Par Pascal Fobah Eblin*
Il y a quelques jours, un article paru dans le Journal d’Abidjan (JDA) renseignait sur un gros scandale avec les élus de la nation. Certains parmi eux ont décidé de froisser les dispositions réglementaires et de cumuler leur fonction d’élu de la nation avec des postes administratifs ou d’hommes d’affaires ; ce qui ne manque pas de poser de sérieux problèmes d’éthique.
Pour le journal, ces faits regrettables impliquent un peu plus d’une vingtaine de députés, soit un peu plus de 8% de nos élus. Poursuivant, le journal souligne que « début septembre, le député Jean Louis Billon a dénoncé ce fait au président du Parlement afin que ces derniers permettent à leurs suppléants de siéger ou, à tout le moins, qu’ils abandonnent leur poste au sein de l’administration pour certains ou les affaires pour quelques-uns d’entre eux. Leur réponse est encore pour l’heure attendue ».
Comment de tels faits ont-ils été possibles ou même tolérés ? Certainement que les concernés qui n’ignorent pas les dispositions réglementaires avaient probablement espéré qu’une exception serait faite pour eux car ils méritent d’être au-dessus de la loi pour bien arrondir leur bourse.
La Côte d’Ivoire leur doit bien quelques privilèges. Les ivoiriens sont quotidiennement harcelés pour se conformer à la loi ; pendant ce temps, les élus de la nation à qui il est exigé un devoir d’exemplarité jouent les mauvais élèves de la classe. L’on était en droit d’attendre de nos chers députés qu’ils aient un peu d’égard pour la loi. Que non ! A coup sûr, ils méritent des félicitations nationales pour ce manque d’esprit républicain.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, récemment aussi une enquête réalisée par le Consortium International des Journalistes d’investigation et dénommée « Pandora papers » a cité le Premier ministre Patrick Achi et le Médiateur de la République Adama Toungara dans des montages offshores qui sont des montages financiers opaques destinés à masquer des évasions fiscales et bien d’autres pratiques répréhensibles.
La gravité de ces deux faits impliquant nos élites politiques interpelle quant à la probité des personnes en charge de la gestion du pays. Quelle crédibilité peut-on accorder à des personnes impliquées dans des montages financiers opaques ou dans des conflits d’intérêts avérés qui tranchent avec la rigueur et l’exemplarité exigées dans la conduite des affaires publiques ?
La grandeur morale en politique construit la crédibilité qui est, elle-même, un gage de confiance populaire et d’une gouvernance irréprochable. Sur cette question, nos élites ont fauté et sont dans l’erreur. La ligne de défense du Premier ministre, c’est de s’accrocher à la légalité de son opération offshore tout en oubliant qu’il n’est pas un homme d’affaires ordinaire mais un homme qui porte la tunique du politique, et pas de n’importe quel politique, un homme politique de premier plan. Selon Sénèque, « l’erreur est humaine mais persévérer dans son erreur est diabolique » ; et la justifier est d’autant plus grave qu’elle discrédite complètement son auteur aux yeux de l’opinion publique et invalide toute revendication politique ultérieure de représentation nationale de quelque nature que ce soit.
Les actes posés par les députés incriminés, le Premier ministre et le Grand Médiateur sont à la fois une faute morale et une erreur politique au regard de l’éthique républicaine. Qu’on se rappelle, en France, les affaires Cahuzac avec son compte en Suisse non déclaré et François Fillon avec les emplois fictifs présumés d’assistant parlementaire et tout ce qu’elles ont engendré.
Le degré d’enracinement démocratique et d’esprit républicain du personnel politique de cette nation a permis de traiter ces affaires selon une éthique républicaine bien trempée et sans légèreté. En Côte d’Ivoire, un pays qui est assez loin de ce modèle devenu depuis bien longtemps universel, les auteurs des faits mentionnés devraient déjà chercher à faire leur mea-culpa ; ce serait une bonne avancée, plutôt que de se justifier ou de se cacher derrière un silence méprisant.
Cette attitude cache un manque d’empathie pour le peuple au regard de ses conditions de vie et un profond mépris de ces élites pour le peuple qu’ils sont censés représenter ou diriger. Elle atteste, d’ailleurs, d’un rapport léger avec la morale et l’éthique politiques. Cette perte de crédibilité leur enlève toute légitimité politique.
Par ailleurs, le Premier ministre qui se défend de la légalité de son opération offshore a-t-il pris soin de mentionner ce bien dans sa déclaration (si celle-ci a été faite) de patrimoine auprès de la Haute autorité pour la bonne gouvernance ?
Cette structure de l’Etat, pour rassurer les ivoiriens et les partenaires extérieurs sur la probité des premiers responsables de l’Etat, devrait s’autosaisir et informer l’opinion publique de la suite à accorder à cette affaire qui ternit l’image du pays en précisant s’il y a eu, oui ou non, déclaration incomplète ou mensongère de patrimoine, omission importante, intention frauduleuse ou évasion fiscale avérée et déférer l’affaire, s’il y a lieu, devant les autorités judiciaires ou du moins prendre toutes les dispositions pour éviter sa répétition à quelque niveau que ce soit.
Parce qu’elle contribue à la moralisation de la vie publique, la Haute autorité pour la bonne gouvernance devrait aussi se pencher sur le cas des députés qui ont volontairement violé des dispositions réglementaires de l’Assemblée nationale et dire s’ils doivent être déchus ou non de leur mandat même si, dans leur cas, la situation est abordée par le chapitre 4 de la loi organique portant Statut des parlementaires.
La Haute autorité pour la gouvernance a légitimement son mot à dire sur ces affaires ; c’est, pour elle, un devoir républicain recommandé par leur gravité. Se taire pourrait être interprété comme un accord tacite à des manœuvres qui choquent l’éthique républicaine.
Ces faits comme bien d’autres auxquels les ivoiriens ont fini par s’accommoder malheureusement, venant du personnel politique au pouvoir, recommandent de penser sérieusement à une nouvelle éthique républicaine pour contrôler les embourgeoisements rapides, inexpliqués et spectaculaires dus au loto ivoirien.
Professeur des Universités, Analyste politique*