Tchad/Le président Mahamat Idriss Déby assène ses vérités à la France

Depuis la rencontre du 24 janvier dernier à Moscou avec son homologue russe Vladimir Poutine, le président   de la transition tchadienne Mahamat Idriss Déby s’exprime pour la première fois sur les médias français. Veut-il chasser les militaires français de son pays et les remplacer par des militaires russes ou fonder une dynastie… ?

Prévue pour se tenir le 6 mai 2024 prochain, l’élection présidentielle est déjà jouée d’avance, pour une certaine partie de l’opposition qui parle d’une mascarade., – Aura-t-elle lieu ?

Je crois qu’on a fait un long chemin et ce long chemin, on l’a fait avec l’ensemble de la classe politique et aussi une grande partie aussi des ex-politico-militaires. Et toutes les institutions qui sont issues de la nouvelle Constitution sont des institutions indépendantes. -.Donc, je crois que ceux qui disent que c’est une mascarade ou bien que c’est une élection qui est déjà jouée d’avance, bon, je les comprends, c’est aussi ça, la politique, c’est de bonne guerre. Mais moi, je fais confiance à cette agence qui va jouer pleinement ce rôle de manière indépendante. Et vous allez voir que, le 6 mai prochain, les Tchadiens vont choisir, vont élire le président qui va diriger ce pays pendant les cinq prochaines années. Et le choix du peuple sera respecté.

 Le 28 février 2024 dernier a été la date de l’assassinat de l’opposant Yaya Dillo – dans un assaut de l’armée tchadienne contre le siège de son parti, à Ndjamena. -Que répondez-vous à ceux qui affirment que vous l’avez fait éliminer ?

– Je voudrais dire en quelques mots ce qu’il s’est passé. Monsieur Yaya Dillo et ses militants ont attaqué le siège des services de renseignement avec des armes de guerre. Est-ce qu’un parti politique a le droit des armes ? Est-ce que les militants d’un parti politique ont le droit d’avoir des armes ? C’est ça, la question. Donc, pendant cette attaque macabre, il y a eu des morts- du côté des forces de défense et de sécurité, et aussi parmi les militants du Parti socialiste sans frontières, (PSF).

Le ministre Bockel a rendu visite au président Tchadien.

Donc, il était tout à fait normal pour un État que celui qui a conduit cette attaque doit être arrêté pour répondre – de ses actes. Et la police est intervenue pour l’arrêter. Il n’a pas voulu obtempérer. Au contraire, il a tiré sur les forces de l’ordre et les forces de l’ordre ont répliqué. Il y a eu des morts des deux côtés. Maintenant, l’affaire est entre les mains de la justice. Nous allons attendre la décision de la justice. Et nous avons dit très clairement que nous sommes aussi ouverts à une enquête indépendante, ce qui veut dire que nous n’avons rien à cacher sur cette histoire.

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Êtes-vous ouvert à une enquête ? Et dans combien de temps ? …

 Oui, une enquête internationale ; et dès le début, nous avons fait un communiqué pour expliquer à l’opinion nationale et internationale ce qu’il s’est passé. Et nous avons aussi demandé une enquête indépendante.

Cette campagne est un peu atypique parce que vous allez affronter plusieurs candidats, notamment votre Premier ministre, Succès Masra. Y a-t-il un accord ou un deal entre vous ?

 Écoutez, dans la logique d’une transition apaisée, nous avons toujours tendu la main pendant ces trois ans de transition. Et Succès Masra est un Tchadien, chef de parti politique. Il a fait des erreurs et a reconnu ses erreurs. Il a voulu rentrer au Tchad. Donc, il est passé par des facilitateurs désignés par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, notamment le président de la RDC Félix Tshisekedi. Nous avons accepté la main tendue et nous avons signé un accord pour qu’il revienne au pays. Maintenant, il est candidat, je suis candidat. Il n’y a aucun accord entre nous.

 Cela fait un an qu’au Soudan la guerre civile fait rage entre le camp du président Abdel Fattah al-Burhan et celui du général Hemedti. Le 9 mars dernier, le représentant du président al-Burhan aux Nations Unies vous a accusé d’approvisionner en armes les troupes du général Hemedti– de concert avec les Émirats arabes unis. Pouvez-vous apporter des éclairages sur cette accusation ? Ensuite -pourquoi ne condamnez-vous pas cette rébellion du général Hemedti qui s’appuie notamment sur les milices janjawids qui ont beaucoup fait souffrir les habitants du Darfour depuis 20 ans ?

Ce qui me fait sourire, c’est que c’est archi-faux, ce que vous dîtes. Un peu d’histoire, revenons en arrière : je crois que le Tchad n’a jamais agressé le Soudan. Maintenant, par rapport à ce qu’il se passe au Soudan, dès les premières heures de la transition à partir d’avril 2021, nous avons tout fait pour éviter cette guerre.

