Des mercenaires américains pillent les ressources naturelles syriennes, a déclaré le ministère russe de la Défense, qui précise qu’une production pétrolière illégale se déroule sur les territoires qui ne sont pas contrôlés par les autorités centrales du pays.
Qui a réussi à profiter du pétrole syrien pendant le conflit? Et pourquoi le pillage des hydrocarbures, qui se poursuit aujourd’hui alors que les terroristes sont pratiquement vaincus, constitue une véritable menace pour le pays? L’analyse du quotidien Izvestia.
C’est du vol!
Une augmentation des effectifs de sociétés militaires privées américaines a été constatée dernièrement sur les sites pétroliers en Syrie, a déclaré le général russe Sergueï Roudskoï, chef de la Direction générale des opérations de l’état-major interarmées. Selon lui, le nombre de mercenaires dans le pays «dépasse 3.500 hommes» (à titre de comparaison, le contingent américain officiel compte environ 2.500 soldats).
D’après le général, une production illégale d’hydrocarbures se déroule sur les gisements d’al-Omar, de Tanak et de Konako dans la province de Deir ez-Zor. Mais ce sont seulement là les champs où se trouvent les plus grandes réserves pétrolières et gazières. Il existe également plusieurs autres puits dans les provinces voisines de Hassaké et de Racca – des territoires contrôlés actuellement par des troupes kurdes des Forces démocratiques syriennes, qui avaient chassé les terroristes de Daech* de ces territoires avec l’aide des Américains.
«Il existe un réseau criminel de fournitures transfrontalières de pétrole syrien. Il s’agit tout simplement d’un pillage des richesses nationales de la Syrie», a constaté le représentant de l’état-major russe.
Un conflit d’envergure pétrolière
De par ses réserves d’hydrocarbures et le niveau de production, la Syrie ne tient pas la comparaison avec les autres pays de la région, notamment les pays du Golfe. Néanmoins, avant le début du conflit, ce pays produisait près de 400.000 barils par jour. Une grande partie de ce pétrole était exportée en UE, ce qui rapportait plusieurs milliards d’euros par an à Damas.
Avec le début de la guerre en Syrie en 2011, Bruxelles a décrété des sanctions contre Damas, notamment dans le secteur pétrolier. En particulier, l’interdiction a frappé les importations de pétrole et de produits pétroliers dans les pays de l’UE. Et, à l’époque déjà, la production d’hydrocarbures avait brusquement chuté.
De plus, les gisements ont été convoités par les terroristes qui ont commencé à se renforcer rapidement. En 2015, Daech* contrôlait de vastes territoires en Syrie, notamment la majeure partie des provinces de Deir ez-Zor et de Racca, ainsi qu’une partie de Hassaké. Cela a affecté la production, qui a été divisée par plus de 10 par rapport au niveau d’avant-guerre, pour plafonner à seulement 30.000 barils par jour, selon certaines informations.
Bien sûr, cela ne signifie pas que le travail sur les gisements s’est arrêté avec l’arrivée des terroristes. Au contraire, la contrebande d’hydrocarbures est devenue une importante source de revenus pour les terroristes, même s’ils étaient vendus bien moins cher. La Turquie était alors l’un des principaux acheteurs de ce pétrole bon marché. Et, selon certains observateurs, la crise dans les relations russo-turques, qui a connu son apogée en novembre 2015 suite à la destruction d’un avion russe Su-24 par les Turcs, a été provoquée entre autres par ce pétrole «sale».
La Russie venait seulement de lancer son opération antiterroriste, et les frappes de son aviation visaient notamment à priver les terroristes de sources de financement. En d’autres termes, les avions lançaient des attaques massives contre les convois de pétrole de contrebande à destination de la Turquie. Selon les témoignages, le plus souvent les camions n’étaient pas conduits par des terroristes mais par des citoyens turcs. Et forcément, leur mort mettait Ankara en colère. Cependant, la Turquie s’est retrouvée dans une situation très inconfortable faute de pouvoir évoquer ce thème dans la sphère publique: dans ce cas, elle aurait dû reconnaître officiellement l’existence de contacts avec les terroristes.
Quoi qu’il en soit, les relations russo-turques ont connu un effondrement, puis une ascension tout aussi rapide. Pendant ce temps, la situation de Daech* a commencé à se détériorer. Avec le soutien de l’aviation russe, les forces gouvernementales ont commencé à reprendre le contrôle des territoires perdus. En même temps a été lancée une attaque des Kurdes syriens contre les positions des terroristes, derrière lesquels se trouvaient les Américains.
