Arrivé en troisième position à la présidentielle du 22 novembre 2020 au Burkina Faso, Zéphirin Diabré vient d’être nommé ministre d’État, ministre auprès du président en charge de la Réconciliation nationale et de la cohésion sociale. Il a donc annoncé son retrait de l’opposition politique. Comment compte-t-il assumer sa mission ? Il donne également le sens de leur alliance au sein de la classe politique burkinabè. Voici quelques éléments de réponses.
Quel était le sens de votre alliance avec la quasi-totalité des candidats de l’opposition si c’était pour rejoindre le pouvoir au lendemain des élections ?
Chaque élection consacre la fin d’un cycle politique et le début d’un autre. Dans ces circonstances, chaque parti détermine un peu son cheminement futur. C’est sur la base de cela que mon parti, l’UPC [Union pour le progrès et le changement], a souverainement décidé la trajectoire nouvelle sur laquelle il veut se porter.
Pendant tout le temps qu’à durer la campagne électorale, vous avez tenu des propos moins élégants contre le chef de l’État. Ne craignez-vous pas que ce virage – ne nuise à la crédibilité des hommes politiques ?
Pendant la campagne, le chef d’État et ses hommes aussi, n’ont pas eu des mots très gentils vis-à-vis de moi, c’est le jeu de la campagne électorale, et tout cela est devenu du passé. Les Burkinabè ont décidé, et c’est leur liberté, que je n’étais plus la personne indiquée pour conduire l’opposition politique. J’en prends acte. Mon parti et moi sommes libres maintenant de tracer notre trajectoire. Rappelez-vous qu’en 2015, il y a eu ce qu’on appelle un rendez-vous manqué. Les Burkinabè s’attendaient à ce que nous puissions gouverner ensemble parce que nous avions fait ensemble une insurrection. Donc, se retrouver aujourd’hui n’a rien d’un sacrilège. Il n’y a pas de trahison de qui que ce soit ni de virage à 180°. C’est cela qui est important.
Serait-il possible d’organiser un grand forum de réconciliation au premier semestre de cette année comme l’avez promis le chef de l’État ?
Oui, c’est tout à fait possible, de toute façon, dans le cheminement qui sera dessiné et arrêté de manière collective et de manière participative, j’insiste sur cela, il est clair qu’à un moment donné, à une étape, il va bien falloir qu’il y ait un évènement qui rassemble l’ensemble des Burkinabè sur la base d’un travail qui est fait en amont, du genre d’un forum. Mais je ne peux pas vous dire avec exactitude à quelle date on va le faire.
L’ancien président Blaise Compaoré pourra-t-il participer à ce forum ?
La manière de poser votre question me surprend. Lorsque dans la démarche que nous aurons arrêtée, l’idée d’un forum sera bien affirmée, les participants répertoriés et le calendrier arrêté, pourquoi voulez-vous qu’il y ait un ostracisme vis-à-vis de telle ou telle personne, y compris Blaise Compaoré. Il n’y a aucune raison. Donc, le moment venu, l’ensemble des participants sera connu. Il a été un acteur important de la vie politique de cette nation, il est clair que dans un exercice comme celui-là, sa participation et sa voix seront importantes et utiles.
L’ancien président est poursuivi par la justice dans le cadre du procès Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987. Comment peut-il rentrer dans de telles conditions ?
C’est à nous de voir dans le déroulement de la démarche. Sur toutes ces questions-là, il y a des questions qui relèvent de la justice, il y a des questions qui relèvent de la sécurité personnelle, il y a des questions politiques. C’est pour cela justement qu’on aura un processus pour pouvoir les trancher, ce sur quoi nous travaillons.
La réconciliation ne risque-t-elle pas de consacrer l’impunité ?
Il y a des victimes, il y a des victimes, il y a des victimes et je le dis trois fois. Elles sont parties prenantes et intégrantes de tout ce que nous ferons, et bien entendu, leurs intérêts doivent être préservés et fortement sauvegardés. Mais qu’on comprenne bien que ce n’est pas simplement ramener à la question de la réconciliation à un truc politicien. Si nous laissons apparaître le sentiment que c’est une histoire de deal entre politiciens pour que les exilés reviennent, nous ne risquons pas d’avoir l’adhésion de la population. Et cela, c’est dangereux.
Votre premier geste en tant que ministre a été de recevoir le jeudi dernier les responsables du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés. Avez-vous évoqué le massacre de Yirgou en janvier 2019 lors duquel peut-être plus d’une centaine de Peuls ont été tués…
Effectivement nous l’avons évoqué et la procédure judiciaire est en cours. Il faudrait qu’elle puisse aboutir rapidement pour que justement, là aussi, on ne donne pas une prime à l’impunité. -Le collectif que j’ai rencontré et d’autres personnes d’une certaine manière, sont animés par des femmes et des hommes qui estiment que certaines communautés dans notre pays ne se sentent plus tout à fait intégrées dans le tissu national et sont même parfois justement accusées de connivence avec les terroristes. C’est une question très grave qui appelle donc à un effort de réconciliation si nous voulons parler de réconciliation et de cohésion nationale.
Est-ce que qu’un grand forum pourra-t-il régler ces questions ?
Toutes ces questions seront réglées par une batterie de mesures. Le fait même que le président du Faso ait jugé utile de créer ce poste de ministre d’État, rattaché directement à lui, qu’il ait pris solennellement cet engagement juste au moment de sa réélection, montre bien toute l’attention qu’il veut apporter au sujet maintenant. Rien que ça déjà, c’est un message très fort qui devrait rassurer les uns et les autres que les questions seront prises à-bras-le-corps.
Et la question des exactions de l’armée, sera-t-elle abordée ?
Il va de soi que la question sécuritaire sera donc examinée. Il va de soi clairement que les populations concernées feront savoir leur manière de voir les choses par rapport aux relations qu’ils entretiennent avec tout le monde, y compris avec les forces de défense et de sécurité dans ce théâtre-là.
Source : rfi.fr