Une enquête réalisée par un réseau de recherche panafricain indépendant et non-partisan, vient de mettre en lumière le scénario sur la crise qui secoue ce pays. Pour les auteurs de cet article, les causes proviennent du fait que les maliens ont mis en avant – le manque de patriotisme des dirigeants et la faiblesse de l’Etat. Nous vous présentons la première partie de cette analyse.
Selon les résultats de cette enquête la plupart des maliens avaient perdu confiance en la classe politique et en les politiciens, cependant, cette investigation révèle que, depuis l’année 2013, les terroristes étrangers et la corruption sont plutôt les deux premières causes du conflit et de l’occupation du Nord.
Le changement de perceptions sur cette question en l’espace d’une année s’explique par le changement dans la nature et l’amplitude de la crise. Cette crise est passée de l’occupation des deux tiers du territoire à la guerre en passant par l’intensification du radicalisme dans la gestion par les occupants des zones occupées et la multiplication de leurs actes d’interdiction et de punition.
Ensuite, le changement de perceptions s’explique aussi par l’organisation pacifique d’élections présidentielles et législatives avec des taux record de participation du citoyen malien à de telles opérations depuis l’avènement de la démocratie en 1992, plus de 50% aux présidentielles et un peu moins de 50% aux législatives.
Principaux constats
Ces élections jugées libres et honnêtes expliquent à leur tour que la nécessité de recourir à la violence pour une bonne cause soit perçue par un malien sur cinq contre près d’un malien sur trois, un an auparavant. Un des défis majeurs de la gouvernance au Mali demeure le maintien et l’approfondissement de la confiance entre les maliens et leur classe dirigeante. Pour ce faire, les mesures de perceptions des populations aident à traquer la volonté populaire et à mettre la politique au servir de cette volonté et non l’inverse.
Les trois raisons principales d’occupation et de conflit du Nord sont les terroristes étrangers, la corruption et la convoitise des ressources naturelles. Toutefois, dans les zones jadis occupées, la faiblesse de l’Etat le dispute à la convoitise des ressources naturelles.
Pour l’écrasante majorité des maliens, les rebelles et les islamistes figurent au premier rang des acteurs présumés impliqués dans le trafic de drogue, au côté du crime organisé transnational. Le conflit du nord a entraîné un déplacement interne de population d’environ 6% avec 3% déjà de retour au bercail, 2% avec intention d’y retourner et 1% sans cette intention. Ce phénomène touche proportionnellement un peu plus les urbains, les femmes et les moins de 25 ans ou les 35-44 ans.
Au total, près d’un malien sur trois aura été affecté, personnellement ou à travers un membre de famille, par les événements récents d’occupation et de conflit du Nord, d’une des multiples façons dont l’on a pu être affecté, de l’expulsion de son domicile à la mort en passant par la punition selon la charia ou les agressions physiques en tout genre. Pour la très grande majorité des maliens (de 86% à 95%), trois options majeures aideraient à résoudre le conflit, à savoir l’éducation civique, la justice et un Etat fort.
Pour près de deux maliens sur trois, il est probable que la signature d’un nouvel accord soit la base d’une paix durable au Mali. 1. Causes du conflit Les causes du conflit sont relativement nombreuses, allant de l’arrivée de terroristes étrangers sur le sol national au coup d’Etat militaire en passant par la corruption, l’incompétence ou le manque de patriotisme des dirigeants maliens, etc.
A ces raisons s’ajoute sans doute le trafic de drogue dont sont soupçonnés les rebelles et groupes islamistes ainsi que des étrangers voire le crime organisé transnational, selon les données de l’enquête.
Un éventail de raisons
En décembre 2012 quand on interrogeait les maliens sur les causes de la crise que le pays traversait, ils plaçaient en tête -le manque de patriotisme des dirigeants, la faiblesse de l’Etat, les terroristes étrangers et l’incompétence de la classe politique, quatre raisons qui comptaient pour plus des deux tiers de l’ensemble des causes évoquées (68% plus précisément). Quand on sait que les terroristes étrangers comptaient pour seulement 11%, on s’aperçoit que les trois raisons principales étaient d’ordre interne, pour 57% au total, avec 67% pour les répondants à l’enquête de Ségou et 69% ceux de Sikasso.
Lorsqu’on a posé la même question en décembre 2013, au sortir donc de l’occupation des deux tiers du territoire national, les terroristes étrangers étaient de loin la première cause des évènement d’occupation et de conflit du Nord. Le manque de patriotisme des dirigeants était relégué au cinquième rang, supplanté donc par la corruption, la convoitise des ressources naturelles et la faiblesse de l’Etat.
Il faut noter que cette classification souffre de quelques effets régionaux sauf que quelle que soit la région, les terroristes étrangers restent perçus comme étant la première cause d’occupation et de conflit du Nord ne souffrant d’aucun effet régional. Sur les 9 raisons évoquées, le manque de développement du Nord se classe 8ème, juste avant le coup d’Etat qui occupe la dernière place, sauf dans les régions directement concernées où il occupe à Tombouctou, Gao et Kidal. Pour l’ensemble des zones occupées par les groupes armés, rebelles et islamistes, cette raison se hisse à la 4ème place. De même, la convoitise des ressources naturelles est perçue comme 3ème raison du conflit contre une modeste position de 6ème rang dans les zones jadis occupées.