Au final, fin 2017, l’organisation terroriste Daech* a été presque entièrement expulsée des régions qu’elle occupait. Mais la lutte contre les terroristes a cédé la place à une nouvelle confrontation. Les Kurdes, qui ont annoncé en mars 2016 la création en Syrie de leur propre région fédérative, n’ont pas remis les territoires libérés des terroristes à Damas, et ont décidé de renforcer la coopération avec les États-Unis. La frontière conditionnelle entre les deux camps passait sur l’Euphrate, à l’Est duquel se trouvent les champs pétroliers susmentionnés, dont l’exploitation est contrôlée par des sociétés militaires privées américaines.
L’attaque contre l’Iran fait ricochet sur la Syrie
La contrebande de pétrole par les terroristes, les sanctions, la guerre et les actions des Kurdes et de leurs alliés américains ont porté sérieusement atteinte à l’économie syrienne. Le ministre du Pétrole Ali Ghanem a déclaré en avril dernier que les pertes directes et indirectes du secteur pétrolier s’élevaient à plus de 74 milliards de dollars.
De plus, durant le conflit, la Syrie s’est transformée d’un exportateur d’hydrocarbures en importateur. Selon Ali Ghanem, le pays a besoin de 100.000-136.000 barils par jour. Les Syriens couvrent eux-mêmes une partie de ces besoins et le reste est importé, ce qui coûte 8,8 millions de dollars par jour à Damas. Ce fardeau supplémentaire pour le budget ne représentait pas, jusqu’à récemment, une sérieuse menace, car la Syrie était approvisionnée en pétrole par l’Iran, l’un de ses alliés.
La situation a commencé à changer quand les États-Unis se sont retirés du Plan d’actionsur le programme nucléaire iranien, puis ont décrété de nouveau des sanctions contre la république islamique. Le journal syrien progouvernemental Al-Watan a annoncé qu’aucun pétrolier iranien n’était arrivé dans les ports syriens entre octobre 2018 et mai 2019 à cause des décisions de Washington.
Ce communiqué est passé inaperçu pour les grands médias russes, mais les actions des autorités de Gibraltar, territoire britannique, qui ont arrêté le 4 juillet un pétrolier iranien soupçonné de transporter du pétrole en Syrie en transgressant les sanctions de l’UE, témoignent de manière révélatrice de la disposition agressive des Américains envers Téhéran et Damas. Sachant que selon le ministre des Affaires étrangères de l’Espagne (qui conteste les droits de Londres sur Gibraltar) Josep Borrell, cela a été fait à la demande des États-Unis.
Suite aux actions américaines, les Syriens ont été confrontés à une forte pénurie de gaz et de produits pétroliers en 2018-2019. Les autorités ont dû instaurer des restrictions sur la vente d’essence aux conducteurs. Alors qu’aux abords de Lattaquié, dans l’impossibilité de chauffer leurs logements au gaz, les habitants ont dû abattre un grand nombre d’arbres. Dans l’ensemble, la crise sur le marché intérieur des hydrocarbures a également provoqué des tensions sociales dans certaines régions du pays.
Les jeux pétroliers
Il est évident que les perspectives de stabilisation de la situation sur le marché pétrolier et gazier syrien dépendent en grande partie de la capacité des autorités de Damas à rétablir le contrôle des gisements retenus par les Américains et les Kurdes à l’Est de l’Euphrate. Les Syriens ont essayé plusieurs fois de s’entendre avec ces derniers sur les questions litigieuses. Mais les consultations s’intensifiaient seulement quand les Américains exprimaient par leurs actes ou déclarations l’intention d’affaiblir le soutien à leurs alliés.
Ainsi, par exemple, en juin 2018, les États-Unis et la Turquie ont approuvé la «feuille de route» pour stabiliser la situation dans la ville syrienne de Manbij au Nord du pays. Ces accords pointaient notamment la nécessité d’en retirer les troupes kurdes. Ce qui a poussé les Kurdes à s’asseoir à la table des négociations avec Damas. Cependant, le dialogue s’est retrouvé dans l’impasse avec l’enlisement des accords américano-turcs.
Les consultations à part entière ont repris quand Donald Trump a annoncé fin 2018 son intention de retirer le contingent américain de Syrie. Mais quand il s’est avéré que les Américains y resteraient pour une durée indéterminée, le rapprochement prévu entre les parties a finalement été réduit à néant.
A présent la situation est différente. Compte tenu des difficultés de Damas à satisfaire ses besoins en pétrole et en produits pétroliers, avec l’approbation silencieuse des États-Unis les Kurdes pourraient devenir encore moins conciliables et commencer non seulement à exprimer, mais également à dicter leurs conditions pour la réconciliation. Elles sont connues: la fédéralisation et l’octroi de l’autonomie, ce qui risque de désintégrer et de faire effondrer la Syrie. Pendant ce temps, les Américains contrôleront les gisements à l’Est de l’Euphrate en gagnant de l’argent, comme à leur habitude ces dernières années, grâce au pétrole étranger.
*Organisation terroriste interdite en Russie