Interview / Diabaté Abdoulaye, Agent de joueur FIFA, Manager général de Lanfiara Management Sport (LMS) : « Nous disons aux jeunes qu’on peut être à l’école et jouer au football. »

 

Réalisée par Jean Levry – Afrique Matin.Net 

Diabaté Abdoulaye, Agent de joueur FIFA depuis 2014 et Manager Général de la structure Lanfiara Management Sport (LMS), une agence de management sportif et d’événementiel sportif, s’ouvre à nos lecteurs dans cette interview. Sans faux fuyant, il a fait un tour d’horizon des problèmes qui minent le football ivoirien et explique le contenu du concept  cher à sa structure à savoir « le foot d’accord, mais l’école d’abord ». Non sans se prononcer sur le choix de Marc Wilmots à la tête des Eléphants de Côte d’Ivoire.

Diabaté, vous êtes agent de joueur et manager général de Lanfiara management sport. Pour les profanes, dites-nous ce qu’est un agent de joueur ?

 Je dirai qu’un agent de joueur c’est une personne qui est censée mettre en relation un joueur et un club. L’agent peut aussi être d’un club et allé à la recherche d’un joueur. L’agent de joueur est donc, si vous voulez, une sorte de point focal qui essaie de faire converger  les intérêts des uns et des autres vers une vue.

Comment devient-on agent de joueur et qui peut devenir agent de joueur. Y a-t-il une formation requise pour devenir agent de joueur ?

Oui, je sais qu’il y avait un examen obligatoire organisé par la FIFA mais qui est géré au plan local par la faitière à savoir la FIF pour devenir agent de joueur. Cependant, il y a une disposition qui a mis un bémol à l’examen d’agent de joueur. Maintenant, on parle d’intermédiaire mais toujours est-il que ce ne sont pas tous les pays qui ont accepté de laisser tomber l’examen pour devenir agent de joueur. Parce que si n’importe qui s’improvise agent de joueur, le désordre pourrait s’inviter au football.

L’agent de joueur, on l’imagine doit être quelqu’un qui a carnet d’adresses bien fourni. Quels sont les atouts qui permettent d’exercer ce métier ?

L’agent de joueur c’est un commercial avéré. Il a doit avoir bien évidemment un carnet d’adresses parce qu’il faut trouver un point de chute aux joueurs qu’il a sous sa coupole. Donc c’est quelqu’un qui doit connaitre beaucoup de monde dans le milieu du football ; des dirigeants de clubs, des directeurs sportifs, des entraîneurs, les instances fédérales, la presse sportive et tous les partenaires du football.

Votre structure a développé un concept qui est « foot d’accord, mais école d’abord » ? Que referme-t-il exactement ?

Ce concept est parti d’un constat. Depuis deux décennies, nous voyons de façon très accrue des jeunes qui s’intéressent au football. Cela est lié à l’émergence de grosses stars du football ivoirien qui ont une forte rentabilité de leurs activités. Ce qui a suscité un engouement autour du football. De ce fait, aujourd’hui, tout le monde s’intéresse au football.

Je me souviens que nous étions gosses, quand on finissait de jouer un match de football dans le quartier, on était obligé d’aller chez les voisins pour se laver les pieds pour ne pas que les parents sachent qu’on venait de jouer au football parce que le football était considéré comme l’activité de ceux qui n’allaient pas réussir dans la vie. De nos jours, le constat est que la réussite et la richesse se créent aussi du côté du football et les gens veulent de plus en plus que leurs fils deviennent des footballeurs.

Mais le revers de la médaille c’est que nos jeunes gens délaissent carrément l’école pour s’adonner au football. Et les statistiques sont là. Sur 1000 enfants, ou peut-être dans des proportions normales, sur 100 enfants qui rêvent d’embrasser une carrière de footballeur, le ratio est là, à la limite, ce n’est que 1%, ou même 0,1% qui va s’affirmer et arriver  au haut niveau. C’est pour dire que la réussite n’est garantie pour tout le monde au football. Et même si on réussit, il y a l’après football en fin de carrière qu’il faut gérer.

