Colombie/Une Française dans la guérilla des FARC

Révélé ce lundi 27 juin en exclusivité l’existence d’une Française au sein de la guérilla des FARC, quelques jours après la signature le jeudi 23 juin 2016 à La Havane d’un accord historique entre le gouvernement colombien et les FARC sur un cessez-le-feu bilatéral et définitif et le désarmement de la rébellion, qui marque la fin d’un conflit de plus de 50 ans. L’entretien réalisé par la journaliste danoise Lise Hermann s’est déroulé dans un campement de la guérilla du département du Chocó, au nord-ouest de la Colombie.

« Pour la guérilla, je m’appelle Nathalie Mistral. Je suis guérillera internationaliste des FARC-EP, j’appartiens actuellement au Front 57 du Nord Chocó, et je suis française, de Montpellier, dans le sud de la France ». C’est la seconde Européenne dans les rangs de la guérilla qui est ainsi révélée, une présence confirmée à l’AFP par la délégation des FARC à La Havane. « Je le confirme. Je connais la guérillera française, elle a toujours été à mes côtés », a déclaré le numéro deux des FARC Iván Márquez.

Jusqu’à présent, les FARC restaient très discrets sur les étrangers qui les avaient rejoints sur le terrain. Lors d’une attaque de l’armée en 2007, l’existence de la Néerlandaise Tanja Nijmeijer, alias Alexandra Nariño, avait été découverte, les militaires étaient tombés par hasard sur son journal de bord. Elle participe depuis 2012 aux discussions de paix à La Havane.

Quel sort pour les combattants étrangers des FARC après la paix ?

Lorsqu’il y a quelques mois la journaliste danoise Lise Hermann a demandé à la guérilla des FARC de pouvoir faire un reportage dans un de leurs campements, c’est vers celui du Nord-Chocó qu’elle a été dirigée. A son arrivée, elle a été accueillie par la Française, alias Nathalie Mistral. Il semblerait donc que les FARC veuillent désormais faire connaître l’existence de plusieurs étrangers dans leurs rangs. Car le sort de ces combattants étrangers est un sujet délicat qui devra être abordé avant la signature de l’accord final prévu en Colombie le 20 juillet, selon les déclarations du président Juan Manuel Santos.

« Des Européens ? Je dirais que nous sommes deux », a déclaré alias Nathalie Mistral à la journaliste. « Mais on ne se connaît pas tous. Tout le monde connaît Alexandra, n’est-ce pas ? [Tanja Nijmeijer alias Alexandra Nariño, ndlr], Mais je n’ai jamais entendu parler d’autres Européens. En revanche, il y a des Latino-Américains. Beaucoup. Des ressortissants de pays frontaliers : Panaméens, Vénézuéliens, Equatoriens, Brésiliens, il y a le cas de « Camilo l’Argentin », il y a des Chiliens, je n’ai pas eu vent de Boliviens, mais peut-être qu’il y en a… »

Vivre une révolution

Dans cet entretien, Nathalie Mistral explique ce qui l’a poussée à quitter son travail d’assistante sociale à Montpellier à la fin des années 1990 pour « vivre une révolution » en Amérique latine, en quête de justice sociale. Contrairement à d’autres qui ont coupé les ponts avec leur famille, elle a toujours gardé le contact avec la sienne, une famille ouvrière du sud de la France, un père pacifiste qui a participé à Mai 68 et qui a eu du mal à accepter la décision de sa fille d’opter pour la lutte armée. Attirée par « la poésie du sous-commandant Marcos », elle a d’abord rejoint le mouvement zapatiste dans le Chiapas au Mexique. Elle n’y est pas restée et s’est tournée vers la Colombie.

A partir de 2001, alors que les négociations de paix échouaient à San Vicente del Caguán entre le gouvernement et les FARC, la jeune femme a passé un an à approcher la guérilla. « L’idée n’était pas nécessairement de devenir guérillera, mais d’apporter mon aide, de voir comment je pouvais participer. » Acceptée par un commandant, elle a décidé d’y rester. « Je ne supporte pas de ne pas pouvoir vivre en adéquation avec mes idées. Ma conscience ne me le permet pas ! Quand on commence à vivre les situations et à partager ce que les gens traversent, on se rend compte que la lutte de la guérilla est une option nécessaire. Ce n’est pas un caprice, ce n’est pas parce que j’aime la guerre, non ! Personne n’aime la guerre ici. Mais la répression ne laisse pas d’autre choix. »

