Projet de révision constitutionnelle / Carell Bohoui-Baclaud, Consultant en communication, Stratégie politique et Sociale : ‘’Ouarga Obou est un danger pour la démocratie en Côte d’Ivoire’’
Par Interview réalisée par Martine kouakou – Afrique Matin.Net
La classe politique et la société civile, dans son ensemble, ne sont pas d’accord sur le projet du président ivoirien de procéder à l’élaboration d’une nouvelle constitution en s’appuyant exclusivement sur un groupe d’experts présidé par le professeur Ouraga Obou. M. Carell Bohoui-Baclaud, Consultant en communication et Stratégie politique et Sociale, dans cet entretien fustige la démarche du président Alassane Ouattara, relève les dangers qui en découlent mais surtout dénonce l’attitude de celui que tout le monde considère comme un constitutionnaliste émérite, le professeur Ouaraga Obou. Les raisons.
Le Président de la République, Alassane Ouattara a désigné un comité d’experts afin de conduire une réforme de la constitution ivoirienne. Et le projet de révision vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. Que vous inspire cette initiative ?
Nous sommes au nombre de ceux qui ne partagent pas l’initiative cavalière du Chef de l’Etat qui consiste, non seulement, à reformer la constitution, mais aussi à confier cette entreprise à un soit disant comité d’experts essentiellement composé de juristes.
Chaque révision ou nouvelle constitution procède logiquement de la volonté de remédier aux défectuosités de ses devancières. Et nous estimons qu’il faut plus qu’une réforme de la constitution vu les antécédents dramatiques qu’a connus le pays. Son état actuel, ainsi que les graves dangers qui se profilent à l’horizon, posent le problème avec acuité.
Nous sommes pour l’idée d’une nouvelle constitution consensuelle épurée des germes conflictuels qui ont conduit la Côte d’Ivoire au fond du gouffre dont elle n’est pas sortie si l’on tient compte de l’état actuel du pays.
Qu’entendez-vous par ‘’ une nouvelle constitution épurée des germes conflictuels’’ ?
Nous estimons que le régime présidentiel en Afrique porte en lui-même les germes de la déflagration des Etats. En ce sens qu’il consacre la déification d’un individu au sommet de l’Etat. Dans la forme comme dans la pratique, ce régime, particulièrement en Afrique, est en totale contradiction avec la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Le Chef de l’Etat demeure le détenteur exclusif de tous les pouvoirs. Il est le chef de l’exécutif, le chef suprême de la magistrature, le Chef suprême de l’armée. Il détient tout aussi l’initiative des lois et se pose par la même occasion comme le Chef du législatif. Il découle de cette situation un totalitarisme de fait dont la conséquence directe est la dictature. Et cette dictature consacre l’exclusion de tous ceux qui ne font pas partie du cercle au pouvoir ou ne pensent pas comme lui.
Dans le régime présidentiel en Afrique, la constitution est tributaire des rapports de force politiques et militaires en présence. Dans ce contexte, la constitution répond à la volonté exclusive de celui ou de ceux qui détiennent ces pouvoirs-là, même s’ils sont illégitimes ou minoritaires.
Pourtant, le régime présidentiel n’a jamais été véritablement remis en cause ni par les élites, ni par les populations elles-mêmes qui semblent s’accommoder de cette forme d’administration de nos Etat ?
Cette situation s’explique par le fait que le régime présidentiel trouve un écho favorable au sein de certains grands groupes ethniques dont il épouse le mode de fonctionnement traditionnel. Un mode marqué par le système de la royauté. Au sein de ces sociétés où les mythes ont la vie dure, le pouvoir est une affaire de lignée et le monarque, un demi-dieu qui dispose du droit de vie ou de mort sur ses sujets. Il décide pour tous et ne se trompe jamais. Il existe au sein de ces sociétés, une véritable fascination (à la limite de la religiosité) pour le détenteur du pouvoir.
Dans ce contexte, il est évident que la compétition pour le contrôle du pouvoir d’Etat dans les pays africains revêt par la même occasion un caractère subjectif et clanique. Elle devient une lutte pour l’affirmation des valeurs d’une communauté ethnique, régionale ou religieuse sur les autres. Vous comprenez avec nous, pourquoi les élections présidentielles sous nos tropiques suscitent autant de passions au sein des masses populaires majoritairement analphabètes et politiquement immatures, dont les valeurs se réduisent aux canons de leur communauté culturelle ou religieuse respectives. La compétition électorale est ainsi perçue comme la lutte des cultures plutôt que celles des idées. Bien que les masses partagent les mêmes réalités, les mêmes difficultés au quotidien, les joutes électorales deviennent l’occasion de l’exacerbation de leurs divisions. Chaque composante de la société étant arrimée au leader de sa communauté qui symboliquement incarnerait ses valeurs propres, celles de sa culture.
Nous estimons qu’un régime parlementaire serait, non pas une panacée, mais une des pistes les plus indiquées afin de conduire nos pays vers des Etats-nation et une véritable démocratie.
