Interview exclusive/Procès Gbagbo, cas Simone Gbagbo, autres procédures en cours….. Les précisions de Fatou Bensouda




La procureure de la Cour pénale internationale parle de l’importance de cette institution et évoque les affaires liées à la crise ivoirienne et aussi l’affaire Mediapart.

  Quand vous regardez le monde aujourd’hui, la Cpi a-t-elle, d’une façon ou d’une autre, estompé les velléités criminelles et génocidaires conformément à la mission qu’elle s’est assignée ?

Je crois sincèrement que la création de la Cpi doit sûrement être l’un des moments les plus forts et de grande fierté de l’humanité. La lutte contre l’impunité pour les crimes atroces aux niveaux national et international est d’une importance cruciale. À la Cpi, nous continuerons à jouer notre rôle, conformément au statut de Rome, et nous comptons sur la coopération de nos états parties et la communauté internationale.

Le procès Laurent Gbagbo-Blé Goudé se déroule-t-il comme vous l’aviez prévu ?

L’accusation ne peut pas commenter publiquement la preuve qu’elle présente. Ce sera à la Chambre de la Cpi de trancher cette question après que la totalité de la preuve aura été versée au dossier de l’affaire.

La Cpi entendait engager d’autres poursuites en Côte d’Ivoire. Celles-ci viseraient l’autre parti au conflit. Cela est-il toujours d’actualité ?

Mon Bureau est engagé dans des enquêtes en cours sur des crimes relevant de la compétence de la Cpi ; crimes prétendument commis par les deux parties en conflit lors des violences postélectorales survenues en 2010 et 2011 en Côte d’Ivoire. Depuis que j’ai pris fonction en tant que procureure de la Cpi, j’ai indiqué clairement que, dans l’exercice de mon mandat, mon Bureau, en toute indépendance et impartialité, s’emploiera à faire traduire en justice les principaux responsables des violences postélectorales commises durant la période en Côte d’ivoire, quel que soit leur statut ou appartenance politique.

Dès le début, nous avons fait savoir, aux autorités ivoiriennes notamment, que nous mènerons des enquêtes et des poursuites contre les principaux responsables de ces actes, sans crainte ni parti pris. J’ai transmis ce même message lors des réunions que j’ai eues avec le président Ouattara, ainsi que tout récemment à l’occasion d’un entretien que j’ai eu avec lui, en marge de la 72e session de l’assemblée générale des Nations unies. Les enquêtes du Bureau au sujet de l’autre partie au conflit se sont intensifiées depuis 2015. Afin de protéger l’intégrité de la procédure, ainsi que les témoins qui y sont associés, ces enquêtes sont, par définition, menées en toute discrétion et confidentialité. En tant que procureure de la Cpi, j’agis en toute indépendance et impartialité et je suis guidée par les seules considérations de la loi et des preuves que nous collectionnons et continuons de recueillir.

Simone Éhivet, l’épouse de Laurent Gbagbo, est-elle toujours réclamée par la Cpi ? N’est-ce pas vous engager, à ce sujet, dans un bras de fer avec le gouvernement ivoirien ?

Les représentants de la République de Côte d’ivoire avaient soulevé la question de l’irrecevabilité de l’affaire à l’encontre de Mme Gbagbo, sur la base de l’existence d’une affaire contre elle devant la justice nationale. Il faut noter que pour qu’une affaire soit déclarée irrecevable devant la Cour, l’enquête et / ou les poursuites nationales doivent concerner la même personne et substantiellement, le même comportement allégué dans la procédure devant la Cpi. Les juges de la Cour se sont déjà prononcés sur la recevabilité de cette affaire et avaient rejeté cette demande, considérant que les paramètres factuels et la nature des crimes poursuivis devant la Cpi étaient différents de ceux devant la justice nationale. Ainsi, le mandat d’arrêt délivré par les juges de la Cpi, en février 2012, à l’encontre de Mme Gbagbo est encore en cours et la Côte d’Ivoire demeure dans l’obligation de la remettre à la Cour.

