Sommet Inde-Afrique/Quels enjeux ?

Jean-Joseph Boillot est économiste, spécialisé dans le développement et le décollage des économies du Sud. A la faveur du sommet Inde-Afrique qui s’est ouvert ce lundi 26 octobre à New Delhi, il revient sur les enjeux de ce grand raout qui a pour objectif d’impulser un nouvel essor aux relations anciennes entre l’Inde et le continent africain.

Ce lundi s’est ouvert le premier sommet Inde-Afrique, depuis l’arrivée de l’ultra-libéral Narendra Modi au pouvoir à New Delhi. Quels en sont les enjeux ?

Les enjeux sont de trois ordres. D’abord il est économique. A un moment où l’économie chinoise se ralentit entraînant suspension et voire même annulation des projets et contrats sur le continent noir, les chefs d’Etat africains veulent s’assurer que l’intérêt de l’Inde pour l’Afrique va se maintenir, permettant de tirer les économies du continent grâce à la demande accrue indienne pour les matières premières. Ensuite, il est aussi industriel et stratégique. Après avoir subi de grosses déconvenues dans les pays développés où elles avaient investi, les entreprises indiennes sont entrées tardivement dans le marché africain. Elles ont effectué un redéploiement stratégique de leur « business model » afin de pouvoir intégrer ce nouveau marché qui est finalement plus à leur portée que le marché européen. Ce sommet est une opportunité pour ces entreprises de vérifier le bon déroulement de leurs projets en Afrique. D’ailleurs, les Africains sont eux aussi attentifs au développement de ce partenariat industriel indo-africain. Pourquoi ? Tout simplement parce que les Africains aiment travailler avec les Indiens. C’est enfin le troisième enjeu de ce sommet qui a trait à la culture d’entreprise. Alors que l’approche chinoise est invasive, les Indiens mettent l’accent sur la frugalité des moyens, le transfert des technologies et la décentralisation des opérations. C’est ce que les Africains préfèrent et ils voudraient voir l’Inde appliquer cette approche dans tous les domaines de coopération. Ils attendent de la part de Modi un positionnement à la hauteur de ces différents enjeux. Or Modi est un nouveau venu dans le monde africain, mais s’il veut réussir son sommet, il va devoir prononcer un discours « africain ».

Qu’est-ce que vous appelez un discours africain ?

C’est un discours qui reconnaît que l’Afrique est un continent émergent appelé à jouer un rôle essentiel dans la marche économique et géopolitique de la planète. Les propositions indiennes devraient tenir compte de cette réalité. On peut imaginer, par exemple, qu’en matière de réchauffement climatique, l’Inde et l’Afrique dont les intérêts ne sont pas très divergents soutiennent une position commune à la prochaine conférence mondiale sur le climat. Cette solidarité fondée sur des intérêts bien compris des uns et des autres donnera une visibilité à l’alliance indo-africaine. Elle sera d’autant plus appréciée que les Africains ne peuvent plus compter sur la Chine qui est sortie de l’orbite des pays en développement et s’affirme comme une grande puissance discutant directement avec les autres grandes puissances. Modi est attendu au tournant.

Quels sont les secteurs d’intérêt stratégique pour l’Inde et l’Afrique ?

Avec une croissance économique autour de 8% en rythme annuel, l’Inde a besoin de sécuriser ses approvisionnements en énergie et en ressources minérales sans lesquels elle ne peut pas garantir la soutenabilité de son développement. L’énergie et les ressources minérales sont des secteurs d’intérêt stratégique pour l’Inde. Ce pays entend également se positionner dans les domaines de construction d’infrastructures, de pharmaceutique, de téléphonie, de solutions informatiques. Sur le plan politique, les Africains sont demandeurs d’une plus grande implication indienne dans la sécurité, notamment dans la sécurité maritime.

Quels sont les pays africains prioritaires pour l’Inde ?

La priorité est dictée par la géographie historique. Donc, les pays africains prioritaires pour l’Inde, ce sont les pays de l’Afrique orientale et australe : Ouganda, Tanzanie, Kenya, Afrique du Sud, Maurice. Seulement, il se trouve que les matières premières dont l’Inde a besoin ne se trouvent pas chez ses partenaires historiques, mais plutôt en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest dont le Nigeria qui est devenu un des principaux fournisseurs de pétrole à l’Inde. Aujourd’hui un baril de pétrole sur cinq à destination de l’économie indienne provient de l’Afrique. Au cours des dernières décennies, l’Inde a aussi renforcé ses liens avec les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest, notamment en Mauritanie et au Sénégal, où les grandes entreprises privées indiennes telles que les Tata ou le sidérurgiste Mittal, mais aussi des entreprises de taille moyenne telles que Godrej (biens de consommation), Kirloskar (pompes agricoles) se sont durablement implantées.

Pas si durable que ça, si on prend l’exemple d’Arcelor Mittal au Sénégal…

Effectivement, l’implantation de Mittal au Sénégal s’est très mal passée. Le sidérurgiste n’a pas honoré le contrat signé avec l’Etat sénégalais relatif à l’exploitation des mines de fer de la Falémé, dans la région de Tambacounda dans le sud-est. Le contrat prévoyait un projet industriel majeur, avec un investissement prévu de 2,2 milliards de dollars devant générer jusqu’à 20 000 emplois. L’investisseur avait aussi fait miroiter la construction d’infrastructures importantes, notamment un port en eaux profondes à proximité de Dakar et une voie ferrée reliant le port au site. Ces promesses n’ont pas été réalisées conduisant à la rupture du contrat. Il faut dire que, suite à cette déconvenue, la réputation de l’Inde en Afrique en a pris un coup, si je puis m’exprimer ainsi. La résolution du différend par le versement d’une compensation importante a, semble-t-il, rassuré les Sénégalais.

Est-ce que la présence d’une diaspora est un atout pour les entreprises indiennes qui veulent s’installer en Afrique ?

Oui et non. Non, parce que les Indiens en tant que communauté n’ont pas une image très flatteuse en Afrique. Historiquement, pendant la colonisation, ils avaient choisi le camp des Européens. Ils ont aussi la réputation de vivre repliés sur eux-mêmes et de ne pas se mélanger avec les autochtones. Cela dit, il y a des personnalités indiennes qui ont fait leur place et qui occupent des positions de premier plan dans des administrations africaines ou dans des entreprises. Je pense notamment à l’ambassadeur d’Ouganda à Paris issue de la grande famille entrepreneuriale Madhvani, installée à Kampala depuis le début du siècle dernier. Je pense aussi à Edwin Devakumar, un Indien de Madras, qui est le numéro 2 du groupe Dangote au Nigeria.

Source/rfi.fr