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RDC : les élections sont-elles compromises par l’incendie qui a détruit 8 000 machines à voter ?

À neuf jour des élections en RDC, « près de 8 000 » machines à voter ont été consumées dans un incendie qui s’est déclaré dans la nuit de mercredi à jeudi dans un entrepôt de la Ceni à Kinshasa. Cet incident pourrait-il, ou pas, entraîner le report des scrutins du 23 décembre ?

Un ruban jaune estampillé « police technique et scientifique » barre l’entrée à l’un des entrepôts de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), avenue des Forces armées, à Kinshasa. Ici, dans cette propriété du gouvernement américain, dans la nuit du 12 au 13 décembre, un incendie s’est déclaré et du matériel électoral est parti en fumée.

Très rapidement, une « cellule de crise » a été mise en place au sein de la Ceni. Objectif : procéder à une « évaluation préliminaire » du sinistre. « En attendant les estimations définitives de cet ignoble événement, la Ceni constate que le feu a consumé le matériel de 19 sur 24 communes de Kinshasa, soit près de 8 000 machines à voter sur les 10 368, 3 774 isoloirs sur 8 887, 552 kits bureautiques sur 8 887, 17 901 encres indélébiles, 800 nouvelles motos et 15 véhicules, près de 9 500 batteries externes », a énuméré, visage fermé, ton grave, son président, Corneille Nangaa, lors d’un point de presse organisé au siège de la commission.

Deux jours plus tôt, c’est un autre Corneille Nangaa qui nous recevait dans son bureau. Plutôt serein et fier d’être sur le point de relever le défi d’organiser le troisième cycle électoral en RDC. Ce jour-là, il nous assurait que, pour les machines à voter et autres équipements électoraux, « entre 93 et 94 % » du territoire national était déjà couvert. Il ne restait plus que le territoire de Kambabare, fief d’Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin du président Joseph Kabila, mais aussi Bongandanga et Djongu, dans l’ex-province de l’Équateur, et Sankuru.

Ce jeudi, le déploiement du matériel électoral n’était pas encore effectif dans seulement « 3 % » du territoire national, selon la Ceni. Mais après l’incendie d’un de ses entrepôts à Kinshasa, la commission électorale sera-t-elle à mesure d’organiser les élections présidentielle, législatives et provinciales dans les délais ?

« Aujourd’hui, peu importe les raisons, un nouveau report des scrutins entraînera une crise de trop dont l’issue sera incertaine », craint un membre de l’entourage du président Joseph Kabila. « Pour le moment », souligne Corneille Nangaa, il n’est pas question de repousser les échéances : « La Ceni s’emploie pour que ces élections se tiennent conformément à son calendrier », soit le 23 décembre.

Mais comment compte-t-elle s’y prendre pour équiper des bureaux de vote de Kinshasa de machines à voter ? L’hypothèse d’une nouvelle commande auprès du fabricant sud-coréen a été écartée, car cela risque de prendre des mois. Oubliez également le recours aux « bulletins papiers classiques ». La Ceni dit miser surtout sur la « contingence », et plus précisément sur le « stock tampon ».

Qu’en est-il ? Sortez les calculettes : 105 257 machines à voter ont été commandées pour 75 781 bureaux de vote. De ces 29 476 machines à voter de réserve, la Ceni en a déjà déployé une supplémentaire dans chacun de 17 785 centres d’inscription qui vont être transformés en centres de vote. « En réalité, nous avons dû déployer 21 000 machines à voter de réserve parce que, suivant leur grandeur, certains centres d’inscription ont été scindés à deux centres de vote », précise une source proche du dossier au sein de la Ceni.

Se fondant sur ces chiffres disponibles, il existerait donc quelque 8 476 autres machines à voter dans le « stock tampon » de la Ceni. Problème : ces machines à voter ne sont pas à Kinshasa, elles sont déjà disséminées à travers le pays. Mais, en dépit de cette contrainte, le discours des responsables de la commission électorale se veut rassurant.

« Une instruction a été donnée au secrétariat exécutif national qui est déjà en train d’identifier, d’empaqueter ce matériel par voie aérienne (…), a indiqué Corneille Nangaa. L’enjeu maintenant, c’est de les faire revenir le plus tôt possible dans la capitale. » Mais, pour l’instant, aucune date de l’arrivée de ces machines à voter à Kinshasa n’a été communiquée.

En attendant – et peu importe si l’origine de l’incendie n’est pas encore connue -, les politiques s’accusent déjà mutuellement. Pour le Front commun pour le Congo (FCC), plateforme électorale soutenant Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin du président Kabila, le coupable est tout trouvé : Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka (Reveille-toi, en lingala) qui draine des foules aussi enthousiastes que nombreuses depuis le début de la campagne électoral. L’opposant rejette le recours à la machine à voter.

« [Les propos de Martin Fayulu] et la gestuelle qui les accompagne était déjà le prélude de la mise en œuvre d’un projet bien planifié tendant à entraver le processus électoral en cours et à saper l’investissement politique de tout un peuple », a accusé dans un communiqué Néhémie Mwilanya Wilondja, directeur de cabinet du chef de l’État et coordonnateur du FCC.

 « C’est une provocation, mais tôt ou tard ils devront rendre compte, même à l’Histoire », lui rétorque l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito qui accompagne Martin Fayulu dans sa campagne électorale. Attendu à Kolwezi, dans le sud du pays, l’avion du candidat a été dérouté mercredi à Goma.

Plus virulent, Moïse Katumbi, membre influent de la coalition Lamuka, tacle : « Il n’y a que des gens qui ont vécu dans le maquis pour réfléchir de la sorte.» « Ils doivent être intelligents lorsqu’ils se lancent dans des tels montages : des images montrent par exemple que des palettes en bois n’ont pas brûlées lors de l’incendie, alors que des véhicules ont été calcinés. Et l’endroit se trouve dans un lieu hautement sécurisé, à moins de 200 mètres du bureau du chef d’état-major des forces terrestres », ajoute-t-il.

Pour l’ancien gouverneur du Katanga, le pouvoir qui « a peur de la montée de la popularité de Martin Fayulu, a envoyé des Bana Mura [des éléments de la Garde républicaine] pour brûler des véhicules, en prenant soin d’enlever les machines à voter ». Conclusion de Moïse Katumbi : « Le régime de Kabila ne veut pas organiser des élections ».

De son côté, la Ceni s’en tient à la date du 23 décembre et « appelle à l’apaisement » au sein de la classe politique. Mais « s’il y a d’autres considérations à prendre [en compte] », son président, Corneille Nangaa, promet de revenir vers la presse, « dès que possible », « pour annoncer ce qui peut arriver »…

SOURCE : JEUNE AFRIQUE

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