Gabon/Jean-Elvis Ebang Ondo,président de l’Association gabonaise de lutte contre les crimes rituels affirme :on recense au moins 100 crimes rituels maquillés chaque année au Gabon

Le mercredi 28 décembre de chaque année en cours est décrétée, journée des saints innocents pour l’Eglise catholique ; c’est la date retenue par l’Eglise gabonaise pour commémorer les victimes des crimes rituels, ces assassinats qui s’accompagnent de mutilations et qui sont – c’est du moins ce que croient ceux qui les pratiquent – censés apporter la réussite. En sa qualité de président de l’Association gabonaise de lutte contre les crimes rituels, qu’il a d’ailleurs fondée, Jean-Elvis Ebang Ondo dépeint l’esprit de cette pratique odieuse. Notons qu’il a perdu lui-même un fils, assassiné pour ses organes. 

Cela fait cinq ans que la journée du 28 décembre a été créée pour commémorer les victimes des crimes rituels au Gabon, et plus de dix ans que vous avez fondé votre association pour lutter contre cette pratique. Est-ce que vous avez noté des améliorations, une prise de conscience ?

Au niveau de ces avancées, nous avons brisé l’omerta parce que quand on parlait des crimes rituels au Gabon, aucun Gabonais n’avait ce courage d’en parler officiellement. Donc ça devient une revendication nationale pour tous les Gabonais victimes de ce phénomène barbare. Il y a la reprise, la tenue de sessions criminelles. De 2002 à 2012, il n’y avait pas de session criminelle. Nous avons eu aussi des marches pacifiques pour dénoncer ces crimes barbares.

Est-ce que vous avez des chiffres sur cette pratique qui puissent donner une idée du nombre de victimes ?

Depuis 2008, l’association publie les statistiques, mais nous avons des limites parce que l’association ne couvre pas les neuf provinces du Gabon. Cette année-ci, on avoisine une soixantaine de cas. Ce n’est pas un problème d’une certaine couche sociale, tout le monde peut être victime.

Une soixantaine de cas par an ?

C’est plus. Il y en a une centaine par an parce qu’il y a des morts maquillés. Le cas par exemple des noyades qui sont maquillées, c’est-à-dire on tue quelqu’un dans la nature, on vient le jeter sur la plage, on vient dans une rivière et on se dit que la personne est noyée. Ces criminels sont très malins dans le sens de brûler les pistes afin que les enquêtes ne puissent pas aboutir.

Aujourd’hui au Gabon, il est encore courant de penser que tuer, mutiler et manger les organes dans d’un être humain peut favoriser la réussite ?

C’est cette classe politique qui est au pouvoir, une certaine élite. Ce n’est pas tout le monde, je le confirme. Une certaine élite croit à ces pratiques. Et c’est un peu décevant parce que le pouvoir actuel encourage ces phénomènes-là puisque depuis 2005, nous avons organisé deux colloques. Le dernier, c’était en 2014, nous avons remis les rapports à qui de droit. Les recommandations ne sont pas prises en compte. Chaque année, l’association publie les rapports et dans chaque rapport, nous avons des recommandations qui ne sont pas prises en compte.

Ce sont les hommes politiques qui tuent. L’homme politique a le droit de vie et de mort ici au Gabon. Puisqu’il y a l’impunité, ces responsables ne passent jamais à la barre. Ils sont toujours protégés à cause de leur fameuse notion de preuves parce qu’ici, on peut vous arrêter la main dans le sac, c’est-à-dire par les hommes du pouvoir, vous ne pouvez pas vous inquiéter. La preuve en est que leur boulot, les gens qui nous envoient sur le terrain, ils tuent. Ils sont arrêtés. Deux ou trois mois après, ils sont libérés.

Vous parlez beaucoup de la classe politique, est-ce que la pratique des crimes rituels se limite aux hommes politiques ou est-ce qu’elle concerne également d’autres pans de la population ?

Selon les études menées, s’il y a dix cas, les hommes politiques peuvent arriver à huit. Le reste ce sont les hommes d’affaires très puissants. Mais surtout, il faut retenir que, quand il y a campagne politique ou bien remaniement ministériel, ce sont dans ces périodes-là où les Gabonais souffrent à travers les corps qu’on ramasse dans la nature.

Quels arguments employés pour lutter contre une croyance qui n’est pas par définition rationnelle, mais mystique et qui concerne une élite intellectuelle ?

Nous avons employé d’abord la dénonciation. Après la dénonciation, nous sommes allés au niveau des hautes personnalités, du président de la République jusqu’aux chefs de quartier, ainsi que les chefs des villages, du religieux jusqu’au chef traditionnel. Les plaidoyers ont été menés. Après ces plaidoyers, nous étions limités au niveau de la proposition sur la loi des crimes rituels qui a été rejetée en 2015. Depuis 2015, au mois de décembre, nous sommes sur le terrain en contact avec la population, la base. Nous avons espoir, espoir dans le peuple.

Vous avez parlé de l’impunité pour les auteurs ou commanditaires de crimes rituels. Aujourd’hui concrètement, quel type de mesures vous permettrez de lutter plus efficacement contre ce phénomène. Qu’est-ce que vous attendez de la part des autorités gabonaises ?

La prise en compte de la proposition de loi que nous avons présentée. Il faut que tout le monde passe à la barre, c’est la première chose. La deuxième chose, c’est qu’elle soit imprescriptible et qu’on donne aux forces de sécurité mandatées à mener des enquêtes des outils, que ces gens-là soient documentés, et leur formation, le renforcement des capacités des officiers de police judiciaire (OPJ). Il faudrait la libération de la justice. Et voilà pourquoi je voudrais profiter de cette occasion pour dire haut et fort que nous soutenons la grève qui se situe de la justice gabonaise. Qu’elle soit libre et indépendante et qu’elle ne soit plus victime des pressions extérieures. Nous voulons que les parents puissent avoir accès aux médias pour présenter leur douleur étant donné que les médias d’Etat font barrage aux parents actuellement quand on parle de crimes rituels. Nous voulons aussi que nous, au niveau de l’association, nous soyons soutenus pour achever notre campagne qui a déjà atteint trois provinces du Gabon. Sachant que le Gabon a neuf provinces. L’ouverture des dossiers à travers les plaintes déposées, que ces plaintes puissent aboutir. La mise en place des numéros verts au niveau des parquets, des forces de sécurité, et même au niveau de la société civile pour faire aboutir les arrestations des commanditaires, quel que soit leur rang social.

Source : rfi.fr