Donc football d’accord, parce que ça permet aujourd’hui à des jeunes de se réaliser à l’instar de nos grandes stars tels que Didier Drogba que je respecte beaucoup et d’autres joueurs notamment Gervinho, Yaya Touré et j’en passe. Mais à la fin de la carrière, il y a la reconversion qui fait appel à l’aspect intellectuel. Si tous les enfants délaissent l’école pour le football, que deviendront-ils demain si ça ne marche pas au football ?

Ça devient des cas sociaux. Or, le constat est que la plupart des footballeurs de Côte d’Ivoire viennent des quartiers sociaux, je veux parler d’Attécoubé qui est ma commune de naissance, d’Abobo, de Yopougon, Koumassi et autres qui sont des quartiers difficiles. Si ces enfants ne vont pas à l’école, ce sera difficile pour la communauté. Et à la longue, on aura plus le même regard sur ce sport qui serait vu comme plus destructive que lucrative. C’est la raison pour laquelle nous disons aux jeunes qu’on peut être à l’école et jouer au football. Même quand on prend le cas de cas de certains de nos aînés qui ont connu de brillantes carrières, l’après le football laisse à désirer.

Parce que, je le dis, les gens investissent dans l’immobilier, ils gagnent de l’argent certes mais après il y a un train de vie qu’on avait qui ne sera plus le même… Quand on observe le boom économique que la Côte d’Ivoire connait surtout dans le secteur de l’immobilier, se loger serait la chose la plus banale pour l’Ivoirien modeste dans les années à venir. Alors, injecter de l’argent dans l’immobilier seulement, je ne dirais pas que ça n’a pas de valeur mais ce n’est pas toujours la chose idéale.

Il faut penser à devenir soit des managers ou autre chose. Vous avez demandé qui peut devenir agent de joueurs, je pense qu’un ancien footballeur qui un bagage intellectuel peut se reconvertir en agent de joueurs. Un joueur peut devenir médecin sportif s’il le veut, après bien sûr des études en médecine, un joueur peut devenir directeur sportif d’un club, journaliste sportif ou encore consultant pour une chaine de télévisons comme on le voit aujourd’hui. Alors que quand on observe chez nous, il n’y a même pas d’anciens joueurs qui y arrivent. Il y en a qui sont très timides mais il y en a qui, il ne faut pas se le cacher, n’ont pas ce petit bagout pour pouvoir s’exprimer correctement devant un public.

 Pouvez-vous nous faire un bilan à mi-parcours de votre structure Lanfiara Management Sport ?

Nous existons depuis effectivement 3 années. Nous sommes avec toutes les couches au niveau du football. Notre présence est de plus en plus accrue au niveau des jeunes parce que c’est l’avenir. Dans toutes les communes d’Abidjan et de l’intérieur du pays nous sommes présents et nous avons des projets sportifs pour les jeunes et nous aidons les footballeurs sans prétention aucune. Sans verser dans l’autosatisfaction, nous pensons que nous avons parcouru du chemin parce qu’on a pu faire bougé les choses à notre humble niveau. Mais nous n’ignorons pas qu’il y a encore du chemin à faire.

Dans la pratique, comment vous arrivez à mettre en application votre concept « foot d’accord, école d’abord » ?

Le concept est mis en application sur le segment de base où la formation est obligatoire pour un enfant. Je veux parler des U12, des U8 ; y-a-t-il des U8 au football mondial ?- mais, toujours est-il que nous allons jusqu’aux enfants de moins de  8 ans qui sont en âge d’aller à l’école pour leur dire que c’est vrai, vous voulez taper dans un ballon mais n’oubliez pas qu’il faut d’abord aller à l’école.

