Par Michel Santi, économiste
Face aux flambées boursières et à l’engouement pour les crypto-monnaies, petit rappel des principes de la vente à découvert
Rien de plus simple en effet que de prévoir rembourser un prêt – en un mois si notre revenu mensuel équivaut au prêt contracté. En outre, comme les salaires ont tendance à rester très statiques, nous sommes au moins intuitivement rassérénés dans nos prévisions de remboursement, car nous savons que nous n’aurons pas besoin de fournir plus de labeur qu’estimé pour couvrir notre position « short » en devises voulues résultant de notre prêt, de notre ligne de crédit ou de nos dépenses par carte bancaire. Enfin, nos nations occidentales bénéficient d’un atout fondamental consistant en la maîtrise de l’inflation nous autorisant à faire des plans sur le long terme, nous sommes forts de la certitude qu’un euro aujourd’hui nous achètera quasiment la même quantité de marchandises ou de services l’année prochaine.
La problématique est radicalement d’une autre nature dès lors que nous vendons à découvert des actions. En effet, comme nous ne sommes pas payés dans ces instruments mais bien en argent, nous ne saurons jamais quelle quantité de travail fournir – réglée en argent – afin de couvrir notre position à découvert en actions -. A l’extrême, la valeur de ces actifs serait susceptible de monter à l’infini, nous contraignant en théorie à travailler à l’infini pour rembourser une dette non libellée en argent… alors que le remboursement d’un emprunt en argent est un geste relativement banal à planifier car nous sommes rémunérés à l’aide du même médium d’échanges.
Ceci étant dit, le principe des ventes à découvert est absolument crucial au sein de nos sociétés car il autorise d’établir une passerelle entre nos prévisions de consommation et nos revenus. Comme nos appétits de dépense ou nos plans d’investissements ne coïncident pas systématiquement avec nos rentrées d’argent, la vente à découvert réalise ainsi une jonction vitale entre le présent et l’avenir, et c’est précisément la raison pour laquelle le médium utilisé dans un tel cadre se doit d’être stable et résilient.
Supposons un moment emprunter en devises pour acquérir une voiture et devoir rembourser quasiment du jour au lendemain le double de cette somme si la valeur de ce système de transfert et de vérification monétaire passe de 10.000 à 20.000 ! Dans une telle hypothèse, c’est à la fois nous – le débiteur – mais également notre créancier qui serions condamnés à la faillite, avec toutes les conséquences nuisibles aisées à imaginer pour l’ensemble de la société. Une telle volatilité du sous-jacent shorté ou emprunté est donc foncièrement nocive à l’économie, tandis qu’une vente à découvert libellée en argent bénéficie d’une pérennité assurée par les banques, elles-mêmes chapeautées par une banque centrale disposant du pouvoir exclusif de création monétaire. Ainsi, cette dernière pourra le plus simplement du monde imprimer des euros – fiduciaires et scripturaux – en cas de ruée vers l’argent dans le cadre de crises bancaires ou de déflation, et garantir en conséquence l’approvisionnement en argent. Tandis qu’elle ne sera évidemment pas en mesure d’imprimer des actions de tous genres si la valeur de ces derniers venait à s’envoler. Sachons donc garder la raison et le recul nécessaire face aux flambées boursières et face à l’engouement vis-à-vis des crypto-monnaies car aucun médium n’est aujourd’hui à même de prétendre remplacer notre bon vieil argent.