Formée à la guérilla par un enseignement rôdé, théorique sur le marxisme-léninisme bolivarien, dont se réclament les FARC, et au maniement des armes, Nathalie Mistral participe peu aux combats, plus dans l’organisation et les réseaux internationaux. « Je n’étais pas une guérillera permanente en uniforme. Je sortais, j’allais en ville, je voyageais, je parlais de l’organisation, j’organisais des réseaux de solidarité… mais je revenais toujours. C’est ce que je voulais. On m’avait proposé de rentrer dans mon pays pour y travailler sur place, mais je sentais que j’avais besoin de partager tout cela au quotidien avec les gens. J’ai passé de nombreuses années à faire cela. »

La vie dans un campement de la guérilla

« Le plus dur, c’est l’effort physique. Porter des chargements, marcher… Je n’ai jamais été une grande sportive… Les marches de plusieurs jours, jusqu’à ce que je m’habitue. C’est sans doute le plus dur pour les citadins, mais on s’habitue. » La vie au quotidien ? « On ne reste jamais plus de quatre ou cinq jours au même endroit, on vie avec un sac sur le dos, avec ce dont on a besoin : les vêtements, la nourriture, le matériel pour dormir, et on installait le campement à l’endroit où on arrivait ».
Appartenant à un groupe guérillero mobile, avec ses unités, elle montait et démontait les campements tous les quatre jours, en alerte (avant le cessez-le-feu) à cause des attaques de l’armée. « J’ai fait beaucoup de choses, mais peu de combats. En revanche les opérations, oui, parce que j’étais au milieu de la guerre. Mais aller combattre directement, non. Lorsque l’armée montait des embuscades, attaquait les campements, on devait fuir comme on pouvait. »

En dehors des unités mobiles, les FARC ont aussi des unités d’organisation, comme celle où elle se trouve actuellement dans le Nord-Chocó, explique Nathalie Mistral. « On est chargés des relations avec la population civile. On se déplace dans les zones peuplées. Certaines unités s’occupent de la propagande. Nous avons aussi des radios guérilleras, avec des personnes qui font des émissions de radio. J’ai aussi été dans une de ces unités auparavant, qui sont plus fixes. »

Un règlement très strict et des sanctions

Nathalie Mistral évoque également les règlements au sein de la guérilla, les tours de garde obligatoires, la structure militaire des FARC, les responsables militaires, politiques, de l’éducation, … Les règles sont strictes. « Il faut demander la permission pour tout, pour sortir du campement, on doit toujours savoir où sont [les guérilleros]. » Il n’y a pas de place pour la vie privée, souligne Nathalie Mistral : « Par exemple si un garçon me plaît, et que je veux passer la nuit avec lui, je dois en informer [les chefs]. On n’a pas vraiment d’espace privé, on entend tout, tout se sait, il n’y a de secret pour personne. Nous [étions] en guerre, donc le responsable doit avoir un contrôle permanent de ses troupes. Il y a les erreurs (les fautes) et les délits. Et pour chacun, des sanctions : sanctions physiques, des travaux d’intérêt général par exemple. Un délit peut être la désobéissance à un ordre. Pour le sanctionner, nous avons des conseils de guerre, avec un défenseur, un accusateur, et un jugement qui est rendu. Les fautes graves comme le viol, l’assassinat ou la désertion sont passibles du peloton d’exécution. Mais le secrétariat des FARC doit en être informé ».

Le drame pour les femmes guérilleras enceintes : avorter ou confier leurs enfants

Autre sujet abordé par la Française Nathalie Mistral dans l’interview, c’est la question de la maternité pour les femmes dans la guérilla. Un sujet sensible, car a priori, les femmes guérilleras n’ont pas le droit d’avoir des enfants, mais les règles ne sont pas strictes. « Dans une situation de guérilla mobile, on ne peut pas avoir d’enfant. Les conditions ne sont pas faites pour cela, ni pour vivre une grossesse, ni pour les élever. » Certaines avortent, mais beaucoup ont leur bébé et les confient à leur famille ou à des proches.

