Economiste de son état et fondateur d’un média, Yaya Moussa est aussi analyste pour un certain nombre de médias américains. Il explique les enjeux du sommet États-Unis/Afrique qui s’est ouvert hier mardi 13 décembre à Washington.
Hier mardi s’est ouvert à Washington le sommet États-Unis/Afrique avec une certaine méfiance du côté des Africains, -des États-Unis, puisque beaucoup de dirigeants ont encore en tête le mépris affiché par Donald Trump vis-à-vis du continent. À votre avis, comment, Joe Biden va-t-il s’y prendre pour briser cette méfiance ?
On pourrait dire qu’après les propos calamiteux de Trump sur les pays du continent, Biden a cherché à racheter l’Amérique aux yeux des Africains en posant trois décisions importantes. D’abord, la tenue même de ce 2ème sommet, huit (8) années après le premier. Il faut ici réduire le déficit de confiance réciproque.
Ensuite la décision importante, c’est la tournée récente du secrétaire d’État Antony Blinken, et la publication en août 2022 d’un document sur la nouvelle stratégie américaine vis-à-vis de l’Afrique. Et enfin, l’invitation lancée par le président Biden à l’Union africaine pour rejoindre le G 20 qui est une reconnaissance de l’importance économique du continent sur la scène globale.
Ce geste est-il suffisant aux yeux des dirigeants africains, selon vous ?
Je préfère voir derrière cette annonce un augure, un acte de soutien, une ferme volonté des États-Unis de soutenir l’intégration des pays africains, et ce, dans un ensemble politique, diplomatique, économique, financier et monétaire capable de parler avec force et crédibilité aux autres ensembles que sont l’Union européenne, la Chine, l’Inde ou les États-Unis eux-mêmes.
Vous évoquiez tantôt la nouvelle stratégie américaine pour l’Afrique. En quoi consiste-t-elle ?
La nouvelle stratégie poursuit quatre objectifs prioritaires. La promotion des sociétés dites ouvertes et de la bonne gouvernance. C’est un leitmotiv souvent évoqué par les États-Unis, comme nous le savons. Deuxièmement, la promotion de la démocratie et de la sécurité. Vous noterez le lien entre “démocratie et sécurité”. Ensuite, la reprise économique après le Covid et enfin la défense de l’environnement et la transition énergétique.
Pensez-vous qu’à travers l’African Growth Opportunities Act, (Agoa), la loi sur le développement et les opportunités africaines, l’Amérique va-t-elle continuer à conditionner ses avantages commerciaux au respect des règles démocratiques ?
L’Agoa est une initiative américaine qui date, je pense, de mai 2000, signée par Bill Clinton, pour ouvrir le marché américain à peu près 7 000 produits africains sans droits de douane. L’initiative étant américaine, libre aux États-Unis d’imposer leurs conditionnalités. Libre également aux Africains de les accepter ou de les refuser. Par ailleurs, il ne revient pas à la Chine ou à la Russie de contester les modèles de démocratie proposés par les Américains aux Africains, car ces deux pays doivent eux-mêmes inventer leur modèle de démocratie. Il revient aux Africains, en revanche, de se convaincre et de se prouver qu’ils ont un modèle crédible et viable de démocratie.
Les pays africains peuvent-ils attendre de quelques retombées de l’Amérique de Joe Biden ?
N’oublions pas qu’au moment où nous parlons, les États-Unis à travers le Pentagone sont présents dans environ 15 pays africains, où ils maintiennent des bases permanentes ou semi-permanentes. Une trentaine de bases, donc. L’Amérique est un fournisseur de sécurité pour ainsi dire. Elle est aussi un partenaire économique. L’Amérique est également présente, ne l’oublions pas, au sein des institutions internationales de développement comme le FMI et la Banque mondiale. Son vote compte. C’est extrêmement important. Et enfin, il y a quand même un lien charnel entre les États-Unis et l’Afrique à travers la diaspora africaine, forte de deux millions de personnes, ainsi que des quarante-trois millions d’Africains américains.
Aux États-Unis, les dirigeants ont-ils le sentiment que les Africains peuvent-ils apporter quelque chose à l’Amérique, que ce soit sur le plan économique, diplomatique, sécuritaire et surtout culturel ?
Vous parlez de la contribution de l’Afrique au niveau de la culture internationale mondiale, c’est effectivement dans ce domaine que l’Afrique est massivement présente aux États-Unis. Vous évoquiez les aspects économiques et ceux des affaires. C’est le cœur désormais de la diplomatie mondiale de tous les pays et l’Amérique ne fait pas exception. Enfin, l’Afrique représente 25 à 30% du vote aux Nations unies.
Peut-on dire qu’aujourd’hui, les Africains ne sont plus prêts à confier leur influence à un seul bloc ou à un seul pays ?
On peut le dire, mais je vais tempérer un peu cet optimisme. La compétition entre les grandes puissances semble donner une certaine marge de manœuvre aux pays africains, mais il ne faut pas oublier que quand on parle d’Afrique, on parle de 54 pays. Il ne s’agit pas d’une entité unique, avec une prise de décision unique, avec des objectifs uniques. Donc l’Afrique, qu’est-ce que c’est aujourd’hui ? C’est une grande question que les Africains doivent eux-mêmes se poser.
Est-elle un fantôme géopolitique ? Qui parle au nom de l’Afrique ? Mais cette question concerne davantage l’Afrique elle-même que les partenaires de l’Afrique. Je pense que désormais, pour le continent africain, une forme d’intégration – je parlerai même d’unité – n’est plus un rêve romantique, ni une aspiration sentimentale, c’est un impératif de survie pour les pays africains.
Source : rfi.fr
N.B : Le titre est de la Rédaction decafriquematin.net