« Panafricanisme » : le mot a été beaucoup prononcé ces jours-ci sur le continent. À Lomé, la capitale togolaise, où se prépare le 9ème congrès panafricain, mais aussi à Addis-Abeba et dans toutes les capitales où on a fêté le soixantenaire de l’Organisation de l’unité africaine (Oua). Mais d’où vient le panafricanisme ? Qui sont aujourd’hui ceux qui nourrissent réellement la pensée panafricaine ? Le panafricanisme du XXIème siècle est-il forcément anti-occidental, comme le soutiennent certains activistes très visibles sur les réseaux sociaux. L’historien Amzat Boukari-Yabara donne des explications sur la naissance du panafricanisme.
Où et comment naissent les idées panafricaines ?
Le panafricanisme nait effectivement en Haïti, avec la révolution haïtienne et l’indépendance du 1er janvier 1804. On a des descendants des Africains déportés qui arrachent leur liberté et qui créent un État, un État africain à l’extérieur du continent africain, à partir duquel ils vont développer une vision de la libération des peuples noirs. Très rapidement, le panafricanisme abandonne sa dimension purement raciale pour se tourner vers la libération du continent africain, portée depuis la diaspora vers l’intérieur du continent.
Qui sont les figures de cette naissance du panafricanisme ?
On a l’intellectuel noir-américain William Dubois, qui est notamment à l’origine des différents congrès panafricains qui s’étalent entre 1900, la conférence panafricaine, et 1945, le cinquième congrès de Manchester. Le Jamaïcain Marcus Garvey qui lui crée un mouvement beaucoup plus populaire, beaucoup plus tourné autour des masses, qui réunit des millions de personnes et qui va incarner, je dirais, une forme de dissidence noire, dont les courants de la négritude vont également s’inspirer à cette époque, avec des figures comme Aimé Césaire notamment. Et, enfin, le personnage qui fait la synthèse c’est Kwame Nkrumah, originaire du Ghana qui va se former aux États-Unis, avec derrière des figures comme Jomo Kenyatta, Julius Nyerere, Houphouët-Boigny, Sékou Touré pour la Guinée ou Djibo Bakary pour le Niger.
Nous sommes donc en 2023 et on voit effectivement le panafricanisme prendre une nouvelle vigueur. Quels sont les courants de fond qui conduisent à cette résurgence du panafricanisme, selon vous ?
Il y a plusieurs courants de fond. Il y a déjà les héritages de ceux qui ont incarné un panafricanisme progressiste. Je pense par exemple à Thomas Sankara. C’est la dernière figure de ce panafricanisme qui mettait beaucoup en avant les femmes, les jeunes, les questions d’agriculture, d’environnement, d’écologie, c’est-à-dire des questions très concrètes. Donc on a un certain nombre de mouvements et de structures panafricaines, qui travaillent justement sur ces enjeux-là. On a également un panafricanisme qui repose sur le travail d’un certain nombre d’intellectuels, soit sur le continent, soit dans la diaspora. Il vise à réfléchir sur les mécanismes à mettre en place au niveau des États.
Enfin, le dernier élément, c’est la place de l’Afrique dans la mondialisation au XXIe siècle. L’Afrique est le continent le plus mondialisé aujourd’hui, il doit faire face à un certain nombre de convoitises de toutes les puissances, les anciennes puissances, les puissances émergentes, les puissances ré-émergentes, qui ont chacune leur agenda panafricain. Et donc il est nécessaire qu’au niveau des dirigeants politiques, au niveau de ceux qui sont en position de décider, il y ait davantage de compréhension des enjeux qui se posent aujourd’hui au niveau du panafricanisme.
Le débat panafricaniste est actuellement saturé par quelques influenceurs très présents sur les réseaux sociaux. Vous faites partie, vous, des intellectuels qui pensent de manière moins bruyante ces questions. Qui d’autre anime, à l’heure actuelle, cette nouvelle pensée panafricaine ?
Il y a quelqu’un comme Aziz Salmone Fall, qui a notamment joué un rôle très important dans le comité international vérité et justice pour Thomas Sankara. Entre le Sénégal, le Canada et le Burkina Faso, il développe un concept comme celui du panafricentrage, c’est-à-dire de l’importance pour l’Afrique de se déconnecter du système international capitaliste, un peu comme le préconisait Samir Amin, et de retrouver son propre centre.
Il y a tout le courant qu’on appelle l’afrolibéralisme, qui est très connecté à cette mondialisation. On a aussi d’autres démarches plus collectives, je pense par exemple au mouvement fédéral panafricain, qui lui se positionne sur la question de référendums à mettre en place à l’échelle continentale sur ces enjeux-là. La dynamique unitaire panafricaine, qui réunit différentes organisations, même la Ligue panafricaine-UMOJA, dans laquelle également je travaille. Donc il y a un certain nombre de collectifs et d’individualités qui sont ensemble, et qui travaillent sur ces questions, de manière effectivement peut-être moins bruyante, peut-être moins visible, mais sans doute tout autant pertinente.
Le panafricanisme qui se fait entendre actuellement s’est adossé à un discours anti-occidental, qui lui-même prospère sur le nouveau bras de fer entre la Russie et l’Occident. Est-ce que cette option anti-occidentale est la seule à l’heure actuelle dans le débat sur les panafricanismes ?
On ne peut pas résumer le panafricanisme à l’anti-occidentalisme. Il y a quand même beaucoup d’influences qui sont liées aux États-Unis, où se trouve une importante diaspora et d’importants mouvements panafricains, également présents dans la Caraïbe anglophone. Il y a des pays comme le Kenya, comme le Ghana, un peu le Nigeria, donc des pays anglophones, tout un espace… et je pense que c’est quasiment 90% du panafricanisme aujourd’hui qui échappe totalement à l’analyse francophone, du fait précisément de ses œillères liées à quelques espaces bien précis, et à la dimension coloniale, qui ne permet pas de comprendre, je dirais, la globalité du panafricanisme aujourd’hui.
Source : rfi.fr