment au mois d’avril, la Côte d’Ivoire a projeté une compagnie de protection au sein de la  Minusma à Tombouctou. Celle-ci a été entraînée tour à tour par les Force française en Côte d’Ivoire (FCI) et les Eléments français au Sénégal (EFS). D’ailleurs à ce propos, les retours de la Minusma sur le contingent ivoirien sont très positifs ! C’est une excellente nouvelle.  Ensuite par le rehaussement du niveau des unités prioritaires choisies par la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire procède par priorités car elle ne peut remonter d’un coup d’un seul l’ensemble du niveau des forces  armées. Cela se fera petit à petit, et enfin par la coopération militaire sous-régionale, à travers le Plan Conjoint de Coopération Opérationnelle (Pcco). Piloté par les EFS, ce plan vise à intensifier la coopération entre les pays de la sous-région et de les faire réfléchir aux problématiques de sécurité qu’ils ont en commun, notamment la sécurité des frontières, la lutte contre le terrorisme, le renseignement, etc…Ce Plan  est sous l’impulsion française mais c’est une affaire africaine.

Parallèlement à tout cela, la France assure de manière permanente la mission Corymbe, dans le golfe de Guinée. Celle-ci participe à la diminution de l’insécurité maritime, en aidant les marines riveraines à renforcer leurs capacités d’action dans les domaines de la sécurité et de la surveillance maritime. Cette mission, qui relève de la coopération opérationnelle, est complémentaire à la formation assurée par l’ISMI dans le domaine de la sécurité et la sûreté  maritimes.

Enfin, la France forme constamment les forces spéciales ivoiriennes pour doter la Côte d’Ivoire d’une unité  d’intervention capable de s’opposer à une attaque terroriste.

Y-a-t-il eu une évolution de la coopération défense, depuis les mutineries ?  

A l’issue des mutineries du mois de janvier, nous avons tiré un certain nombre de conclusions qui nous ont amené à faire de nouvelles propositions. Cependant, nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer le changement étant donné que nous initions des modifications au niveau de la coopération structurelle qui s’apprécient sur le long terme. D’ailleurs, les deux coopérants qui vont s’ajouter à l’équipe, conséquence des mutineries de janvier, ne sont pas encore arrivés en Côte d’Ivoire. En effet, les coopérants sont affectés à l’été. C’est donc dès cet été que les choses vont se mettre en place. Le premier coopérant aura pour mission la formation, celle des cadres en particulier car nous nous sommes aperçus que l’un des défauts des bataillons de Côte d’Ivoire était son manque d’encadrement,  son manque de leadership. Donc nous allons concentrer nos efforts sur la formation à l’Efa et à l’Ecole nationale des sous-officiers d’active en créant notamment un poste de Directeur général de la formation.

Le deuxième coopérant sera quant à lui affecté à la Direction générale du renseignement de sécurité et de défense. Il s’agit d’un spécialiste du renseignement qui assistera le ministère de la Défense dans la montée en puissance de son outil de renseignement d’intérêt militaire. Nous avons en effet constaté que la Côte d’Ivoire ne l’exploitait pas de manière optimale, ce qui explique son incapacité à anticiper les menaces.

Voici donc les quelques changement qui vont se mettre prochainement en place au niveau de la coopération  structurelle. Pour ce qui est de la coopération opérationnelle, l’enjeu est de faire de l’armée ivoirienne une armée d’emploi, c’est-à-dire une armée préparée à partir en opérations extérieures. La France s’y est engagée et préparera les prochains bataillons que la Côte d’Ivoire souhaitera projeter. Actuellement, nous travaillons sur la relève de la compagnie à Tombouctou. Et à partir du mois de septembre, nous formerons pendant quatre mois intenses un  premier bataillon qui devra être projeté d’ici janvier 2018. Un deuxième bataillon devrait être également formé mais celui-ci – si c’est confirmé – ne partira pas avant le mois d’avril 2018.

La coopération défense se réorganise pour soutenir la Côte d’Ivoire dans sa quête d’une armée structurée et  républicaine. Nous avons également relancé le chantier de la rationalisation des effectifs

Peut-on espérer que la participation de la Côte d’Ivoire à la Minusma« tire les troupes vers le haut» comme l’a déclaré le Cema Touré Sékou ? 

Oui en effet, nous comptons bien sur le fait que l’engagement opérationnel tire les troupes ivoiriennes vers le haut. C’en est même certain car l’expérience s’est vérifiée bien avant sur d’autres nations à commencer par la France. Les armées françaises sont devenues plus aguerries, plus entraînées, mieux équipées et donc meilleures suite à ses engagements en opérations extérieures, notamment en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, au Sahel, et j’en passe. Cela s’est également vérifié en Afrique. Avec de la volonté politique, certains pays tels que le Bénin, la  Guinée et le Togo, ont renforcé les capacités de leurs armées en les projetant sur des théâtres d’opérations  extérieures. Ici en Côte d’Ivoire, le même phénomène d’entraînement vertueux se vérifiera. Les militaires qui  rentreront d’opérations extérieures seront expérimentés et partageront leurs expériences. Les prochains qui  partiront seront motivés par la perspective et seront à leur tour expérimentés. Cela créé une véritable émulation au sein des armées.

Quel regard portez-vous sur l’avenir de la coopération franco-ivoirienne ? 

Malheureusement, je porte un regard plus sombre que celui que je portais il y a un an. Il est vrai que j’étais plutôt optimiste à mon arrivée. J’avais de toute façon le devoir d’y croire. Les mutineries ont démontré que l’armée ivoirienne a des maux internes bien plus profonds que ce que j’avais estimé. D’ailleurs, je crois que les ivoiriens se réveillent avec la « gueule de bois » car ils en ont fait eux aussi l’amer constat…

Du point de vue de la coopération, on est loin de la capacité d’appropriation totale. Or, toute coopération – de  substitution au début – doit tendre vers l’appropriation. Ce n’est pas que les Ivoiriens sont incompétents. Bien au contraire. Il n’y a juste pas de volonté et trop de dissensions entre les hommes. La Côte d’Ivoire a encore besoin de temps pour réconcilier son armée et mettre en place un outil de défense performant.

La Côte d’Ivoire ne peut pour l’instant pas se passer de la coopération défense. Cela prendra quelques années  encore. Par ailleurs, je reste persuadé que le modèle d’armée sur lequel s’est arrêtée la Côte d’Ivoire n’est pas  résilie. L’objectif des 20 000 hommes n’est à mon sens pas adapté au pays. L’avenir de l’armée ivoirienne repose donc sur la rationalisation de ses effectifs. Soit, dans le meilleur des cas, on arrive à faire partir décemment certains militaires. Soit, dans le pire des cas, on attend pour encore 20-25 ans, le temps de la nouvelle génération.

Nous devons inciter la Côte d’Ivoire à choisir la première option. Et pour cela il faut être innovant dans notre  manière d’appréhender la coopération. De son côté, la Côte d’Ivoire a besoin de ressources financières pour inciter et accompagner certains militaires à rejoindre le civil et ainsi bâtir un modèle d’armée plus résilient. C’est à cette condition impérative de succès que tient un partenariat réellement efficace. Sans ce pré requis, la coopération de défense est menacée de toujours remplir le tonneau des danaïdes.

Source : Nouvelles de Côte d’Ivoire

N.B : le titre est de la Rédaction