DISCOURS D’HOMMAGE DE MADAME SIMONE EHIVET GBAGBA
En 2014, soit 4 ans en arrière, s’exprimant dans le documentaire intitulé « Simone et Laurent Gbagbo, le droit à la différence », réalisé par la journaliste italienne Nicoletta Fagiolo, notre camarade Sangaré Abou Drahamane, avait prononcé une parole prémonitoire à laquelle nous n’avions pas prêté attention.
L’accomplissement de cette parole dans la vie de Sangaré, nous avait en effet, paru invraisemblable.
Ce jour-là, expliquant la petitesse de sa personne par rapport à la grandeur de la vision du Front Populaire Ivoirien, Il avait endossé une phrase de Laurent, en disait à la journaliste italienne qui l’interrogeait : « Moise n’est pas entré dans la terre promise. Je ne sais pas si je vais entrer dans la terre promise. Si je n’entre pas, continuez le combat »
Or donc, comme à son habitude, il ne prononçait pas des paroles en l’air. Il nous annonçait, dans le calme et la sérénité qui l’ont toujours caractérisé, les choses à venir. Et comme un séisme qui se déclenche sans crier gare, dans la matinée du 3 novembre dernier, la mort a brusquement, soudainement, frappé. Elle nous a brutalement enlevé notre Sangaré, mon tamis, mon camarade de lutte, notre Prési, notre gardien du temple, le jumeau de Laurent. Elle nous a laissé KO debout.
Sangaré s’en est allé par le chemin de tous les hommes. Nous aurions tellement aimé l’avoir toujours avec nous, mais, nous réalisons comme l’affirme l’écriture, que « l’homme est comme une vapeur qui parait pour un peu de temps et qui disparait ensuite » (Jacques 4, 14). Notre Dieu est celui qui marque le terme de nos vies, ce terme que nous ne pouvons pas franchir. Inclinons-nous donc humblement, devant Sa volonté souveraine.
Famille biologique de Sangaré, yako. Famille politique de Sangaré, yako. Yako à nous tous, Yako à la nation ivoirienne, Yako à l’Afrique digne.
L’onde de choc générée par le départ inattendu de Sangaré s’est mise à imprimer en nous, l’idée d’une destruction de l’homme, l’idée de disparition définitive d’un être irremplaçable, provoquant des pleurs et des torrents de larmes.
Mais aussitôt, comme pour apporter du baume à nos cœurs, une contre onde s’est instantanément levée, neutralisant, étouffant, annihilant cette vision mortuaire pour installer en nous l’image magnifique de l’homme exceptionnel.
Cette onde nouvelle répand depuis, dans un doux murmure, l’écho des mots Fidélité et loyauté. Oui, tous sans exception, s’accordent à reconnaitre que le nom Abou Drahamane Sangaré, rime avec les mots fidélité et loyauté. Fidélité à une vision partagée du Front Populaire Ivoirien.
Fidélité non servile et loyauté à un ami. N’est-il pas celui qui a dit qu’il ne pouvait être ailleurs qu’à la résidence, auprès de son ami Laurent Gbagbo, pendant le bombardement de cet édifice ? Et, il y est venu sous les bombes, avec sa mère, sa sœur, sa fille, et sa belle-mère, jusqu’à être arrêté et être conduit à l’Hôtel du Golf, en même temps que lui.
N’est-il pas celui qui a dit que son seul regret était de ne pas être à la CPI avec Gbagbo ?
Notons que déjà en 1992, il avait fallu fortement le convaincre, pour qu’il ne rejoigne pas son ami Gbagbo, les responsables et militants du Front Populaire Ivoirien emprisonnés à la MACA.
