BERNARD DADIÉ, UN SIÈCLE D’HISTOIRE: la lettre émouvante d’une journaliste au célèbre écrivain.

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Lorsque j’ai été informée de l’élaboration d’un ouvrage qui vous est consacré, j’ai tout de suite saisi cette grande occasion pour tisser avec d’autres mains, tout aussi admiratrices et sans doute plus habiles que les miennes, le grand pagne N’zassa qui vous couvrira d’éloges tellement mérités! Nul ne peut nier votre grande valeur et l’indéniable impact de votre œuvre sur la culture et l’éducation dans notre pays et certainement au-delà. Nous, ces femmes et ces hommes, façonnés par les cris des opprimés à travers les siècles d’affront, entendons raisonner dans vos écrits, l’écho d’un jour nouveau.

En m’associant à ce projet, papy – permettez-moi de vous appeler ainsi, parce que je revendique l’héritage de mes aïeux qui consiste au strict respect de l’ainé – je voudrais non seulement saluer et louer l’immensité de votre talent, mais aussi, porter témoignage du rôle précieux que vous avez joué dans ma douloureuse quête identitaire.

En effet, au cours du processus de construction de l’enfant que j’étais, j’ai pris conscience d’une chose assez curieuse et qui n’en finissait pas de m’intriguer : j’étais noire, j’étais Africaine, j’étais descendante d’esclaves et rejeton d’indigènes. Mais, j’apprenais par l’école, les livres, et même par le verbe de Douwêlê, mon géniteur – qui ne nous parlaient pas que des épopées de nos héros – l’histoire de la grande et glorieuse France.

Cette grande FraAAEAAQAAAAAAAALGAAAAJDdhZDRjZDVmLWRmYjctNGMzMC05Mjc4LTRlYmQ1OTk5ZmJjMgnce, présomptueuse, qui autrefois se prenait pour la fille ainée de l’Eglise. Jadis, aussi belliqueuse que guerrière, elle avait fait des batailles sanglantes, son loisir favori. Les figures fortes qui peuplaient mon imaginaire d’enfant se nommaient entre autres Jeanne d’Arc, Charlemagne, Bonaparte, le roi soleil Louis XIV, puissant bâtisseur du fameux château de Versailles… A l’époque, mes livres d’histoire étaient  » jonchés  » des récits des lointaines guerres de sièges, de cent ans, de la révolution de 1789, etc…

Je m’abandonnais à la fascination qu’exerçaient ces chroniques sur ma jeune et donc, malléable imagination. Cependant, tout au fond de moi pourtant, commençait à sourdre, l’irrésistible appel de l’authenticité ignorée jusque-là, mais qui me mènera sur le chemin de la vérité. A partir de ce moment, qu’apparut dans mon âme déracinée, une vive dualité. Avec le temps, en grandissant, je me suis progressivement familiarisée avec ma culture, j’ai voulu savoir qui j’étais vraiment, en cherchant d’où je venais.

Il convient de dire que le dualisme qui m’oppressait, prit fin dès le jour où, pour la toute première fois, j’ai tenu entre mes mains, Le pagne noir : un recueil de contes signé par Bernard Binlin Dadié, paru en 1955 aux éditions Présence africaine. C’est cet ouvrage qui a pavé la voie menant à l’ailleurs qui, sans cesse, m’appelait. Le ravissement que m’a causé la découverte d’un monde qui était en réalité le mien, si différent du monde de Châteaubriant, des Tuileries…mais surtout aussi beau. Je découvrais enfin la patrie de mes ancêtres, le doux pays de mon enfance, qui n’avait pas grand-chose à envier à ce noble pays de France qu’aimait tant Douwèlè mon père.

Cette réconfortante découverte m’avait rendue critique à l’égard de l’ex – colonie, dont l’histoire m’était imposée par la politique éducative de notre jeune nation en pleine construction. Même après plusieurs décennies d’indépendance, elle se cherchait encore une identité culturelle ! Je me doutais bien que le sang de Jeanne d’arc, n’était pas plus précieux que celui des tirailleurs sénégalais tombés au champ d’honneur. Aussi, ai-je eu de la peine à comprendre la volonté manifeste du colon de nous laisser en héritage son histoire, ses principes, ses dogmes, sa philosophie, sa culture, son âme.

