Des chercheurs russes, américains et suisses ont réussi à faire revenir un ordinateur quantique une fraction de seconde en arrière, transgressant ainsi le deuxième principe de la thermodynamique. Leurs conclusions et l’éventuelle manifestation de ce phénomène dans le monde réel ont été présentées dans la revue Scientific Reports.
« C’est l’une des séries de travaux consacrés à la possibilité d’enfreindre le deuxième principe de la thermodynamique : une loi physique étroitement liée à la différence entre le passé et le futur. Nous avons approché ce problème sous un troisième angle en créant artificiellement un état du système qui évolue lui-même en sens inverse du point de vue du deuxième principe de la thermodynamique. », explique Gordeï Lessovik, chercheur à l’Institut de physique et de technologie de Moscou à Dolgoproudny. Les résultats de l’étude des chercheurs sont publiés dans la revue Scientific Reports.
L’un des fondements de la physique contemporaine et de la cosmologie est le concept de « flèche du temps », un postulat selon lequel dans notre Univers, le temps se déplace seulement à sens unique, du passé vers le futur. En d’autres termes, nous avançons à travers un espace quadridimensionnel dans un seul sens sur l’axe du temps, et il est impossible de « rembobiner ».
Du point de vue de la physique, cela se traduit par le fait qu’avec le temps la désorganisation, le caractère chaotique de l’Univers, l’état appelé entropie par les chercheurs, grandissent inéluctablement. Par exemple, ce processus se manifeste dans la manière dont change l’état de l’énergie de l’Univers.
Ce principe, le deuxième principe de la thermodynamique, est considéré comme une règle immuable qui régit la vie de tout l’Univers à tous les niveaux. C’est également la raison pour laquelle le « mouvement perpétuel » restera un rêve des adeptes de science-fiction mais ne se concrétisera jamais.
Il y a trois ans, Gordeï Lessovik et ses collègues ont découvert que le deuxième principe de la thermodynamique pouvait être enfreint au niveau quantique alors qu’ils essayaient justement de prouver le contraire. Cela a ouvert la voie à la création d’un analogue quantique du célèbre « démon de Maxwell », une entité hypnotique qui trie les molécules rapides et lentes. Un peu plus tard, des physiciens russes ont réussi à mettre en pratique cette idée. Cela les a poussés à réfléchir à la possibilité d’exploiter les propriétés étonnantes du monde quantique pour faire éclater le démon de Maxwell en plusieurs parties placées à des distances relativement grandes. Ils ont réussi à mettre en œuvre cette tâche ambitieuse fin 2018.
La suite logique de ces expériences, poursuit Gordeï Lessovik, a été la vérification de la capacité du temps à s’inverser délibérément au moins pour une particule dont le comportement est régi par les lois de la physique quantique.
Ils ont effectué un calcul pour savoir si un électron situé dans un espace vide pouvait spontanément revenir un instant en arrière en utilisantl’équation de Schrödinger pour déterminer où, à un instant T, se trouvera la particule. Ces calculs étaient basés sur l’idée simple selon laquelle la position de la particule allait progressivement « s’étaler » dans l’espace sous l’action de la flèche du temps.
Il s’est avéré qu’un électron pouvait effectivement se rendre spontanément dans le passé avant de revenir dans l’état dans lequel il se trouvait quelques instants plus tôt. Cependant, de tels événements doivent se produire très rarement, selon les estimations de Gordeï Lessovik et de ses collègues, il est possible que cela ne se passe qu’une fois dans toute l’existence de l’Univers, sachant que le temps sera « rembobiné » de seulement 0,06 nanoseconde.
Néanmoins, la possibilité-même d’enfreindre le deuxième principe de la thermodynamique a permis aux chercheurs russes et étrangers d’effectuer une telle opération en « mode manuel » en utilisant un ordinateur quantique de la société IBM via le cloud.
En unissant deux ou trois qubits, modules de calcul élémentaires et cellulaires de mémoire de tels appareils, les scientifiques les ont remplis avec un certain groupe de chiffres et ont commencé à manipuler leur contenu de sorte à ce que le niveau de chaos à l’intérieur de ce système quantique commence à grandir rapidement.
Quand l’entropie a atteint un certain point, un autre logiciel a commencé à contrôler le travail des qubits, les faisant passer dans un autre état de manière à ce que leur « évolution » n’aille plus dans le sens du chaos, mais de l’ordre. Les qubits sont alors revenus en un instant dans leur état initial.
Cette procédure, expliquent les physiciens, n’a pas toujours été couronné de succès : cela a fonctionné dans 80% des cas pour deux cellules de mémoire, et seulement dans la moitié des cas pour trois qubits. Comme le supposent les chercheurs, c’était dû aux erreurs dans le travail de l’ordinateur quantique en soi, et non à d’autres raisons complètement inattendues et inexplicables.
Prochainement, Gordeï Lessovik et son équipe comptent élaborer des algorithmes plus efficaces pour « inverser le temps », qui travailleront plus rapidement et permettront aux physiciens de manipuler l’état d’un plus grand nombre de qubits.
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