Une semaine après les violences qui ont fait sept morts les 21 et 22 août, le calme est revenu à Divo. Mais rien n’est vraiment réglé. Reportage.
Famoussa Coulibaly grimpe dans son véhicule à la hâte. Le député de Divo (centre-ouest) doit se rendre à une nouvelle réunion de conciliation dans une cour commune de Bada, un des quartiers historiques de la ville. Il est en retard et ça ne le rassure pas. « Bada est un point chaud. Les gens sont en colère. Alors vous comprenez, être en retard ce n’est pas l’idéal », explique cet homme de 44 ans, au ton mesuré et à la barbe drue, élu en 2016 sous la bannière de l’Union pour la démocratie et la paix (UDPCI, d’Albert Mabri Toikeusse) et aujourd’hui membre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Le calme est revenu après les violences meurtrières des 21 et 22 août, mais dans le fond, rien n’est vraiment réglé. Sur place, le député est attendu de pied ferme par quelques dizaines de personnes. Tout le monde se lève pour Bobi, le chef traditionnel et son élégant chapeau noir. On se donne les nouvelles puis Famoussa Coulibaly prend la parole : « Pardon pour tout ce qui s’est passé. Tous ceux que j’ai écoutés sont dans le regret. Nous sommes tous meurtris. Je vous demande d’oublier ce qui s’est passé et de prier Dieu pour qu’il puisse nous apaiser, pour que cette situation n’arrive plus. »
Assis discrètement au dernier rang, Daniel écoute avec attention. Son visage est couvert d’un imposant pansement. Le 21 août, il a été victime d’un violent coup de machette en rentrant chez lui.
D’autres n’ont vraisemblablement pas envie « d’oublier ». D’un coup, un grand brouhaha se fait entendre à l’entrée de la cour. Des jeunes hommes et quelques femmes veulent faire entendre leur voix. Tous sont très nerveux. L’un deux, Kodjo, parvient à se frayer un chemin à travers la foule. « Je veux parler », crie-t-il. Le chef, Bobi, doit intervenir : « si c’est comme ça, je m’en vais ». Le calme revient. Privé de tribune, Kodjo rumine derrière un masque noir.
Ces dernières semaines, alors que la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat cristallisait les tensions dans certaines localités du pays, des responsables de Divo avaient senti le climat s’envenimer. Mais personne n’avait imaginé de telles violences.
Tout a commencé dans la matinée du 21 août. Une centaine de femmes issues de l’opposition, principalement du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, entament une marche pour contester la candidature d’Alassane Ouattara. Elles sont encadrées par des jeunes et le responsable local du FPI. Arrivés à la gare de transport d’Hiré (située à l’extrême nord de la ville) qu’ils n’entendent pas traverser mais simplement contourner, les manifestants sont bloqués par les transporteurs. Le ton monte, le responsable du FPI est blessé, la situation dégénère. « C’était la guerre des cailloux pendant trois heures. Une médiation a été entamée et le calme est revenu. C’est alors qu’un maquis a été brûlé, tuant un adolescent qui y travaillait pour l’été. Accusant les transporteurs, les jeunes ont brûlé la gare », raconte un habitant du quartier.
La ville veille toute la nuit. Les affrontements reprennent le lendemain matin aux aurores et s’étendent à plusieurs quartiers. Maquis, boutiques, et restaurants partent en fumée. Sur fond d’opposition politique et de différends communautaires entre autochtones dida et allogènes dioula, certains en profitent pour régler leurs comptes. Il faudra l’arrivée de renforts policiers d’Abidjan pour que la situation soit contrôlée. Le bilan est lourd : sept morts et des dégâts matériels considérables.
« Rumeurs et fake news »
« Ces violences sont d’abord le résultat d’incompréhensions, de rumeurs et de fake news diffusées sur les réseaux sociaux », estime le député Famoussa Coulibaly. Ce qu’il appelle des « fake news » sont pour certains habitants de Divo une certitude. L’une d’elles, particulièrement vivace dans la communauté dida, évoque la présence de jeunes venus de l’extérieur pour expliquer de tels heurts. Albert, la quarantaine grisonnante, assure avoir vu l’un d’eux de ses « propres yeux » : « C’était un petit de 15 ans. On l’a attrapé samedi. Il avait un couteau et des gris-gris sur lui. Il a reconnu venir d’Abobo, à Abidjan. On l’a bien chicoté et remis à la Croix-Rouge ». Des informations bien difficiles à confirmer, mais qu’évoque un rapport d’Amnesty international. « Des gens venus de l’extérieur ? C’est faux. Ceux qui ont pillé sont d’ici. On les connaît. Tout ça, c’est seulement entre nous », estime de son côté un commerçant de la ville.
