Par Jean Levry – Afriquematin.net
La sortie du président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-Rda), la semaine dernière, dans laquelle il dénonçait l’immigration incontrôlée sous le couvert de l’orpaillage clandestin et la fraude sur la nationalité à des fins électoralistes a soulevé des vagues d’indignation. Et pourtant, pour les observateurs avertis de la scène politique en Côte d’Ivoire, c’est une fausse polémique qu’il faut arrêter pour aborder les problèmes avec lucidité.
En Réaction à cette dénonciation du président Bédié, le porte-parole du gouvernement, Sidi Tiémoko Touré, a pondu un communiqué pour condamner les propos de l’ex-président, qu’il juge xénophobes et de nature à porter atteinte à la cohésion sociale. Dans la foulée, Kobenan Kouassi Adjoumani, porte-parole du Rassemblement des houphouetistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) a, semble-t-il, confirmé ce que pensaient, tout bas, bon nombre d’ivoiriens. Et que le président Bédié a mis au grand jour. « Au Rhdp, nous n’avons pas peur d’enrôler les étrangers pour constituer notre électorat », a-t-il déclaré avant de chercher à rattraper sa bavure, avec beaucoup de peine, au cours d’une conférence de presse.
Pour les tenants du pouvoir, le président du Pdci est entrain de réveiller les vieux démons de l’ivoirité qui ont fait tant de mal à la Côte d’Ivoire. Il n’en fallait pas plus pour que des jeunes se réclamant proches du parti au pouvoir organisent une marche sur la résidence abidjanaise du président Bédié pour y verser du liquide rouge semblable à du sang. Ceux-ci disent ainsi protester contre les propos xénophobes de l’ancien chef de l’Etat.
Au-delà de ce tohu-bohu, n’y a-t-il pas lieu de se poser les bonnes questions au regard de l’histoire de la Côte d’Ivoire ? En essayant d’apporter des réponses précises à ces questions, l’on pourrait éviter cette polémique qui n’a pas droit d’être.
Primo, l’orpaillage clandestin est-elle une réalité en Côte d’Ivoire ? De nombreuses ONG ont produit des rapports qui font état de plusieurs centaines sites d’orpaillage clandestins occupés à la fois par les étrangers et des ivoiriens. Des journalistes spécialistes des questions environnementales ont également publié des articles dénonçant ce phénomène et l’usage du cyanure qui constitue un danger pour la vie humaine et biodiversité.
Secundo, la Côte d’Ivoire qui s’est toujours proclamée « terre d’accueil », n’a jamais mis en place une politique d’immigration explicite. Les frontières ivoiriennes sont poreuses. Nul ne sait combien de ressortissants de la sous-région rentrent en Côte d’Ivoire sur une période donnée. De nombreux cas de ressortissants des pays de la sous-région, contournant la voie légale de la naturalisation se font établir, avec la complicité de certains ivoiriens des papiers et avoir la nationalité ivoirienne sont légions.
Tercio, l’immigration des ressortissants des pays de la Cedeao, étant essentiellement rurale et forestière, les conflits intercommunautaires, les conflits fonciers et les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont de plus en plus récurrents, surtout au cours de cette dernière décennie, mettant en péril la cohésion sociale et la stabilité du pays.
Au moment où la Côte d’Ivoire ambitionne de retrouver sa place de locomotive de la sous-région ouest africaine, il y a lieu de se pencher sur ces problèmes qui ont forcément une incidence sur le développement du pays. Mieux, à cette époque où le terrorisme menace toutes les nations, et que les gouvernants prennent des dispositions pour la sécurité à leurs frontières tout en établissant une nette distinction entre les nationaux et les étrangers, la Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre de faire l’économie d’une politique d’immigration claire et efficace.
L’immigration, l’orpaillage clandestin, la fraude sur la nationalité, les conflits fonciers et intercommunautaires, ainsi que la priorité nationale constituent les vrais débats qui méritent d’être menés sans faux-fuyant et débarrassés de toute coloration politique. Parce qu’il s’agit de l’intérêt national. Que ce soit le président Bédié qui soulève la question ou tout autre politicien, il est temps que les ivoiriens cessent de politiser tous les sujets qui concernent la vie et le quotidien des ivoiriens. Il faut donc arrêter cette fausse polémique et aborder les problèmes avec courage afin de désamorcer cette bombe à retardement qu’est l’immigration incontrôlée.