Par Kobena Tah Thomas*
La Chronique ‘’Les Actualités Politiques Ivoiriennes’’, numéro 17 du mercredi 26 Janvier 2022, de M. Kobena Tah Thomas, vice-président du PDCI-RDA.
« Je m’étais promis, dans le principe de cette chronique, de n’aborder que des sujets qui ont trait à l’actualité nationale et internationale. Mais devant l’urgence de formuler une alerte précoce sur la mobilisation des identités ethniques dans le Gontougo, je me propose de rompre mon engagement. Car sans le savoir, nous sommes en train de filer du mauvais coton et l’étoffe qui en naitra pourrait servir juste pour couvrir les linceuls de nos propres forfaits !
Une fois n’est donc pas coutume, je me permets ici et maintenant de dire quelques mots sur ce feu qui couve ; sans toutefois me faire prophète du malheur.
Je ne souhaite surtout pas préjuger de la culpabilité de qui que ce soit dans un tel problème. Je veux juste porter mon constat et certainement celui de plusieurs personnes sur la palabre très connue des replis identitaires qui ont cours actuellement dans le Gontougo.
De quoi s’agit-il au fait ?
Il s’est agi au départ de déclarations très simples sur les réseaux sociaux de la fierté des uns et des autres d’être, soit Lobi, soit Koulango, soit Brong, Agni bona, ou l’une quelconque de la dizaine d’ethnies.
Les plateformes et groupes d’interactions sont légions sur Facebook surtout. En soi, et à priori, il n’y a aucun mal à créer de tels groupes virtuels ou réels pour exprimer, faire valoir les traits culturels, les coutumes de nos langues.
Par la suite, il s’est invité au menu de l’animation de ces groupes, l’analyse des relations historiques d’assujettissement, de domination entre les ethnies. L’on parlera dès lors du plus vieux des peuples de cette région, de l’ethnie qui détient la propriété initiale des terres, de la noblesse de tel ou tel autre ethnie, de la propension de tel groupe ethnique à se faire valoir comme le maitre des autres et surtout, de la décision de chaque groupe ethnique de ne plus jamais se laisser faire.
Tout récemment, quand il a été question de ranger le Gontougo dans le grand-nord ou pas, le niveau de la conflictualité a gagné en intensité. L’homogénéité de cette grande région s’effrite chaque jour parce que depuis bien longtemps, certains discours politiques ont consisté à expliquer la nécessité, pour certaines de nos ethnies, à mettre un terme à la domination des autres. Et on peut dire qu’ils ont réussi à ranger, en ordre de bataille, les uns contre les autres. Il ne faut surtout pas se fier aux hypocrisies de nos collaborations sporadiques. Il y a dans l’air une forme de conflit larvé qui n’attend que son heure propice pour éclore au grand jour.
Comme on peut le voir, il est de moins en moins question de présenter les riches patrimoines culturels de tel ou tel autre groupe ethnique. Il est question de présenter la force, l’historicité, la grandeur, la primauté, le mérite de tel groupe sur les autres.
Désormais, l’on fait dire qu’il est temps de renverser les situations. Nous sommes en plein dans ce qu’il convient d’appeler l’entreprenariat politique.
En la matière, il n’y a aucune convention de normes entre adversaires politiques. Tous les créneaux sont exploitables ; et c’est là tout le mal ; et c’est là tout le malheur, tout le danger. Tout est permis, certes ! Mais est-il utile de se permettre tous les coups !
Maladroitement, nous commettons tous l’erreur de mal exploiter le principe de la loi de la majorité en démocratie. La loi du plus grand nombre doit reposer sur l’adhésion du plus grand nombre des individus à l’offre de solutions de l’entrepreneur politique face aux problèmes de notre société.
Si nous sommes obligés de mobiliser le plus grand nombre à adhérer à nos projets politiques en se basant sur les appartenances ethniques, raciales, sur des identités primaires, sur le passé prétendument glorieux ou spolié, nous mettons des germes d’une déflagration sociale en incubation. Tôt ou tard, pour assurer la pérennité du groupe le plus dominant, il va falloir éliminer tel autre ou tel autre ! Voilà le danger qui nous guette. Et ne me dites pas que j’exagère. Je préfère bien exagérer que d’être tolérant et coupablement négligeant dès à présent !
Il faut convaincre les uns et les autres que la réussite en politique devrait s’apprécier autrement que le maintien de tel individu à un mandat ou à un poste électif. L’on vient à un poste politique ou à un mandat électif pour jouer un rôle circonscrit dans le temps et dans l’espace. Et même si nos royaumes et nos Etats traditionnels ont survécu à la République, il faut éviter de développer des arguments de ces anciens royaumes pour réaliser des agendas de la République.
Oui pour l’expression des richesses des patrimoines culturels ; mais non, alors là, non à une mobilisation des ethnies dans les projets et ambitions politiques ».
Merci et à mercredi prochain.
*Vice-président du Pdci