Selon Mediapart, cité par Rfi, la présence de Laurent Gbagbo devant la Cpi procède d’un complot ourdi par des diplomates français, en collusion avec le pouvoir Ouattara en Côte d’Ivoire et votre prédécesseur, Luis Ocampo. Que répondez-vous à cette accusation ?

La mission du Bureau du procureur, dans le cadre de l’enquête et des poursuites engagées contre M. Laurent Gbagbo, se poursuit, conformément au mandat du Bureau défini par le statut de Rome. Elle est guidée par les principes fondamentaux d’objectivité, d’impartialité et d’indépendance. Ce faisant, le Bureau espère contribuer à faire jaillir la vérité au sujet des crimes et des actes de violence innommables commis après les élections en Côte d’ivoire, ainsi qu’à rendre une forme de justice aux milliers de victimes en cause. Il y a lieu de souligner que les allégations rapportées par les médias – sans préjuger de leur exactitude – n’atténuent en rien la gravité et la sévérité des accusations de crimes contre l’humanité auxquelles M. Laurent Gbagbo doit répondre, eu égard au rôle qu’il a joué lors des violences postélectorales survenues en 2010 et 2011 en Côte d’ivoire. Ni même les éléments de preuve recueillis en toute indépendance par le Bureau, lesquels continuent d’être présentés devant les juges de la Cour, encore moins l’équité du procès en cours dans lequel sont examinées ces accusations. Au vu des dispositions du statut de Rome, l’accusé est présumé innocent, tant que sa culpabilité n’est pas établie au-delà de tout doute raisonnable et il a droit à une procédure totalement régulière. C’est à l’accusation qu’il incombe de convaincre les juges de la Cour de la culpabilité de M. Gbagbo.

Autre accusation récurrente contre la Cpi : elle serait dirigée contre les dirigeants africains. Que répondez-vous ?

Non. La Cpi est une Cour permanente, universelle et indépendante. Ses décisions se fondent sur des critères juridiques et sont délivrées par des juges indépendants et impartiaux, conformément aux dispositions de son traité fondateur, le statut de Rome, et d’autres textes juridiques régissant ses travaux. La Cour pénale internationale s’intéresse à tous les pays qui ont accepté sa compétence ; ceux-ci se trouvent sur différents continents dont l’Afrique.

C’est une Cour fondée sur un traité, ce qui signifie qu’en devenant parties au statut, les états acceptent volontairement sa compétence. Trois situations sur lesquelles la Cour enquête actuellement ont été déférées par des gouvernements africains. Entre 2003 et 2005, les gouvernements de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et de la République centrafricaine ont renvoyé à la Cpi des situations ayant lieu sur leur propre territoire. Une quatrième situation, le Darfour, a été référée par une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu prise en vertu du Chapitre Vii de la charte de l’Onu (Organisation des Nations unies, Ndlr)-conformément à l’article 13 du statut de Rome. La Cour ne procède à ces renvois que si les critères juridiques prévus par le statut de Rome sont remplis.

Quel rôle l’Afrique a-t-elle pu jouer dans l’adoption du Statut de Rome qui fonde cette Cour ?

Sans le soutien de nombreux pays africains, le statut de Rome n’aurait peut-être jamais été adopté. 34 pays africains sont partis au statut de Rome, faisant ainsi de l’Afrique la région la plus largement représentée parmi les membres de la Cour. la confiance et le soutien ne viennent pas seulement des gouvernements, mais aussi (et c’est fondamental) des sociétés civiles de ces pays. La Cour bénéficie également de l’expérience professionnelle d’africains. Quatre de ses 18 juges actuels sont africains. Plusieurs africains occupent des postes à haute responsabilité au sein de la Cour dont la procureure Fatou Bensouda que je suis (originaire de la Gambie) et la vice-présidente, Joyce Aluoch (Kenya).

Source :frat-mat