Par Jean Levry – Afrique Matin.Net
Ces dernières années, la scolarisation des enfants a progressé dans le monde (passant de 84% à 90% entre 2000 et 2015 selon le rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous de l’UNESCO). Si l’on peut se réjouir des résultats encourageants (83,33% de réussite à l’examen de fin du cycle primaire en Côte d’Ivoire en 2016), ils cachent pourtant une triste réalité. En effet, les données récentes fournies par la Banque mondiale révèlent un profond malaise dans les systèmes éducatifs des pays en développement : « la moitié des élèves du primaire ne sait pas lire ou écrire une phrase simple ni faire une soustraction à deux chiffres ». En Afrique subsaharienne, près de 90 % des enfants scolarisés finissent le cycle primaire sans avoir vraiment rien acquis comme connaissances. On se rend compte que les enfants vont à l’école mais ils n’apprennent rien ou trop peu, et que scolarisation n’est pas synonyme d’apprentissage. D’où la Banque mondiale parle de « crise de l’apprentissage ».
S’il y a une crise de l’apprentissage malgré les efforts consentis, il urge d’agir afin de garantir un apprentissage pour tous en vue de la valorisation du capital humain, indispensable au développement de nos pays.
Les difficultés, on le sait, sont communes mais aussi spécifiques à chaque pays en développement. Alors, n’est-il pas judicieux d’organiser les états généraux de l’éducation dans chaque pays ? Nous répondons par l’affirmative. Car, cela permettrait à tous les acteurs de l’éducation, ainsi qu’à toutes les composantes de la société de repenser le système éducatif, d’élaborer des réformes adaptées au contexte et aux spécificités du pays comme cela s’est fait au Chili (Le Chili l’a fait dès le début de sa réforme de l’éducation qui a duré plusieurs décennies ou, plus récemment, la Malaisie et la Tanzanie dont les programmes de réforme ont été élaborés dans le cadre de « laboratoires » réunissant toutes les composantes de la société). Ces assises de l’éducation, loin d’être politiques, seraient un cadre idéal pour réfléchir aux maux qui minent l’école et trouver les solutions à même de rendre le système éducatif plus performant en termes d’acquisition de connaissances par les apprenants.
Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a connu un conflit, où durant près d’une décennie, le ministère de l’éducation nationale n’avait aucune compétence sur une moitié du pays, et où des enseignants bénévoles sans formation ont assuré un service minimum, un ‘’plan Marshall’’ devrait être mis en place en vue de parvenir à un enseignement de qualité. Un tel plan doit privilégier d’abord, la formation initiale et continue des enseignants bénévoles, ainsi que ceux recrutés par concours, car ce sont les enseignants qui influencent le plus l’acquisition des connaissances à l’école. Ensuite, la construction des infrastructures pour éviter les effectifs pléthoriques qui constituent un obstacle à un encadrement individuel et efficace de l’élève par l’enseignant. Enfin, une prise en charge psychologique de certains enfants s’avère nécessaire tout en leur assurant une nutrition équilibrée avec le retour des cantines scolaires.
Certes, il faut des réformes mais des réformes qui impulsent à la fois des performances qualitatives en termes d’apprentissage et des performances quantitatives avec les moyens d’accompagnement (formation, matériels didactiques, évaluation…). Ce qui n’est pas toujours le cas. En moins de 20 ans, la Côte d’Ivoire a connu 3 différentes méthodes d’enseignement dans le primaire (pédagogie par objectif (PPO), formation par compétences (FPC) et approche pédagogique par les compétences (APC). La dernière en vigueur, l’APC, encourage le passage automatique en classe supérieure même quand les enfants n’ont pas la moyenne. Ce faisant, le manque de matériels didactiques et pédagogiques contraint les enseignants à adapter les enseignements à l’ancienne méthode (FPC).
Résoudre la crise de l’apprentissage passe, en définitive, par une large concertation nationale sur l’éducation. Il faut revoir avant regarder du côté des enseignants. D’abord, ceux-ci doivent être recrutés sur la base du mérite (nous savons tous, ce qui se passe au concours du CAFOP et bien d’autres concours de la fonction publique). Ensuite, il faut des enseignants bien formés (dans 14 pays d’Afrique subsaharienne, l’enseignant moyen de la sixième année du primaire – c’est-à-dire le CM2 – ne fait pas mieux aux tests de lecture que les élèves les plus brillants du même niveau !). Et enfin, faire en sorte que les enseignants soient motivés. On pourrait instaurer des primes en vue éradiquer l’absentéisme à l’école et en classe (dans sept pays africains, un enseignant sur cinq était absent de l’établissement durant des visites-surprises des équipes d’inspection, un autre cinquième se trouvant certes dans l’enceinte de l’école, mais hors de la salle de classe) et aussi réduire les grèves intempestives.
A ces exigences, s’ajoute la nécessité d’avoir des directeurs compétents et rigoureux pour une bonne gestion des établissements (meilleur encadrement de l’équipe pédagogique), et des parents qui suivent l’évolution de leurs enfants. Aussi, le préscolaire (moins de 20% en Afrique subsaharienne) ne devrait-il plus être l’apanage des citadins mais un passage obligé pour préparer l’enfant à l’apprentissage, du moins lui donner le prérequis.