« C’est une souffrance de savoir qu’on va avoir un bébé, mais qu’on ne va pas pouvoir l’élever, qu’on ne va pas le voir. Pour moi, c’est encore plus dur que d’avorter. Malgré cela, beaucoup de guérilleras sont mères. Maintenant, avec la guerre qui se termine, le drame pour elle est de se dire: j’ai un enfant, ou plusieurs, parfois trois enfants, et cela fait des années que je ne sais pas où ils sont. Ils étaient avec la grand-mère, mais on m’a dit qu’elle était décédée… Ou je l’ai confié à une famille dans la zone où je me trouvais, mais à cause de la guerre j’ai dû bouger, les paramilitaires sont arrivés dans la zone et je ne sais pas ce que les habitants sont devenus, par exemple… Nous faisons ce travail de recherche d’informations pour qu’elles puissent trouver leurs enfants. »

Nathalie Mistral a elle aussi été confrontée à ce dilemme : garder l’enfant qu’elle portait ou avorter, elle a opté pour la seconde solution. « Moi j’ai avorté une fois. Pour moi, ça a toujours été clair que si j’avais choisi cette vie, ce n’était pas pour avoir des enfants. J’aurais aimé en avoir, mais pas dans ces conditions. Je ne pouvais pas avoir un enfant et l’envoyer par la poste à ma mère pour qu’elle l’élève par exemple, non ! Donc, quand je suis tombée enceinte, je m’en suis rendu compte au bout d’un mois, j’en ai informé tout de suite mes supérieurs, et on a tout organisé pour que ce soit fait au plus vite. Ce n’était pas une expérience agréable, mais c’était le moins pire dans ces conditions… »

Le post-conflit : demander pardon et participer à la réparation

Que faire lorsque les guérilleros retourneront à la vie civile ? Selon l’accord sur la fin du conflit signé jeudi 23 juin 2016 à La Havane, les FARC commenceront à se regrouper dès le cinquième jour après la signature de l’accord global (prévu le 20 juillet prochain), et devront abandonner les armes pour préparer leur retour à la vie civile au bout de 180 jours. « Il y a des victimes du fait des FARC. Mais nous sommes aussi, ou les familles de nos membres ont été victimes de l’Etat, des paramilitaires. Je pense qu’en Colombie nous avons beaucoup de choses à nous pardonner les uns les autres. Et cela ne va pas se faire du jour au lendemain. »

Nathalie Mistral fait référence aux combats meurtriers dans les zones peuplées qui ont fait des victimes civiles. « C’est ce que les Américains appellent les « dommages collatéraux« . Nous allons tout faire pour reconnaître nos erreurs, et demander pardon s’il le faut. Réparer, lorsque c’est possible. Comment ? En faisant en sorte que la vie de ceux qui ont été touchés par la guerre s’améliore. Avec les réformes agraires, l’accès aux droits essentiels, et puis l’injustice sociale qu’il y a en Colombie. Il faut que nous participions le mieux possible à cette réparation. »

« Ma vie est en Colombie »

Interrogée par la journaliste Lise Hermann sur ce qui a changé avec la paix en cours : « Ce qui a le plus changé, c’est le cessez-le-feu. Car l’activité principale d’une guérilla, c’est la guerre. Actuellement, nous sommes dans une période de cessez-le-feu, ce qui fait que tout le temps que nous passions à la guerre, nous le consacrons désormais à autre chose, à la formation des gens. Nous pouvons aussi cultiver nos propres aliments. Mais ce dont il y a le plus besoin, c’est de formation. Formation politique, formation au sens large, enseigner à lire et à écrire… Il s’agit aussi d’informer les habitants sur la situation dans la région où ils vivent, sur la résistance à des mégaprojets miniers par exemple. »

Lorsque Lise Hermann lui demande ce qu’elle compte faire lorsque la paix sera signée, Nathalie Mistral réplique sans hésitation : « Je reste en Colombie. Même si ma mère, chaque fois qu’un point de l’accord est signé, m’écrit en me demandant : « Maintenant, tu vas rentrer ? »je lui réponds : « Non maman, ma vie est désormais en Colombie, pas en France ». J’irai où on aura besoin de moi. J’imagine qu’au cours des deux ou trois prochaines années, je resterai ici dans le Chocó. Il y a beaucoup de choses à construire ici. Des relations sociales, des projets collectifs, qui bénéficient aux guérilleros et aussi à la population. Après, je ne sais pas où la vie me mènera. Parfois on peut rêver d’une vie tranquille. Mais si on s’investit dans ce que je fais, la vie n’est jamais tranquille. Il y a tant de choses à faire, et nous savons que la bataille n’est pas terminée avec la signature de la paix. Cela ne fait que commencer. Il faut faire respecter les accords, que ce qui a été promis arrive à la population, il faut la construire, c’est un travail permanent. Où ? En Colombie ».

« Mon rêve ? Construire un grand mouvement politique. Qu’on soit de nouveau une véritable force politique. Une révolution bolivarienne, sans les erreurs que nos voisins ont pu commettre. Qu’on parvienne à un changement démocratique sans les armes, ce qu’on croyait impossible il y a peu. J’espère que ce sera possible ».

Source/ rfi.fr