Gisements de pétrole offshore Ghana-Côte d’Ivoire/Me Cissé Yacouba  fait la lumière  sur la polémique

A qui appartiennent les gisements de pétrole offshore que se disputent le Ghana et la Côte d’Ivoire depuis plusieurs années ? Samedi dernier, le Tribunal international du droit de la mer a tranché. Cette cour qui siège à Hambourg, en Allemagne, a statué en faveur du Ghana. Mais sa décision est-elle vraiment équitable ? L’avocat et universitaire ivoirien Cissé Yacouba a été, pour la Côte d’Ivoire, l’un des négociateurs du dossier. Il est aussi membre de la Commission du droit international des Nations unies, basée à Genève. Il fait la lumière.

Est-ce que vous avez été surpris par la décision du tribunal de Hambourg sur la frontière maritime entre vos deux pays ?

Oui, quelque peu. Je m’attendais à une décision beaucoup plus équitable, mais ça n’a pas été le cas.

Pour calculer le tracé de la frontière maritime le tribunal de Hambourg s’est basé sur le principe de « l’équidistance ». De quoi s’agit-il ?

Tout à fait. L’équidistance se calcule sur la base d’un certain nombre de points que l’on choisit sur la côte et qu’on appelle les points de base. Une fois qu’on a défini ces points de base sur les côtes respectives des deux Etats, on trace une ligne de base et c’est à partir de cette ligne de base qu’on trace l’équidistance. Donc c’est le tracé qui va séparer à égale distance les frontières maritimes des deux Etats.

Et dans ce cas précis le tribunal de Hambourg a construit une ligne dont chaque point est équidistant des deux côtes ?

Tout à fait. Mais quand vous regardez, ce tracé a tendance à rentrer dans les espaces maritimes de la Côte d’Ivoire. Donc c’est cette iniquité que nous avons dénoncée, mais malheureusement nous n’avons pas été suivis dans notre requête.

Et cela dit, est-ce que le principe de l’équidistance n’est pas le principe le plus neutre, le plus objectif ?

L’équidistance part des côtes. Mais dans le droit international ce n’est pas un principe obligatoire qui s’impose. Donc dans le cas de la Côte d’Ivoire et du Ghana, à partir du

moment où nous avons allégué que notre côte était concave et que le tracé de l’équidistance allait forcément rentrer dans notre projection maritime, nous avons estimé que le juge devait prendre ce facteur-là en compte.

Voulez-vous dire que le caractère concave de la côte ivoirienne aurait dû donner à vos yeux un caractère particulier à la décision des juges ?

Tout à fait. Parce que la jurisprudence, quand même, est assez constante depuis l’affaire de la mer du Nord en 1969. Et ensuite il y a eu des décisions subséquentes qui ont constaté que même une concavité – même si elle est légère – on n’a pas besoin qu’elle soit forcément prononcée. Même légère, comme c’est le cas de la Côte d’Ivoire, elle doit nécessairement avoir un infléchissement sur la frontière maritime. Donc il aurait fallu que le juge déplace un peu cette ligne-là, à mon avis.

Ce qui aurait permis à la Côte d’Ivoire d’avoir une souveraineté territoriale sur une partie des réserves pétrolières offshore ?

Bien sûr. C’est ça vraiment l’enjeu. L’enjeu c’est un peu ça, c’est les ressources.

Et pour vous, -, cette décision c’est un échec pour la diplomatie ivoirienne et pour l’équipe qui a plaidé le dossier ivoirien devant le tribunal ?

Non, je ne pense pas que ce soit un échec pour notre diplomatie. Nous avons négocié à fond. La décision qui a été rendue c’est une décision judicaire et elle n’est pas politique.

C’est la géographie qui était contre vous ?

La géographie en principe devait être en notre faveur. La configuration côtière devait être un élément qui devait jouer en notre faveur et en lisant très bien la décision de la Chambre, elle a reconnu d’abord l’existence de cette concavité ivoirienne, même si elle est légère. Et mieux, elle a reconnu que cette concavité avait un effet d’amputation de la projection maritime de la Côte d’Ivoire. Après avoir reconnu cette réalité de la côte ivoirienne, la conséquence logique que le juge qui aurait dû tirer, c’est d’infléchir la ligne d’équidistance. C’est-à-dire de pouvoir l’ajuster ou la corriger.

Et pourquoi le juge ne l’a pas fait alors ?

Il ne l’a pas fait parce qu’il a fait une interprétation pour dire que la concavité ivoirienne n’étant pas prononcée, il n’y avait pas lieu d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire. Il l’a fait seulement à partir de deux décisions de justice dans l’affaire Bangladesh…

Donc la Birmanie…

Et puis Bengladesh-Inde, où effectivement, dans ces deux arrêts, le juge a dit que le fait que la concavité ne soit pas prononcée, il n’y avait pas lieu d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire. Mais vous ne pouvez pas, à partir de deux décisions, généraliser. Or, par la passé, la jurisprudence, depuis l’affaire de la mer du Nord en 1969, qui avait opposé l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark, la concavité avait été un élément déterminant. Et plus tard en 85, dans l’affaire Guinée-Bissau, la concavité a été une circonstance pertinente que le juge et le tribunal avaient prise en compte.

En fait, ce que vous dites c’est qu’il y a deux jurisprudences. Une jurisprudence mer du Nord qui aurait dû permettre à la Côte d’Ivoire de récupérer une partie du gisement pétrolier et une jurisprudence Bangladesh qui a permis au Ghana de récupérer ce gisement.

C’est ça, tout à fait. Et puis je peux aussi évoquer l’affaire Cameroun, où la question de la concavité avait été posée, mais le juge dans ce cas avait dit qu’il ne voyait pas de concavité. Donc elle a été logique pour ne pas modifier la ligne d’équidistance. Ça c’est logique. Mais dès lors que le juge reconnaît l’existence d’une concavité – qu’elle soit légère ou pas – logiquement elle devait pouvoir en tirer toute la conséquence pour modifier la ligne d’équidistance. Et je pense que la solution qui a été rendue, de mon point de vue, a manqué le test de l’équité.

Et est-ce que la Côte d’Ivoire peut faire appel ?

Non, non. C’est une décision sans appel, malheureusement. Elle est sans appel et elle est aussi contraignante pour les parties.

Et de fait, dans un communiqué commun ce dimanche 24 septembre, la Côte d’Ivoire et le Ghana se sont engagés à respecter cette décision ?

Tout à fait. Ils vont la respecter et certainement trouver des moyens de coopération. Maintenant il faut rouvrir la phase des négociations politiques pour une sorte d’exploitation conjointe, comme je l’avais proposé lors de nos négociations avec la partie ghanéenne.

Jusqu’à présent la Côte d’Ivoire produisait 45 000 barils-jour. Si elle avait été déclarée souveraine sur ses réserves offshores elle aurait pu espérer produire 200 000 barils-jour ! Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

Tout ce qui reste maintenant aux Etats c’est de voir dans quelle mesure ils pourraient exploiter ce gisement-là. Si c’est un cas de gisement unique qui a une structure géologique unique, à ce moment-là les deux Etats pourront trouver les modalités de l’exploiter en commun. Vous pouvez rester de l’autre côté de la frontière pour effectuer ce qu’on appelle le forage directionnel. C’est-à-dire que vous avez cette possibilité de pomper le pétrole de l’autre côté de la frontière. Donc du point de vue technique il y a toujours cette possibilité d’envisager une exploitation en commun.

Source : rfi.fr