Cette onde nouvelle répand aussi dans un doux murmure, l’écho du mot Résistance. Sangaré était comme la colonne indestructible qui a soutenu, confiant et imperturbable, la voûte du Front Populaire Ivoirien et l’a maintenue debout. Il était aux côtés de Laurent Gbagbo, cet autre symbole de la résistance de toute la Côte-d’Ivoire patriotique. Il restera l’homme inébranlable dans ses convictions, l’homme rigoureusement ponctuel, la force tranquille.
Oui, Il s’est révélé au fil des ans comme un puissant symbole de la résistance et a, à juste titre, servi de rempart à tout le peuple de Côte d’Ivoire. Nous avons toutes les raisons d’être fiers de lui.
Cette onde nouvelle répand enfin dans son doux murmure, l’écho du mot Elégance. Sangaré demeurera pour nous tous, ce mannequin non conventionnel arborant avec une aisance surprenante le même tissu ou la même couleur flamboyante de la chemise à la chaussure.
Hélas ! Sangaré qui, du haut de ses 72 ans, parcourait encore le pays pour non seulement apporter sa compassion aux peuples meurtris, mais aussi les exhorter à préparer leurs plus beaux habits pour le retour triomphal de leurs fils injustement détenus à la Haye, Sangaré ne verra pas la fin du film qu’il était lui-même occupé à impacter de la puissance de tout son être.
Sangaré, c’est vrai que tu n’es pas rentré dans la terre promise, mais comme Moise, tu l’as vu de loin et, au moment où nos adversaires, tes adversaires voulaient en refermer la porte, toi, tu as tendu le pied pour les en empêcher. Tu t’es même dressé dans la porte et l’as maintenue ouverte. Tu as fait cela pendant 7 ans et personne n’a pu fermer cette porte.
Aujourd’hui, tu t’es retiré, mais la porte est définitivement ouverte et, par elle, Laurent Gbagbo rentrera dans la terre promise. Par elle, je vais rentrer dans cette terre promise. Par elle, tout le Front populaire Ivoirien, tout le peuple ivoirien, vont rentrer dans la terre promise. Par elle, tous les Africains entreront dans ce nouveau continent développé, démocratique, paisible et moderne.
Tu as été le rempart, tu as été le gardien de la porte, tu t’es dressé et tu resteras dressé dans cette porte qui ne se refermera pas.
La mort de Sangaré, bien que très douloureuse, constitue paradoxalement pour nous, une leçon d’humilité : C’est que l’homme propose mais c’est Dieu qui dispose. Nous les hommes, nos projets, nos espoirs, nos actions, doivent être assujettis à cette grande loi divine. Nous devons avoir le souci d’intégrer et de consulter la destinée que Dieu a prévue pour chacun d’entre nous. Tous nos grands plans, nos grandes ambitions, s’arrêteront net, le jour où le Seigneur dira STOP. Alors, soyons humbles, positifs, et de bonne composition. Nous devons veiller à imiter la modestie de ce grand homme, qui n’a juste voulu que faire sa part, sans s’imposer aux autres, sans gêner personne d’autre.
Sa mort bien que très douloureuse, ne doit pas nous enfermer dans la désespérance. Moïse n’est certes pas entré à Canaan, mais sa mort n’a pas sonné le glas du projet de Dieu pour son peuple.
Nous n‘aurons certes plus de Sangaré Aboudrahamane parce qu’il était unique, mais les leçons de vie qu’il nous lègue continueront de rythmer nos vies.
Sangaré a fait efficacement sa part. Il nous lègue, notre instrument politique, le Front Populaire Ivoirien, debout. Il nous lègue une plateforme EDS, debout. Il nous lègue une vision pour la Côte d’Ivoire, notre projet de société dont la mise en œuvre a été brutalement interrompue par un coup d’état démarré contre notre régime en septembre 2002 et parachevé en avril 2011, sous le fallacieux vocable de « Crise postélectorale ».
Qu’allons-nous faire de cet héritage ? C’est là toute la question.