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De Climbié qui a marqué ceux de ma génération, à Monsieur Thôgô-Gnini (1970), en passant par un nègre à Paris (1959), Patron de New-York (1956), La ville où nul ne meurt (1968), et Le pagne noir, recueil de contes, l’œuvre prolifique du patriarche a sans conteste participé à ma modeste édification intellectuelle. L’un des récits du pagne noir que j’aimais particulièrement, met en scène, entre autres, une araignée dont l’esprit est plein de ruse, de mesquinerie et de fourberie. A travers les aventures de Kacou Ananzè, c’est son nom, Bernard Dadié, père de la littérature ivoirienne, donne en quelque sorte sa vision de la nature humaine par des métaphores si savamment maniées!

Le pagne noir, j’en parle autant, parce qu’il est le tout premier ouvrage d’auteur africain qui me tombait entre les mains. Bien plus tard, mes multiples incursions au cœur de la littérature africaine, m’ont conduite à la rencontre d’autres auteurs, mais pour moi Dadié demeure un des plus grands, parmi les plus grands! Comment en effet s’empêcher, de penser, si l’on se veut un rien objectif, que l’intelligentsia africaine est une des mieux nanties ? Car armée de sa connaissance, voire de sa maîtrise des réalités, aussi bien de son univers que de celui de ses congénères d’autres cultures. Elle est pourtant issue de Sociétés injustement et tristement taxées d’anhistoriques.

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Ma construction identitaire a pris du temps, mais elle a fini par se faire. J’écoutais désormais Douwêlê avec un esprit plus paisible. Mon père, en plus des histoires qui exaltaient le génie de l’ancienne métropole, nous racontait aussi à mes sœurs et à moi, des légendes mettant en scène des gens qui nous ressemblaient. Bien que parfois, les besoins du récit donnaient un caractère fantasmagorique à des personnages, tels que Trimobée et Takinga, Dodo la mouche, etc.

La différence est que cela relevait de la tradition orale. Tandis que Le pagne noir, en revanche, me dotait d’une culture livresque de ce qui était désormais perçu par mon jeune esprit, comme mon univers. Arrachée à l’ignorance, je continuais d’apprendre, de découvrir et même d’apprécier l’apport culturel français à la civilisation africaine. J’aimais aussi, d’ailleurs autant le préciser, plus qu’auparavant, les fois où Douwêlê, mon père, déclamait les fables de la fontaine. Certaines d’entre elles, apprises par cœur se sont même intégrées à ma vision de la vie.

Ce sont entre autres, La Besace, La cigale et la fourmi, la mort et le mourant, le corbeau et le renard, etc. Pour finir, je formule la prière de voir naître, à travers mon témoignage, le renouveau dans l’Enseignement national. Ce vent nouveau, devra intégrer dès le plus bas niveau, l’histoire de nos peuples afin d’assurer la transmission culturelle et façonner ainsi l’identité sociologique de l’enfant africain.

Il existe une pensée africaine qui exalte la connaissance africaine parce que mettant en évidence, les apports des peuples africains à la civilisation. On les retrouve dans les techniques, l’art, la philosophie, la médecine, l’astronomie, etc. Cette pensée incite à l’appropriation de notre culture, sans pour autant rejeter celle du colon. Nos gouvernants gagneraient du reste, à légiférer sur l’obligation d’enseigner l’histoire africaine dans les écoles publiques, à nos enfants. Non seulement pour que ces derniers ne finissent pas par penser que l’Afrique n’a rien à apporter à l’humanité, mais aussi pour leur offrir, un socle culturel sur lequel s’appuyer, pour se construire intellectuellement sans perdre leur âme africaine. Ces grandes réformes doivent émaner d’une ferme volonté politique, l’avenir du continent en dépend!

Djahué_journaliste_AM copieChristiane Djahuié