Pour preuve, nous avons invité le président al-Burhan, ici, à Ndjamena, et nous avons invité le vice-président Hemedti à Ndjamena, pour leur prodiguer des conseils, pour leur dire que la guerre n’est pas une solution. Maintenant, ce qui se passe au Soudan, c’est d’abord qui a créé les janjawids ? Qui est responsable de ces milliers de morts ? –

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Donc, le régime soudanais est en train de récolter en quelque sorte ce qu’il a semé. Ce qui se passe au Soudan, c’est une guerre soudano-soudanaise. Nous, ça ne nous regarde pas. Et malheureusement, jusqu’à présent, la guerre continue et je vais profiter de votre micro pour appeler les deux généraux à cesser immédiatement la guerre et privilégier le dialogue.

Cette guerre, ceux qui en souffrent le plus, c’est d’abord le peuple soudanais. Ensuite, c’est le Tchad qui en souffre : depuis 2003, nous abritons sur notre sol plus de 600 000 réfugiés soudanais. Aujourd’hui, on compte plus de 2 millions de réfugiés. Donc, cela crée non seulement l’insécurité, des problèmes humanitaires et aussi des problèmes environnementaux. Donc, je crois que ce qui se passe au Soudan, c’est un problème soudano-soudanais et ça ne nous regarde pas du tout, ça ne regarde pas le Tchad.

Au mois de fin-janvier 2024, vous avez fait une visite très remarquée à Vladimir Poutine ou vous avez dit que la Russie est un « pays frère ». Pensez-vous envisage à signer une coopération militaire avec Moscou du même type à celle que votre voisin, le Niger, vient d’engager ?  

Nous avons eu des échanges très fructueux avec le président Poutine, dans le respect mutuel, et sur des sujets sur lesquels nous nous entendons. Sur des sujets qui nous concernent, entre deux États souverains.

Y compris sur la coopération sécuritaire ? Est-ce que c’est sur la table ?

Il n’y a pas que la coopération militaire. Il y a d’autres coopérations. Pourquoi toujours parler de coopération militaire quand il s’agit de pays africains ? Il y a d’autres coopérations : il y a les coopérations économiques qui sont très importantes aujourd’hui pour nos pays. On a parlé de beaucoup de sujets : on a parlé de coopération militaire, de coopération économique, de coopération diplomatique. Il y a une panoplie de sujets sur lesquels, avec le président Poutine, nous avons discuté. Et je peux vous dire que je suis satisfait de cette visite.

Envisagez-vous un changement d’alliance militaire -avec la France pour nouer une alliance avec la Russie ? Ou comptez-vous conserver votre alliance militaire avec la France au vu de ce qu’a dit l’envoyé personnel du président français, Jean-Marie Bockel, à la sortie d’une audience que vous lui avez accordée il y a un mois ?

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Écoutez, le Tchad est un pays indépendant, libre et souverain. Nous ne sommes pas dans le principe d’un esclave qui veut changer de maître. Nous avons l’intention de travailler avec toutes les nations de monde, toutes les nations qui nous respectent et qui veulent travailler avec nous en se respectant mutuellement.

Pensez-vous concrètement que le contingent – et les trois bases militaires françaises qui sont actuellement installées au Tchad seront-ils maintenus ?

En ce qui concerne la France, comme vous l’avez dit tout à l’heure, Monsieur Bockel a fait une visite au Tchad. Avec lui, nous avons eu des discussions sur le futur de nos coopérations. Nous avons eu des échanges, nous allons continuer nos échanges et ensemble, souverainement, nous allons décider de nos futures coopérations. Et ces coopérations ne doivent pas se limiter seulement à la défense. Il y a d’autres coopérations aussi, notamment la coopération économique. C’est la coopération économique qui nous tient le plus à cœur aujourd’hui, plus que la coopération de défense.

A propos de cette élection, comptez-vous, vous engagez à vous présenter seulement pour un ou deux mandats ?

D’abord, il faut savoir que moi je suis un candidat et j’ai un programme qui est ambitieux, que je vais présenter au peuple tchadien. Maintenant, c’est au peuple tchadien de décider, même si je suis confiant. Je suis confiant dans mon programme par rapport à tous les actes que j’ai faits, par rapport au respect des engagements que j’ai pris pour la transition : notamment organiser le dialogue national inclusif, organiser le référendum constitutionnel. Les Tchadiens savent que je suis un homme d’action et un homme de parole.

Si je suis élu, je vais faire mon mandat de cinq ans et à la fin de mon mandat, ce sera au peuple de me juger. Ce sera au peuple tchadien de me juger par rapport à ce que j’ai proposé. Quant à la dynastie à laquelle vous faites référence, notre Constitution est très claire. Un candidat ne peut pas faire plus de deux mandats successifs. Et je voudrais rassurer le peuple tchadien que je vais respecter et que tout le monde va respecter la Constitution qui a été adoptée et votée par le peuple tchadien.