Alors que j’étais incarcérée à l’Ecole de Gendarmerie, il m’a été rapportée une histoire que Sangaré avait raconté à une réunion des instances du Parti, afin d’inviter les militants à l’engagement. Permettez-moi de la partager avec vous. C’est la légende du colibri.
Sangaré a fait plus que le colibri. Il a consacré 48 ans de sa vie, soit les 2/3 de son temps de vie ici-bas, à lutter pour l’instauration de notre idéal démocratique. Il a plus que fait sa part.
Notre pays est en lambeaux. Sangaré nous lègue un vaste chantier de reconstruction. Il nous lègue la destinée de notre nation.
Il y a-t-il cette nuit, en ce lieu, des colibris prêts à faire leur part ? prêts à faire plus que leur part ?
Moi, je m’engage à continuer de faire ma part dans les sillons tracés au moment où en 1982, Laurent Gbagbo, toi Sangaré, Kokora Pascal, Boga Doudou et moi-même créions le FPI, dans la clandestinité.
Notre ambition pour la Côte d’Ivoire était de construire un pays démocratique, avec le Front Populaire Ivoirien comme instrument de sa réalisation. Quand le Front Populaire Ivoirien était attaqué de toutes parts, Sangaré a su le maintenir debout. Même la tentative de prise de contrôle par des acteurs internes du parti n’a pas prospéré. Trente-six (36) ans après la naissance de notre instrument commun de travail, nous pouvons déclarer fièrement que toutes les tentatives de destruction, de sabordage du FPI ont échoué, Le Front Populaire Ivoirien vit toujours. J’en suis reconnaissante à Sangaré et je m’engage fermement, à continuer de consolider cet instrument commun de réalisation de notre projet de société.
Nous rêvions d’un pays démocratique, fonctionnant dans la justice, l’intégrité, le respect de la vie humaine. Nous rêvions d’un pays autonome et souverain. Un pays développant des relations d’égalité avec l’Afrique premièrement, avec l’ancien colonisateur et l’Europe, avec aussi le reste du monde pour finir. Aujourd’hui, 58 ans après l’indépendance concédée à notre pays en 1960, cet idéal est plus que d’actualité.
Nous rêvions d’un pays de bonheur et de joie de vivre, où l’ethnie ne compte pas, où l’ethnie ne prime pas sur la citoyenneté ivoirienne, un pays sécurisé, vivant dans la paix d’une nation véritable. Aujourd’hui, cet idéal est plus que d’actualité.
Alors, je m’engage fermement à m’investir pour l’avènement de cette véritable nation réconciliée ; Cette nation dont les membres et les entités transcendent leurs ambitions mesquines et leurs esprits d’intrigues et de malheur ; Cette nation dont les fils et les filles surmontent leurs blessures intérieures, leurs ressentiments les uns pour les autres. Cette nation a besoin que ses fils et ses filles se pardonnent véritablement et réapprennent à vivre dans la paix, dans leurs diversités ethniques et dans le respect mutuel.
Dès ma sortie de prison, avec ton assentiment, Sangaré, je me suis ré-engagée dans ce chantier. Je ne faiblirai pas dans cet engagement.
Nous rêvions d’un pays où nos enfants seraient entièrement scolarisés, un pays où l’instruction serait à la portée de tous. Un pays dont le système éducatif génèrerait un nouveau type de citoyens cultivés, créatifs, entreprenants.
Nous rêvions d’un pays où les soins médicaux seraient accessibles à tous.
Nous rêvions d’un pays industrialisé, équipé, entretenant avec les voisins, des relations valorisant la créativité africaine, la multi culturalité africaine et mondiale.
Sangaré, comme tu le constates, notre idéal pour la Côte d’Ivoire n’est pas obsolète. Il demeure une exigence nationale.
A toi donc, je veux dire que je reste fidèle à notre vision.
