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Coopération/Pourquoi les pays européens sont-ils en tension avec les pays de l’AES ?

Par Ablizangoh Wakatê/afriquematin.net

Depuis la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) en 2023, les relations entre ses pays et plusieurs autres de l’Europe se sont fortement dégradées. Cette dynamique n’est pas liée à un unique facteur, mais à un enchevêtrement de décisions politiques, de ruptures stratégiques et de malentendus historiques.

Les gouvernements militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ont demandé le retrait des forces françaises, puis de certaines missions européennes et ces retraits ont été perçus  pour les pays européens, comme un désaveu de plusieurs années d’engagement militaire et financier, une perte d’influence stratégique dans une région où l’Europe investissait massivement contre le terrorisme, ou une instabilité supplémentaire dans la lutte contre les groupes djihadistes.

Aussi, les pays de l’AES estiment que la présence européenne n’a pas permis d’améliorer la sécurité et les Européens estiment, eux, que les ruptures de coopération ont affaibli la lutte antiterroriste, ce qui nourrit une frustration politique. Leur orientation diplomatique s’est alors  tourné vers de nouveaux partenaires, notamment la Russie, Turquie, la Chine, l’Iran dans certains cas pour une coopération sécuritaire et accords militaires vrais.

 Pour l’Europe, ce réalignement est vu comme un défi direct à son influence dans une région historiquement francophone, une concurrence géopolitique dans un espace stratégique, concernant les ressources, les infrastructures et autre la sécurité méditerranéenne. Cette frustration des européens fait cas aussi d’une inquiétude quant à la présence de sociétés militaires étrangères, perçues comme rivales ou incontrôlables.

Les pays européens critiquent les transitions militaires au Sahel, considérant l’absence d’élections rapides, la restriction de certaines libertés, la révision des constitutions ; et les gouvernements de l’AES perçoivent ces critiques comme une ingérence, une application « à géométrie variable » des valeurs démocratiques par l’Occident, ou un mépris des réalités locales et de la souveraineté des États. Cette divergence de perception entraîne une détérioration du dialogue.

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 L’Europe considère le Sahel comme une région clé pour le contrôle des migrations vers la Méditerranée, la lutte contre les réseaux de trafiquants et la stabilité du Maghreb voisin. Pivot géographique des routes migratoires, la fin de la coopération sécuritaire avec le Niger a été particulièrement mal perçue par l’Union européenne.

Pour ces États du Sahel, les politiques migratoires européennes sont vues comme déséquilibrées, focalisées sur le contrôle plutôt que sur le développement, qualifiées parfois humiliantes ou attentatoires à leur souveraineté. A cet effet ils ont mis en avant l’héritage colonial français, dont les accords de coopération jugés « déséquilibrés », la dépendance économique entretenue par certains partenariats et surtout l’idée que l’Europe impose des conditions politiques en échange de son aide.

Du point de vue européen, ces arguments sont souvent considérés comme une instrumentalisation politique destinée à consolider le pouvoir des juntes, une lecture simplifiée d’une histoire complexe, et un obstacle au dialogue qui alimentent des tensions émotionnelles et politiques.

 Les Européens maintiennent que la coopération internationale reste indispensable contre les groupes affiliés à Al-Qaïda, l’État islamique au Sahel, les trafics transfrontaliers. Mais les gouvernements de l’AES adoptent une approche plus souverainiste faisant un recentrage sur des alliances alternatives, une création d’une défense mutuelle régionale, et l’expulsion des forces étrangères considérées comme inefficaces ou intrusives.

 L’affirmation identitaire et souverainiste de ces pays-reste un point essentiel qu’ils défendent. Cette vision -doit se réaffirmer face aux anciennes puissances, tant  la souveraineté politique et militaire doit primer sur les partenariats traditionnels, et surtout une coopération qui doit être repensée sur des bases « égalitaires ». Malheureusement, l’Europe, de son côté, voit parfois ce discours comme un rejet idéologique de l’Occident, un risque d’isolement international du Sahel, ou un danger pour la stabilité régionale.

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 Il est à noter aussi  que les tensions entre les pays européens et ceux de l’AES ne sont pas dues à une seule cause, mais à un changement stratégique profond dans le Sahel et à une difficulté européenne à s’adapter à ce nouvel environnement.

Celles-ci s’expliquent par la fin des partenariats militaires traditionnels, le réalignement géopolitique-, les divergences sur la démocratie et la souveraineté. S’ajoutent à ces prérogatives les enjeux migratoires et sécuritaires, le poids de l’histoire coloniale, et les intérêts nationaux désormais opposés. Et en un comme en plusieurs, la situation est en évolution permanente, et il est probable que les deux blocs chercheront, à terme, de nouveaux modes de coopération plus équilibrés.