A votre sens, que revêt donc l’initiative du Chef de l’Etat ?
Il est inutile de se voiler la face quant aux véritables intentions du Chef d’Etat ivoirien à travers la réforme constitutionnelle annoncée. Il ne s’agit pas pour lui de changer la nature du régime, ni de réajuster certaines dispositions qui seraient confligènes dans la constitution pour le bien de tous.
Durant son premier mandat, la constitution n’a pas fait l’objet d’une remise en cause. Même l’article polémique 35 définissant les conditions d’éligibilité, n’a pas été remis en cause par l’actuel président qui, pourtant dans l’opposition, s’estimait visé par cette disposition. D’où vient-il qu’à l’entame de son deuxième et dernier mandat, celui-ci initie-il la révision de la constitution ?
Qu’est-ce qui dans la constitution ne l’a pas gêné pendant son premier mandat et qui viendrait le gêner à l’entame de son deuxième et dernier mandat ?
La réponse à cette dernière interrogation nous renseigne sur les véritables intentions du président de la république dont le second mandat est aussi le dernier en l’état actuel de la constitution. L’objectif de cette révision, à notre sens, ne vise qu’au maintien au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat à la fin de son second et dernier mandat en 2020.
Ses hommes de main, dont Cissé Bacongo et tout récemment Amadou Soumahoro, le Secrétaire Général de son parti, ne s’en cachent pas d’ailleurs au cours de leurs différentes sorties.
Selon vous, quelles dispositions de la constitution pourraient être visées par le Chef de l’Etat?
Trois particulièrement.
En premier lieu et avant tout, l’article 35 dont les verrous de la limitation des mandats à deux de 5 ans et celui de la limite d’âge sont les véritables obstacles au maintien au pouvoir de l’actuel président vis-à-vis de la constitution. La question du ‘’ET’’ et du ‘’OU’’ concernant la filiation des candidats, n’est qu’un cache-sexe pour justifier la modification de ces deux dispositions contenues dans l’article 35.
Ensuite l’article 36 définissant le mode du suffrage qui pourrait passer à l’issue de cette révision, de la majorité absolue des suffrages exprimés à la majorité relative. Ce qui justifierait de facto un scrutin à un tour. Il s’agira avec cette modification de pallier toute défection ou tout hypothétique ralliement de son principal allié au sein du RHDP, notamment le PDCI, avec l’opposition significative pour la reconquête du pouvoir. Question de se prémunir contre toutes mauvaises surprises du second tour de la présidentielle.
Puis enfin, l’article 40 faisant du président de l’assemblée nationale le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat. La modification de cet article avec la création d’un poste de vice-président qui devrait échoir au PDCI, répondrait à une compensation afin de pallier le non-respect de ‘’l’appel de Daoukro’’. Cet arrangement politique avec l’allié PDCI, prévoyait la rétrocession de la magistrature suprême en 2020 au parti de Bédié contre le soutien et la non candidature de ce dernier à la précédente élection présidentielle. Puisqu’il semble que le Chef de l’Etat n’entend pas visiblement céder le pouvoir à la fin de son dernier mandat, le poste de vice-président au PDCI contribuerait à donner une garantie ‘’constitutionnelle’’ à son principal allie au sein de RHDP contre son soutien indéfectible. Il est sujet d’entretenir l’illusion d’un partage du pouvoir qui échoirait à cette formation en cas d’absence ou de départ de l’actuel locataire du palais présidentiel. Cependant, la question reste de savoir jusqu’à quand ira l’ambition du chef de l’Etat de demeurer à la tête du pays. 5 ans, 10 ans ou 20 ans de plus ? A ce niveau, nous penchons pour une présidence à vie vue les dernières déclarations du secrétaire général de son parti. Ce dernier a clairement trahi le secret du régime Ouattara. Il s’agit de se maintenir ‘’éternellement’’ au pouvoir afin de s’éviter à eux et à leurs familles le retour du bâton. Cette volonté de ‘’s’éterniser au pouvoir’’ prend tout son sens quand elle est mise en balance avec la garantie de l’avenir de leurs enfants et petits-enfants, selon les craintes exprimées par Ahmadou Soumahoro. En d’autres termes, il s’agit pour le camp Ouattara de s’accaparer durablement le pouvoir dans le but de protéger leurs intérêts et ceux de leurs familles. Intérêts dont ils ont conscience qu’ils sont les seuls capables de garantir leur survie vu leur mode de gestion du pouvoir.
Pourtant le PDCI appelle à la prise en compte des accords de Marcoussis dans le processus de révision de la constitution voulue par le Chef de l’Etat ?