A toi et à ce peuple réuni en ce lieu, je promets de continuer à travailler avec sérieux et ardeur, à la transformation de notre nation selon notre vision, parce que non seulement cette vision commune continue de mobiliser et de motiver tes militants du Front Populaire Ivoirien, mais surtout, parce qu’elle répond aux aspirations profondes du peuple ivoirien tout entier et du peuple africain tout entier.
Sangaré, je te fais la promesse que nous tous que tu laisses sur cette terre, nous continuerons à œuvrer pour l’édification d’un Front Populaire Ivoirien fort, efficace et victorieux, œuvrant dans un esprit d’unité, d’ordre et d’ouverture afin d’être cet instrument capable de résoudre toutes les questions difficiles.
Sangaré, tu as été une grande bénédiction pour le Front Populaire Ivoirien. Cela a été une grande chance pour nous d’avoir eu quelqu’un de ta trempe.
Tu nous as été prêté par Dieu pendant un temps et nous ne cesserons de l’en remercier.
Sangaré, ta famille politique te sera toujours reconnaissante.
Nous saurons honorer ta mémoire.
Tu trouveras en notre sein, des colibris, beaucoup de colibris des personnes prêtes à faire humblement leur part, Moi la première !.
Mais, tu sais Sang, maintenant que je vais céder le micro, je voudrais, te confesser quelque chose, à voix basse ; Tu me manques. Tu nous manques. Tu manques à Ibrahim, à tes sœurs, à Issiaka.
Tu manques à Linda, ton épouse. Tu manques à Marie-Djata, à Raïssa, et à Naomi, la toute petite qui dormait encore dans ton lit.
On ne te le dira pas à voix haute, mais tu nous manques.
C’est vrai, tu avais un caractère difficile et très souvent même, nous avions peur de l’accueil que tu allais nous réserver quand nous allions frapper à ta porte. Nous tremblions, nous hésitions, nous avancions, nous reculions et plus d’une fois, tu nous as balancé aux orties. Ou bien, tu t’es refugié dans un silence infranchissable, ton silence. Tu nous terrorisais, mais, tu sais quoi ? Nous aimions ça. Parce que, c’est ça notre Sangaré. On se disait « Vous-même, vous le connaissez ô.. ». On t’a aimé avec tes qualités et tes défauts et tu nous manques.
On aimait que tu nous fasses courir quand on arrivait en retard, parce que, c’était ça Sangaré. Et, dans nos soupirs, on était fier du pilier auquel on était solidement adossé.
C’est paradoxal peut-être, mais c’était ça, notre relation avec toi.
Quand tu tranchais net, quand tu refusais de nous laisser continuer notre argumentation, on soupirait, on disait « Humm, Oh vous-même vous connaissez Sangaré ! ». Mais on aimait ça, parce que c’était le Gardien de notre Temple qui réagissait.
On t’aime tous, on t’aime encore, on t’aimera toujours.
Tes colères nous manqueront. Ta pugnacité nous manquera. Ton intransigeance nous manquera. Mais, ta force du buffle combinée à celle de l’éléphant, nous servira de soutien.
Les enfants, continuez d’être fortes. Séchez vos larmes. Nous sommes ensemble, et nous resterons ensemble.
Le Dieu en qui vous croyez, déclare dans Sa parole qu’Il est le Père des orphelins, le défenseur des veuves (Psaumes 68, 6). Il déclare aussi que Ses yeux sont sur les justes et Ses oreilles attentives à leur cri (Psaumes 34,16).
Sachez-le, le Dieu en qui vous croyez, est fidèle. Il ne faillit jamais. Il tient toujours toutes ses promesses. Demeurez toujours fortement arrimées à Lui. Placez en Lui toute votre confiance et vous verrez Sa provision abonder chaque jour dans vos vies.
Que Dieu nous console tous. Qu’Il renouvelle nos forces afin que, tous réunis demain dans une grande procession, nous accompagnions notre camarade à sa derrière demeure.
Sangaré, Pars tranquille et repose en paix.
MADAME SIMONE EHIVET GBAGBO