Nous profitons de notre canard pour lancer un appel aux institutions et aux bonnes volontés  qui peuvent nous accompagner parce que pendant l’année scolaire, nous mobilisons de par nos maigres ressources des kits scolaires que nous offrons à certains pensionnaires des centres de formations. Malheureusement, nous n’avons pas assez de moyens pour satisfaire tous les pensionnaires des centres de formation mais on fait ce qu’on peut pour leur permettre d’aller à l’école.

Et pendant les vacances, nous organisons en collaboration avec les centres de formations des tournois pour occuper sainement ces jeunes-là en leur faisant dons d’équipements sportifs en vue de leur permettre de bien occuper toute l’année : une partie à l’école jusqu’à la fin de l’année scolaire et une partie pour le football sans modération pendant les vacances scolaires.

On voit aujourd’hui des centres de formation qui poussent dans les quartiers sur les espaces verts où des jeunes pleins de rêves sont souvent désabusés. Quelle appréciation faites-vous de cet état de fait vous qui êtes agent de joueur?

Permettez que je rectifie ce que vous dites en parlant de centres de formation. En réalité, ce que vous voyez à travers les espaces verts du district d’Abidjan ne sont que des centres d’animation et non des centres de formation. Un centre de formation normalement doit avoir une affiliation avec l’instance fédérale de football et des infrastructures adéquates. Je pense qu’il y a un besoin d’infrastructures avant de s’ériger en centre de formation.

Pour la petite expérience que j’ai, je connais l’académie Mimos Sifcom qui est un véritable centre de formation et sans publicité aucune, je connais Ivoire Académie aussi qui dispose d’infrastructures pour être appelé un centre de formation. D’autres centres, avec leurs maigres moyens essaient de s’organiser  et de permettre aux jeunes de connaitre les commodités d’une formation. Pour le reste, je ne dirai pas que c’est une perte de temps aux jeunes, mais c’est plutôt du volontariat.

Cela permet d’occuper les jeunes mais il faut que ces gens-là orientent leurs meilleurs joueurs vers les centres de formation plus outillés. Parce que une chose est d’encourager mais une autre est de décrier quand ce n’est pas bon. Des petits malins qui se lèvent dans les quartiers qui ouvrent un soit disant centre de formation, qui prennent de l’argent avec les parents et promettent monts et merveilles à leurs progénitures, ce sont des choses à proscrire dans le football.

Il revient aussi à l’instance fédérale d’organiser tous ces centres et d’en supprimer, je pèse bien mes mots, ces centres qui n’ont pas le droit d’exister. Je loue d’ailleurs cette belle initiative qui est de se mettre ensemble et de se constituer en Association des centres de formations d’Abidjan (ACEFACI) qui a ses sections dans toutes les communes de la Côte d’Ivoire. Car, en union cela permet de bien s’organiser, de canaliser les choses et de corriger certaines tares. Si on les laisse pour compte avec les enfants, ce ne sera plus une formation mais ce serait de la destruction de talents à qui on perd le temps et qu’on empêche de s’orienter vers d’autres objectifs. Je pense que le désordre n’a pas sa place dans le milieu du football, il faut les organiser.

Quel est votre regard sur le football ivoirien surtout après l’échec de l’équipe nationale à la CAN 2017 ?

J’ai un regard d’espoir sur le football ivoirien. C’est vrai que tout n’est pas parfait et qu’il y a des choses à faire. Tenez-vous bien que si nous parlons aujourd’hui des Didier Drogba, Kolo Touré, Yaya Touré et autres, ils ne sont pas venus ex-nihilo. On a connu une période blanche, nous n’étions pas à la CAN 2004 après l’édition de Mali 2002 où on était dernier sur 16 nations. Et après on a constitué une équipe et on est reparti de plus belle. Je crois qu’on part d’un échec pour préparer le succès.

