Coopération/La Russie a beaucoup réinvesti dès la fin des années 90 en Afrique
La Russie est de plus en plus présente en Afrique à travers une diplomatie officielle mais également via des acteurs privés comme Evgueni Prigojine, considéré comme le dirigeant de la milice Wagner ainsi que de différentes entreprises spécialistes de la désinformation en ligne. Dans une étude qui vient de paraître, Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) et auteur d’une thèse sur l’influence russe à l’université de Nanterre, fait une analyse cette présence en Afrique, notamment en Centrafrique et au Sahel notamment.
Comment la politique africaine de la Russie se traduit-elle sur le terrain ?
Il y a une domination très nette dans ce que les Russes appellent la coopération militaro-technique, c’est-à-dire les ventes d’armes, la formation militaire… Plus généralement aussi tout ce que l’on peut appeler la prestation de sécurité. C’est-à-dire que les Russes vont fournir des forces, des armes, etc., pour protéger éventuellement le gouvernement ou certaines infrastructures, certaines compagnies, dans plusieurs pays africains.
Cela passe à la fois par des acteurs étatiques, mais aussi par des acteurs non-étatiques, comme notamment la société militaire privée Wagner. Vous avez ensuite d’autres domaines qui sont plus faibles ou plus stagnants, comme celui, par exemple, de la diplomatie culturelle, qui sont surtout héritières des anciennes sociétés d’amitié soviétique en Afrique, mais qui sont assez peu nombreuses.
Et enfin, vous avez un dernier domaine, où vous avez clairement un accroissement et une montée en gamme depuis ces deux-trois dernières années et qui est le domaine justement de l’influence médiatique et informationnelle, qui se caractérise à la fois par ce que l’on appelle la diplomatie publique ou la propagande médiatique internationale, par des opérations d’influence ou de désinformation, et puis aussi – et c’est un élément intéressant – par l’infiltration par des acteurs russes, de certains écosystèmes médiatiques africains, notamment quand ceux-ci sont assez fragiles ou assez précaires et c’est le cas en particulier en République centrafricaine.
Dans quel contexte ce retour de la Russie en Afrique se fait-il ?
Il y a eu un retrait brutal de la Russie, après la chute de l’URSS, mais il y a eu un réinvestissement assez progressif dès la fin des années 1990 et début des années 2000, parallèlement à la volonté des autorités russes de ne pas être seulement orientées vers les pays occidentaux, même si c’est surtout depuis le Sommet Russie-Afrique de Sotchi, en octobre 2019, que la Russie a vraiment matérialisé ce retour en force sur le continent africain. L’année prochaine, il y aura une nouvelle édition de ce sommet Russie-Afrique qui devrait se tenir dans un pays africain.
Votre étude se penche en particulier sur l’influence médiatique de la Russie, d’abord de manière officielle et publique. Comment cela s’organise-t-elle ?
Ce sont d’abord les médias russes internationaux et notamment RT -Russia Today- et surtout Sputnik, qui est le mieux implanté. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est que la portée de ces médias est encore finalement très limitée, surtout si l’on compare à la France.
Pour vous donner juste un chiffre, on estime à peu près que moins 3% des audiences des sites web RT et Sputnik France viennent d’Afrique sub-saharienne francophone, alors qu’environ 70 à 80% de ces audiences viennent de France, même si l’on observe une croissance assez nette depuis 2018, en préparation du sommet de Sotchi.
Et c’est le cas en particulier de Sputnik France, qui se développe en Afrique subsaharienne francophone, et en particulier au Mali et au Cameroun, où justement ils réalisent d’assez bonnes audiences pour un média international, en tout cas.
Et puis vous détaillez des opérations d’influence indirecte…
Oui, il y a des opérations d’influence peut-être plus confidentielles, plus subversives… J’essaie d’ailleurs de faire un parallèle avec ce que l’on appelait à l’époque de la guerre froide, les « mesures actives », qui étaient ces opérations menées par le service « A » de la première direction générale du KGB.
Aujourd’hui, bien sûr, ce n’est plus le KGB. On connaît très mal… Si ce n’est pas du tout les actions des services des renseignements russes en Afrique, mais en revanche, il y a une documentation assez importante sur les actions d’acteurs qui sont des acteurs paraétatiques ou des acteurs privés et notamment le cas de cet homme d’affaires et entrepreneur d’influence bien connu, qui est Evgueni Prigojine.
Ce qui est intéressant avec ces opérations d’influence, c’est que vous avez d’abord des opérations de désinformation ou d’influence en ligne, cela a été le cas, par exemple, en République centrafricaine, un petit peu avant les dernières élections présidentielles. Et vous avez aussi la fabrication de faux documents.
Ces opérations d’influence, si on les compare avec les campagnes médiatiques plus ouvertes, la tonalité est beaucoup plus offensive, notamment en ce qui concerne la critique de la France qui est souvent ramenée à son passé colonial, à son attitude quasiment néo-impérialiste dans tous ces États africains.
Peut-on comparer la situation de l’opération Barkhane au Sahel avec la Centrafrique ?
Au Sahel, la situation est quand même très différente, parce que la France est très présente, malgré son retrait annoncé, et vous avez même des États « tampon » contre l’influence russe, comme le Tchad en particulier.
Donc ce que l’on observe c’est que, sur la couverture même de l’opération Barkhane, les médias russes étaient plus prudents et plus parcimonieux que pour ce qui concerne les actualités en Centrafrique. La question qui se pose, c’est surtout au Mali, parce que Sputnik est assez bien implanté dans le pays, le sentiment anti-Français atteint des sommets dans les États sahéliens…
Et se pose la question de la manière dont la Russie pourrait, non seulement essayer de capitaliser sur ce sentiment anti-Français et surtout comment elle pourrait occuper les vides qui vont être laissés dans les mois et les années qui viennent par la France, y compris dans cet espace informationnel, comme en Centrafrique, un peu plus d’un an après la fin de l’opération Sangaris.
Source : rfi.fr