Nous estimons qu’il n’est pas très responsable de faire référence aux accords de Marcoussis pour tout ce qui concerne la constitution ivoirienne. Car ces accords sont une négation de la constitution elle-même et une légitimation de la violence armée comme mode d’accession au pouvoir d’Etat. Ils sont surtout une négation de la souveraineté de l’Etat ivoirien dont des pans entiers ont été neutralisés par ces accords. ‘’Les accords de Marcoussis’’ symbolisent une délocalisation du droit constitutionnel ivoirien sous la dictée d’acteurs étrangers, notamment français, et auxquelles ont essentiellement pris part les belligérants de la crise ivoirienne. Il faut préciser que l’Etat français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est le véritable auteur de ces accords imposés à l’ex parti au pouvoir. Les travaux ont eu lieu dans la ville de Marcoussis, en France. Ils ont été dirigés par le Juge constitutionnel français Pierre Mazeaud. Une personnalité à la moralité plus que douteuse dont les liens avec la mafia corse ont été établis par la presse et la justice française dans plusieurs affaires sales. L’accord de Marcoussis n’est donc pas le produit d’un consensus issu de la société ivoirienne. C’est un accord politique conjoncturel à l’initiative de la France entre belligérants de la crise ivoirienne dont elle-même est partie prenante. Ils ne reflètent en aucun cas la volonté souveraine de la société ivoirienne. Réactualiser les accords de Marcoussis a travers le reforme qui s’annonce, reviendrait donc à légitimer les rebellions et coups de forces futurs ainsi que la remise sous tutelle française de la constitution ivoirienne.
Le comité des experts conduit par l’éminent professeur de droit Ouraga Obou est-il conscient de la volonté du Chef de l’Etat de se maintenir au pouvoir et des graves dangers qu’il fait planer sur l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire ?
Si nous tenons compte de la grogne sociale perceptible dans le pays, le processus de réconciliation au point zéro, l’insécurité alarmante, les graves écarts constatés dans la gouvernance du pays avec la politique du rattrapage ethnique et de vengeance menée sous le couvert de la justice, le taux de corruption sans précédent, la mauvaise santé de l’économie ivoirienne dont le volume des exportation est déficitaire pour la première fois depuis 1978, sans oublier les appétits aiguisés au sein de la coalition au pouvoir pour la succession de l’actuel président, il est évident que tout ça va mal finir si rien n’est fait pour désarmer ce cocktail explosif. La question à ce niveau ne serait plus de savoir comment, mais quand la sanction va- t-elle tomber sur le pouvoir Ouattara.
Nous ne ferons pas l’injure à ces brillants intellectuels, notamment au professeur Ouraga Obou, de pense qu’ils ignorent l’issue de toute cette accumulation d’impairs à laquelle vient s’adjoindre cette dangereuse réforme constitutionnelle dont son petit groupe et lui ont la charge.
C’est donc en parfaite connaissance de cause le Professeur Ouaraga Obou est en mission ?
Une chose est sûre. Il n’ignore pas que cette reforme n’est que le produit de petits arrangements entre deux ‘’amis’’ de circonstance au sein de la coalition à la tête de ce pays. Dans le but de conserver durablement le pouvoir pour le premier, et de se le voir rétrocéder par la suite sans coup férir pour le second. Le Pr Ouaraga Obou sait parfaitement que son rôle est de rendre ‘’constitutionnel’’ ces petits arrangements qui ne concernent que des intérêts aux antipodes de l’intérêt général des populations.
Selon vous et comme le pense une grande partie des ivoiriens, l’objet principal de cette réforme est le maintien au pouvoir du président après son dernier mandat qui s’achève en 2020. Qu’est-ce qui explique qu’un éminent homme de droit comme Ouraga Obou puisse s’engager dans une telle aventure qui s’apparente à une tentative de confiscation du pouvoir, un déni de la démocratie ?
Ce projet présage, en effet, d’un refus de l’alternance politique. C’est bien à dessein que ce petit comité d’experts, essentiellement en droit, a été mis en place par les soins du premier bénéficiaire c’est-à-dire le Chef de l’Etat. Sa mission consiste a apporter les artifices juridiques nécessaires à la conformité devant la loi des visées déjà arrêtées par le mandataire. Tout le reste n’est qu’habillage. Si le président, souhaitait une légitimité populaire de cette réforme, il coule de source que le procédé de son élaboration aurait été autre.
Monsieur Ouaraga Obou a donc bien conscience du mauvais rôle qui est le sien. L’opinion aurait tort de s’y méprendre. C’est un homme très intelligent.
Le drame avec les intellectuels de ce pays, politiciens en fin d’après-midi, est qu’ils perdent toute lucidité une fois de connivence avec les gouvernants. Ce genre d’intellectuels représente un véritable danger pour les embryons de démocraties en Afrique. Le fait est qu’ils agissent sous le couvert de leurs attributs comme des mercenaires pour la légitimation des intérêts personnels des hommes politiques au détriment des gouvernés.
Si la Cote d’Ivoire a perdu tout repère depuis longtemps, c’est parce qu’elle manque de boussoles a la hauteur de ses qualités, de ses richesses et de ses potentialités.