Je comprends les craintes des uns et des autres parce que c’est avec beaucoup d’amertume que nos pachydermes ont lâché la coupe dans la forêt d’Oyem. Mais, il y a des jeunes gens qui montent en puissance même si des cadres ont raccroché.  Je pense que la génération Didier Drogba, Yaya Toué s’en est fini, mais l’équipe est en train d’être reconstituée et il faut laisser le temps aux jeunes. Comme j’aime le dire, le football ne se conjugue pas du dimanche au lundi donc il faut laisser le temps au sélectionneur de bâtir l’équipe sur la durée. Mais, tout passe aussi au niveau des sélections des différentes catégories parce que la sélection A n’est que le point d’achèvement. Je me rappelle bien que la génération des Arouna Dindané, Kolo Touré a d’abord joué en sélection cadette, junior, espoir avant de monter à la sélection A.

Le mieux serait de faire un bon travail sur les sélections cadettes, juniors et espoirs pour que ces jeunes puissent en fonction de leurs performances intégrer l’équipe A. Il y a déjà des ressources au niveau l’équipe A mais pour qu’elle soit homogène sur le terrain, il faudrait que les enfants se côtoient déjà, s’admirer et apprennent à jouer en semble depuis le bas âge. Si on veut constituer une équipe homogène, il ne suffit pas d’aller prendre au pif des binationaux au détriment des joueurs qui compétissent tous les week-ends au niveau de la Côte d’Ivoire.

Je pense que ceux qui gèrent le football au niveau de la Côte d’Ivoire ont beaucoup de stratégies. On peut aussi apporter notre humble contribution. Toujours est-il qu’il s’agit de la Côte d’Ivoire et pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire aucun Ivoirien ne peut être indifférent. Mais, il y a une fédération qui dirige le football et qu’on respecte. On se doit de la soutenir. Tout n’est pas mauvais, il faut aller sur la base de ce qui est bon en vue d’accroitre et avoir cette équipe de Côte d’Ivoire qui faisait peur et qui était respectée.

On ne saurait terminer cet entretien sans demander votre appréciation sur le choix de sélectionneur retenu par le FIF à savoir le belge Marc Wilmots à la tête des Eléphants?

A chaud, j’ai reçu l’information comme tout le monde (l’interview a été réalisée le mardi     21 mars, quelques heures seulement après l’annonce par la FIF), je ne connais pas assez Marc Wilmots. Toutefois, je le connais en tant que footballeur de la sélection belge, et aussi en tant que sélectionneur des Diables rouges de la Belgique sur 3 ans. Je l’ai vu pendant la dernière édition de l’Euro où il a conduit l’équipe belge. Je pense qu’il a été retenu parmi plusieurs postulants, et c’est un contrat qui est court.

On va le laisser venir, regarder ce qu’il pourra faire pour la Côte d’Ivoire. Il est beaucoup attendu. Tout est une question de politique. J’ose espérer qu’il permettra à la Côte d’Ivoire de rester ce qui fait la notoriété de la Côte d’Ivoire. Nous avons atteint un stade au point où ne pas aller à une coupe d’Afrique serait scandaleux. Nous sommes dans une belle dynamique de victoires dans les éliminatoires.

On espère le rester pour la coupe du monde en Russie. Nous sommes en tête de notre poule, l’équipe va s’appuyer sur ces acquis pour qu’on puisse être au banquet mondial du football. Les challenges qui l’attendent c’est de continuer un travail qui a été entamé. Il faudra qu’il puisse le bonifier pour qu’on puisse être présent en Russie. Mais si on ne va pas en Russie, ce n’est pas la fin du monde. Je ne suis pas pessimiste de nature, je sais bien que toute la Côte d’Ivoire rêve d’être en Russie. Nous espérons que Marc Wilmots viendra apporter sa grande touche à cette équipe ivoirienne et on espère qu’il va réussir. On ne peut que lui souhaiter bon vent.