Principal challenger au président ougandais Yoweri Museveni pour la présidentielle du 14 janvier 2021, Bobi Wine a repris sa campagne le jeudi dernier après un nouvel accrochage avec les forces de l’ordre et son véhicule a essuyé des tirs provenant de la police ce mardi. L’opposant- candidat a également été interpellé pendant deux jours et ses partisans sont souvent brutalement dispersés. Que redoute le pouvoir en place ? Maître de conférences à l’Université de Paris 1 et chercheuse à l’Inas, l’institut des mondes africains, Florence Brisset Foucault fait la lumière…
De nouveaux heurts ont surgi cette semaine entre les forces de l’ordre et le candidat Bobi Wine, à presqu’un mois – observons-nous une monté en puissance de la répression envers l’opposition ?
Malheureusement oui, on assiste, en effet, ces derniers jours, et en particulier depuis la répression des émeutes qui ont eu lieu le 18 novembre dernier, à une intensification de la violence qui est exercée contre les candidats de l’opposition et les personnes qui les soutiennent.
Ceci étant dit, on s’inscrit malheureusement dans un schéma qui est bien connu concernant le déroulement des campagnes électorales en Ouganda depuis une vingtaine d’années où de manière, j’allais dire, routinière, les candidats de l’opposition, que ce soit à l’élection présidentielle, mais aussi aux élections parlementaires qui ont toujours lieu en même temps, sont régulièrement arrêtés, harcelés par les forces de sécurité.
Ce qui déclenche souvent des mouvements de protestation populaires qui sont par la suite très violemment réprimés. Donc une intensification qui est réelle, mais qui malheureusement ne rompt pas avec des formes très habituelles de la compétition politique dans ce pays depuis le début des années 2000 je dirais.
Mais on a quand même l’impression que Bobi Wine est la cible privilégiée de cette violence.
Alors il est clairement la cible de la pression, mais on a aussi ce sentiment qu’il est au centre parce qu’il y a une grande attention médiatique notamment au niveau international sur sa personne, mais c’est quand même très important de rappeler qu’il n’est pas la seule cible de cette répression. D’autres opposants et d’autres candidats à la présidentielle, à commencer par le candidat d’un grand parti d’opposition le FDC, Patrick Amuriat, est aussi régulièrement arrêté.
Cette répression et ce harcèlement sécuritaire touche aussi ce qu’on pourrait appeler les « petites mains » de l’opposition politique, qu’il s’agisse de candidats de plus petite envergure ou alors des militants à un niveau plus ordinaire de la mobilisation politique. Ceci étant dit, c’est vrai que Bobi Wine est très populaire, c’était un chanteur très connu, déjà très populaire en Ouganda avant de se lancer en politique. Il est très charismatique, il a un message qui résonne auprès d’une partie de la jeunesse, et notamment des classes les plus populaires. C’est lié au fait que c’est un artiste, mais c’est aussi lié à son profil.
Il est issu d’un milieu qui est très modeste, même si ce n’est pas pour autant complètement un outsider de la politique. Il sait très bien malgré le fait qu’il a cette image de chanteur de hip-hop marginal etc., il a quand même beaucoup travaillé sur cette image et il s’est beaucoup approprié les codes plus classiques de la politique sur place, et il a réussi aussi à rassembler autour de lui des militants politiques et des élites politiques qui sont des joueurs plus classiques, on va dire, au sein du jeu politique ougandais.
Il a réussi à rassembler autour de lui y compris Kizza Besigye l’ancien opposant historique au président Museveni…
En effet, il a vraiment réussi à rassembler une partie en tout cas de l’opposition autour de lui. J’insiste quand même sur le fait que c’est juste une partie parce que ce n’est pas une candidature unique, il y a plusieurs autres gros poids lourds de le politique ougandaise qui se présentent aussi.
Mais c’est vrai qu’il s’est moulé dans le jeu politique classique mais en même temps il représente quelque chose, au niveau symbolique c’est une candidature importante parce que là où il se distingue, c’est qu’il est très différent au niveau de son profil de la vieille garde de l’élite politique ougandaise et notamment des hommes qui sont autour du président Museveni qui là, sont plutôt ce qu’on appelle des intellectuels guerriero, donc des gens qui ont fait la guerre civile, qui sont des intellectuels, qui ont un grand parcours universitaire etc…
Et qui sont beaucoup plus vieux !
Et qui sont beaucoup plus vieux bien sûr.
Le président Yoweri Museveni au pouvoir depuis plus de 30 ans ne se sent-il pas menacé ? A76 ans son pouvoir n’est-il pas en train de s’effriter ?
Davantage que le signe d’un effritement du pouvoir, je pense que là, cette intensification de la répression, elle reflète un message très clair que les autorités politiques et notamment la présidence, souhaitent faire passer : c’est qu’ils sont toujours en charge et en charge notamment de définir les modalités de se mobiliser en politique en Ouganda, et de définir les règles que chacun est censé suivre lorsqu’il fait campagne et lorsqu’il est présent dans l’espace public. Ça c’est un message que les autorités ont souhaité faire passer dès le début de la campagne et de manière brutale dès le départ.
Alors justement les autorités disent que Bobi Wine ne respecte pas les règles du jeu et notamment les trajets de ses déplacements ?
Depuis très longtemps, en fait, il y a des tentatives de la part du régime en place de définir de manière très précise qui a accès à l’espace public ou pas. Et là la situation liée à la pandémie a fourni un registre supplémentaire permettant de venir justifier ces restrictions. Les autorités visent à contenir évidemment l’épidémie et du coup ils ont encadré les possibilités de se rassembler et de faire campagne pour l’élection présidentielle et parlementaire et ils ont encouragé les candidats à faire campagne le plus possible dans les médias, sur les réseaux sociaux.
En effet, le ministère de la Santé restreint le nombre de personnes qui sont autorisées à venir assister à un meeting dans le cadre de la campagne électorale à 200 personnes, puis les gens sont censés porter des masques etc.
Donc ces restrictions sont peu prises en compte par les candidats, et ça donne des prétextes législatifs et administratifs supplémentaires pour les forces de sécurité pour intervenir, mais elles interviennent de manière extrêmement brutale et violente. Il y a quelques jours le convoi de Bobi Wine s’est fait tirer dessus avec des balles en caoutchouc et un de ses proches a été blessé à la tête.
Source : rfi.fr