Cuisine africaine/Le franco-ivoirien dans la cours des Grands

Ce lundi s’ouvre la Semaine de la cuisine africaine au restaurant de l’Unesco, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture dont le siège est à Paris. Et pour marquer le coup, le jeune Chef franco-ivoirien Loïc Dablé investit les cuisines. Une belle occasion de promouvoir la gastronomie du continent. Ancien juré de l’émission culinaire panafricaine «Star chef», il propose de revisiter la cuisine africaine.

 Qu’est-ce que vous proposez de bon pendant cette semaine ?

 C’est une lecture plus ou moins contemporaine de la gastronomie africaine. Mettre en valeur des produits africains et occidentaux et vraiment créer une alchimie entre les deux, c’est vraiment l’idée de notre cuisine. C’est un travail de fond qui tend à valoriser le patrimoine culinaire africain. Donc vous aurez par exemple un risotto avec du poisson fumé : on va travailler le fonio avec lequel on va faire une salade assez simple comme un taboulé et en dessert, il y aura une panna cotta avec quatre coulis à l’hibiscus et à l’huile d’olive. C’est une rencontre entre l’Afrique et le monde.

Revisiter la cuisine africaine c’est quelque chose qui se fait de plus en plus par les chefs cuisiniers en Afrique ou pas du tout ?

C’est là où c’est très intéressant, c’est que selon la ville, selon l’ethnie, selon l’espace dans lequel le cuisinier va s’exprimer, à chaque fois il y a un peu de sa personne et un peu de ses produits. Donc on appelle ça des revisites de la gastronomie africaine, moi, j’appelle plutôt ça des cuisiniers bien dans temps et dans leurs baskets, qui aujourd’hui arrivent à donner ce qu’ils ont envie de donner parce qu’ils sont beaucoup moins enfermés. Donc c’est assez intéressant. On sent qu’il y a vraiment un renouveau de cette gastronomie africaine et qui passe donc par les produits et surtout par les grands professionnels.

On a l’impression qu’en Afrique francophone les plus belles tables proposent surtout de la cuisine française ou occidentale. C’est quelque chose que vous regrettez ?

Je trouve ça un petit peu dommage. On part d’un constat qui est celui-là : c’est-à-dire des tables africaines avec une cuisine occidentale d’il y a vingt, trente ans, voire même parfois soixante ans, des cuisiniers qui ne peuvent pas forcément s’exprimer. Je trouve toujours très dommage d’arriver dans certains hôtels et qu’on me propose une sole meunière et une blanquette de veau. Je trouve ça toujours très dommage parce que dans un premier temps c’est mal exécuté, ce n’est pas les bons produits et ça ne correspond pas à la culture locale. Moi, j’arrive au Gabon, eh ben je veux goûter un bouillon. J’arrive au Sénégal je veux goûter un vrai tchiep, pas un tchiep trafiqué, je veux goûter un vrai tchiep. Donc c’est ça qui m’embête un petit peu parfois.

C’est un problème de clientèle, de prix, de goût ?

Un problème de vision, je pense. Parce qu’on a tendance à mépriser nos recettes, à mépriser nos produits. A se dire que par exemple nos tomates ne sont bonnes que pour des bouillons. On se dit que les gens ne vont pas forcément apprécier notre sauce gombo. C’est quelque chose qu’on peut manger au village, mais pas forcément sur une grande table, alors qu’il faut prendre le problème à l’envers. C’est-à-dire : comment est-ce qu’aujourd’hui notre gombo, notre pépé soupe, notre fumbwa, toutes ces recettes-là, comment est-ce qu’on peut aujourd’hui leur donner une lecture actuelle et comment est-ce qu’on va pouvoir les proposer à nos clients, qu’ils soient clients de restaurant ou clients d’hôtel ? Je pense que c’est cette partie-là qui a un peu manqué et c’est dommage.

Et dans les cuisines au quotidien, dans les maisons, par exemple en Côte d’Ivoire, est-ce que vous observez des changements, des évolutions ?

Il y a une évolution qui me chagrine énormément, qui me peine, c’est l’arrivée du cube Maggi. Je trouve que c’est un produit qui est terrible et qui n’aurait même pas dû en fait faire sa place dans les habitudes culinaires africaines. Ces cubes-là, c’est un concentré de sel. On ne sait pas forcément ce qu’il y a dedans et les huiles à outrance provoquent différentes maladies artérielles et autres. Je trouve que c’est une très mauvaise évolution et je pense que nos cuisiniers et nos cuisinières devraient aujourd’hui faire l’effort de retirer ces produits-là. Un bon poulet yassa n’a pas besoin d’un surplus d’huile ! Le cuisinier ou le restaurant qui vous fait des recettes avec de l’huile qui dépasse ou qui déborde, ce n’est pas bon, ce n’est pas correct.

Mais le bon plat traditionnel n’est-ce pas ce que les gens recherchent finalement ? Est-ce qu’il faut nécessairement chercher à innover ?

Nos plats traditionnels sont excellents. On aime le mafé, on aime le yassa. On aime ces recettes-là. Et je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin. L’innovation ne passe pas forcément par sophistiquer un mafé ou un yassa ! L’innovation passe par un regard posé sur le Swaziland, un regard posé sur la Zambie, sur le Zimbabwe par exemple. En se disant : qu’est-ce qu’on peut faire pour mettre en valeur cette cuisine-là qu’on ne connait pas forcément ? L’innovation est importante. Mais après je pense qu’il faut à côté de l’innovation, rajouter plein de mots très importants, comme ‘authenticité’. Parce que le but ce n’est absolument pas de dénaturer cette cuisine-là. Absolument pas. C’est vraiment de lui apporter l’écrin adéquat pour qu’elle puisse rayonner de la meilleure des façons.

La restauration rapide gagne du terrain dans les capitales. Les pizzas, les kebabs c’est pratique, ce n’est pas cher. Est-ce que c’est un phénomène aussi que vous regrettez ou que vous comprenez ?

Le fast-food d’une manière générale correspond au mode de vie des citadins. Ce n’est pas quelque chose qui me chagrine. Pour être totalement honnête, je pense qu’on passe tous au moins une fois de temps en temps devant un fast-food et puis on s’y fait et puis ce n’est pas grave. Je pense que l’abus est mauvais pour la santé, mais il faut de tout pour construire le paysage culinaire. Il faut de l’excellent fast-food, il faut du food truck, il faut du restaurant de quartier, il faut du restaurant gastronomique, il faut du restaurant bistronomique… Je pense que dans tous ces positionnements-là il faut cette cuisine africaine décomplexée. J’insiste sur ce mot-là : « décomplexé ».