Nazaire Kadja (analyste politique)
Le Mali est devenu un véritable casse-tête chinois pour la diplomatie française, depuis que ce pays a décidé de commercer avec la Russie.
De menaces de retrait de ses soldats, en passant par des menaces de sanctions et d’isolement par « la communauté internationale », la France aura tout essayé pour faire plier le Colonel Goita et son gouvernement. Mais rien n’y fit. Le gouvernement malien n’entend pas s’écarter de sa ligne de conduite, qui est de donner une trajectoire nouvelle à son pays et s’assumer pleinement.
Présente au Mali depuis 2013, et après avoir endigué la marée djihadiste, la coopération française n’a pas permis au Mali de se sortir des attaques des djihadistes et des terroristes, encore moins de recouvrer l’entièreté de son territoire. La région de Kidal est toujours aux mains des Touaregs et interdite d’accès au gouvernement malien. Le statut quo qui s’est installé ne pouvait nullement satisfaire les autorités maliennes, au moment où la France donne l’impression qu’elle ne peut pas ou ne veut pas aller au-delà de ce qu’elle a fait et semble s’en satisfaire.
En sollicitant l’aide de la Russie, le Colonel Goita entend se donner les moyens de s’affranchir de la pesanteur que représente la France, mais surtout s’affranchir du chantage et des menaces que profèrent à longueur de journée les autorités françaises.
Le précédant vécu en Centrafrique y est certainement pour beaucoup. Alors commencent comme à l’accoutumée un grand battage médiatique, et des pressions de tous genres pour faire plier ces colonels récalcitrants qui sont à la tête du Mali. Ceux-ci sont sommés d’établir un échéancier à l’effet de mettre rapidement fin à la transition militaire, organiser des élections et remettre le pouvoir aux civils.
Pour y arriver, la Cedeao, une fois de plus instrumentalisée, va jouer sa partition de bras séculiers des occidentaux précisément de la France, en soumettant le Mali à un embargo. Comme elle le fit pour la Côte d’Ivoire en 2010-2011. Cela réussira-t-il à faire plier le gouvernement malien ? Demain nous situera.
Dans cet imbroglio malien, il est désespérant de constater la propension de la France et des Etats-Unis d’accuser le Mali d’avoir recours à la société militaire privée Wagner pour combattre les terroristes. Ils s’en offusquent, ils s’en plaignent et profèrent des menaces.
Mais quand une maison est en feu, doit-on se préoccuper de la qualité de l’eau pour circonscrire l’incendie ? Le Mali n’a-t-il pas le droit de choisir ses partenaires ? Revient-il aux français et aux américains de choisir les amis et les ennemis pour le Mali ?
Si la Russie est un concurrent et un « ennemis » pour les occidentaux, elle ne l’est pas pour le Mali et pour les pays africains. Il en est de même pour la Chine au plan commercial. Il est véritablement indécent pour ces occidentaux de vouloir faire de leurs « ennemis », les « ennemis » des africains comme l’avait justement signifié Nelson Mandela dans une interview.
Plusieurs siècles jalonnés d’exploration, de conquête, de colonisation, de décolonisation et de coopération avec la France, n’ont permis à aucun pays francophone d’Afrique, de figurer aujourd’hui parmi les économies les plus puissantes du continent. C’est tout dire. Il est temps que des partenariats avec d’autres pays soit usités, d’autres expériences vécues, et des leçons seront tirées.
En fustigeant le Mali d’avoir recours à la société militaire privée russe Wagner, français et américains font preuve d’une mauvaise foi évidente. Ce n’est un secret pour personne, que les américains se sont attachés les services de la société militaires privée Blackwater en Afghanistan et en Irak, pour suppléer les troupes régulières épuisées.
Blackwater était assurée d’une immunité quasi totale, à l’inverse de l’armée régulière, qui doit répondre à des règles militaires.
La France de son côté dispose dans son armée un corps, la légion étrangère, composée d’éléments non français, déployé sur les théâtres des opérations en dehors de son territoire. On objectera qu’ici, il s’agit d’une armée régulière, mais il n’en demeure pas moins que ce sont des étrangers, enrôlés pour se battre et qui sont rémunérés. Ce sont donc…des mercenaires. En cela, il n’y a pas de leçons à donner.
L’issue de la bataille engagée seule par le Mali pour se soustraire du carcan colonial, à l’effet de prendre son destin en mains, déterminera également l’avenir de ses voisins, qui ne lui ont manifesté aucune solidarité, bien au contraire… Quelle sera cette issue ?
Demain nous le dira. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours. Et s’il y a eu un soir au Mali, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.