Le sol du « Paris Glace » est jonché de verre brisé. Il ne reste plus grand chose de ce restaurant pillé dans la nuit du 21 au 22 août. « Ils ont tout cassé et tout pris : les congélateurs, les télévisions. J’ai peur. Beaucoup veulent quitter le quartier. Il y a tellement de rumeurs », se désole Adama, le fils du propriétaire.
À quelques mètres de là, des véhicules de transport stationnent devant la gare d’Hiré. Ce lieu d’habitude si bouillonnant paraît bien calme. Presque toutes les boutiques qui l’entourent ont été brûlées. Mohammed revient pour la première fois constater les dégâts. Ce vieux Guinéen y tient un kiosque depuis 35 ans. « C’est la quatrième fois que la gare est détruite. À chaque fois, on reconstruit et on passe à autre chose. Mais c’est la première fois qu’elle est brûlée. Je ne sais pas pourquoi c’est allé aussi loin », dit-il sous le regard d’Adama Diomande, l’imposant responsable des chauffeurs de la gare. « Le transport n’a pas vraiment repris. On a peur que la violence reprenne. Les problèmes arrivent toujours pendant les élections. Le reste du temps, on a pas de problème, on joue au maracana ensemble », témoigne-t-il.
Crainte de nouvelles violences
Divo ressemble à tant de villes du centre de la Côte d’Ivoire. Traversée par les mêmes dynamiques, elle rencontre les mêmes problématiques. C’est un melting-pot de peuples, la terre du peuple Djiboua dont la langue est le dida. Au fil du temps, ses habitants ont noué de nombreuses alliances et accueilli des populations gouro, baoulé, malinké venus du nord de la Côte d’Ivoire et de la sous-région. Des transporteurs, des commerçants ou des travailleurs attirés par la culture du cacao que la région produit en quantité importante. La bourgade est devenue une ville dont la population dépasse aujourd’hui les 100 000 habitants.
C’EST AVEC LA POLITIQUE QUE LES PREMIÈRES TENSIONS SONT ARRIVÉES. »
Face à ce bouleversement démographique et malgré le métissage, la cohésion sociale s’est effritée. La méfiance entre les communautés s’est instaurée alors que les frustrations économiques augmentaient. « Le premier ‘dioula’ est arrivé en 1867. On a toujours vécu en harmonie. Mais c’est avec la politique que les premières tensions sont arrivées », raconte un cadre de cette ville longtemps acquise à la cause de Laurent Gbagbo, qui fit de l’un de ses fils, Paul Yao N’Dré, son ministre de l’Intérieur avant de le nommer président du Conseil constitutionnel, et avait récolté 52 % des suffrages lors du second tour de la présidentielle de 2010.
Les dernières grosses violences remontent à 2006. En réaction à une manifestation de partisans d’Alassane Ouattara, des jeunes pro-Gbagbo avaient voulu brûler le marché. Il y avait eu plusieurs morts. En 2011, la descente de la rébellion des Forces nouvelles (FN) dans les dernières semaines de la crise postélectorale avait causé son lot de règlements de compte. Après la chute de Laurent Gbagbo, il avait fallu de longs mois pour que l’autorité de l’État soit complètement restaurée, que les miliciens pro-Gbagbo soient désarmés, que le pillage et le racket des ex-rebelles cessent. Tous les scrutins ont ensuite entraîné une poussée de fièvre, parfois entre partisans d’une même coalition politique, sans que la participation électorale soit pour autant importante.
À quelques semaines de la présidentielle prévue fin octobre, les habitants de Divo craignent que les différents communautaires ne soient instrumentalisés et que la situation dérape à nouveau. Pascale, restauratrice se décrivant comme « GOR » (« Gbagbo ou rien »), a pris part à la marche des femmes du 21 août. Elle est aujourd’hui amère : « À chaque fois, c’est la même chose. Les politiques appellent à manifester mais on ne les voit jamais dans la rue. C’est toujours le peuple qui trinque pour eux et jamais l’inverse. »
Source : Jeune Afrique.