Trafic de drogue
Il a toujours été dit que le trafic de drogue était une des causes majeures de la crise du Nord et donc de l’occupation et du conflit armé. Des études ont aussi révélé que de façon générale, le trafic en tout genre était l’enjeu fondamental entre tous les acteurs intervenant dans la bande sahélo-saharienne, trafic de drogue, d’armes, de cigarettes, d’êtres humains, etc. Parmi les auteurs les plus impliqués dans ce trafic, figurent en tête les rebelles, le crime organisé transnational et les groupes islamiques.
A Gao et Kidal, les premiers incriminés sont les rebelles et les islamistes, justement les deux occupants de ce territoire du septentrion, avec les scores les plus élevés possibles, 72% and 100% pour Gao et Kidal respectivement. Cela doit être considéré comme une révélation du vécu et non comme une simple perception. Dans deux autres régions du pays, en l’occurrence Kayes et Sikasso, ces deux groupes (rebelles et islamistes) sont perçus comme étant les deux plus importants trafiquants de drogue. Une différence significative entre Kidal et les deux autres régions du Nord, voire avec tout le reste du pays, est le score nettement plus élevé à Kidal que partout ailleurs de l’implication des organes publics comme la douane (58% à Kidal contre 30% à Gao et 4% à Tombouctou), les militaires maliens (27% contre 3% chacune des deux autres régions du Nord) et les élus locaux (25% contre 6% respectivement 3%). N’est-ce pas là aussi une autre révélation du vécu des populations de cette région et non une simple perception ?
Effets du conflit
Le conflit du Nord ne saurait être étranger au paiement de rançons à des gens puissants, au déplacement de populations et aux multiples formes de punition et d’abus imposées aux résidents des zones occupées voire au-delà. De même, c’est sous l’occupation en 2012 que l’usage de la violence pour une bonne cause est apparu comme une nécessité pour la plus grande proportion de maliens, proportion jamais atteinte dans les rounds précédents ni même dans le round spécial de
Des rançonneurs
La crise du Mali a mis à nu la question lancinante de la sécurité des personnes et de leurs biens. Aussi, déjà en 2012, 4% des maliens âgés de 18 ans et plus déclaraient que des gens de leurs quartiers payaient de l’argent à des gens puissants pour leur protection et celle de leurs biens, pourcentage qui est resté en 2013 (3%).
Cette pratique de paiement de rançons ne se différencie ni par religion, ni par éducation, sexe, âge ou milieu de résidence. Elle est finalement une des raisons du conflit puisqu’en 2013, les proportions sont encore plus importantes dans les régions jadis sous occupation, jusqu’à 25% à Kidal et 9% à Gao pour 7% dans l’ensemble des zones occupées.
En 2012, l’enquête avait révélé les mêmes proportions indiquant que rien n’a changé avec l’occupation et le conflit du Nord. Du coup, les rançons sont plus une conséquence qu’aune cause de ces évènements.
Déplacement de populations
Une des conséquences les plus visibles et les plus médiatisées est le déplacement de populations, qu’elles soient réfugiées dans les pays voisins ou déplacées internes dans leurs régions d’origine ou ailleurs dans le pays. – Ainsi, 6% des personnes – déclarent avoir été, ou être encore déplacées dont près de la moitié déjà de retour dans leurs localités d’origine. Seules les régions de Kayes et de Sikasso n’auront enregistré aucun ressortissant déplacé.
L’enregistrement de cas de déplacés dans la région de Koulikoro s’explique par son voisinage avec la Mauritanie dont la frontière était une véritable passoire pour rebelles et autres jihadistes opérant le long des frontières. Sans commune mesure, le phénomène de déplacement de populations a surtout touché les régions du Nord avec en tête Tombouctou (35% de sa population des 18 ans et plus) suivie de Kidal (33%) et de Gao (21%).
Une des particularités des déplacés de Kidal est qu’ils proviennent tous de cette région même c’est-à-dire que personne en provenance d’autre région ne s’est réfugié à Kidal. Ceux des deux autres régions du Nord proviennent majoritairement des mêmes régions mais pas exclusivement. Koulikoro et Bamako sont les seules régions qui abritent des déplacés de toutes les régions d’origine. Des déplacés de Kidal ont pu trouver refuge à Koulikoro, Ségou, et bien sûr Kidal même.
Au regard des principales caractéristiques sociodémographiques, il apparaît que les IDP ont plutôt un profil d’urbain, de femme avec un âge compris entre 18 et 24 ans ou entre 35 et 44 ans. Ils proviennent pour l’essentiel des zones occupées lors du conflit et de l’occupation du Nord. Les principales régions d’origines des déplacés demeurent Tombouctou et Gao. Tout comme Gao supplante Kidal pour les déplacés âgés de moins de 25 ans.
Source : afrobaromètre