Par Nicolas Beau*
La répression brutale du pouvoir tchadien qui a provoqué la mort d’une cinquantaine de manifestants et des centaines de blessés, le jeudi 20 octobre dernier, embarrasse considérablement la diplomatie française qui a toujours soutenu la junte militaire mise en place en avril 2021 par Mahamat Déby…
Après la mort subite du président Idriss Deby, le 20 avril 2021, à la suite de tirs mal identifiés alors qu’il commandait son armée contre les rebelles dans le Nord du pays, la thèse qui avait prévalu alors auprès des autorités françaises est l’enjeu essentiel n’était pas de veiller au respect de l’Etat de droit au Tchad, mais d’assurer la stabilité du pays à tout prix. Une stabilité, comme on le découvre aujourd’hui, en trompe l’oeil.
Le président français qui considère le Tchad comme son meilleur allié en Afrique s’était pourtant déplacé pour adouber le fils du dictateur Idriss Déby, Mahamat Deby. Ce dont Emmanuel Macron aurait pu se dispenser. Ainsi soutenu, le fils Déby ne tardait pas à suspendre le fonctionnement normal des institutions tchadiennes pour une durée théorique de dix-huit mois dans un coup d’état de père en fils qui ne disait pas son nom.
Or ce jeudi 20 octobre, alors que Mahamat Déby venait d’annoncer une prolongation de cette « transition » bien peu démocratique pour une durée de deux ans, une manifestation massive de l’opposition est réprimée avec une rare brutalité. Résultat, les forces de sécurité tirent sur la foule, cinquante personnes sont tuées. Le Quai d’Orsay « condamne » la répression du régime, sans un mot pour les victimes.
Et la porte-parole du ministère français des Affaires Etrangères d’ajouter de façon inhabituelle, « la France n’a joué aucun rôle dans ces événements qui relèvent de la politique intérieure tchadienne ». On ose l’espérer ! Cette déclaration traduit bien la gêne du pouvoir français, « parrain » embarrassé du pouvoir tchadien.
Une jurisprudence tchadienne inédite
Au nom du principe que le monde avait besoin d’un Tchad stable pour lutter contre le terrorisme au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad, Mahamat Idriss Deby a été soutenu par la France et le G5 Sahel.
Deux poids, deux mesures. Les coups d’état qui ont eu lieu ces dernières années au Mali, en Guinée ou au Burkina étaient condamnés par la diplomatie française de la façon la plus ferme, pas celui qui s’est produit au Tchad.
L’Union africaine s’est très vite rangée à la position française, alors que les Etats-Unis et l’Union européenne, d’habitude plus regardants sur le respect de l’Etat de droit et la démocratie, n’avaient rien trouvé à redire à ce que Deby fils succède à Deby père.
La communauté internationale avait poussé l’exception tchadienne jusqu’à ne pas demander la moindre garantie à la transition militaire ; ni sur le partage équitable du pouvoir avec les civils, comme au Soudan après le renversement d’Omar El-Béchir en avril 2019, ni sur la clause de non-participation des dirigeants de la transition aux élections à venir comme au Mali et en Guinée après les coups d’Etats militaires d’août 2020 et de septembre 2021.
Ainsi s’était imposée « une exception tchadienne » mise à mal par ce jeudi noir que nous venons de connaitre : au moins cinquante morts et des centaines de blessés !
*Directeur de Mondafrique