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Le décret du 12 juin 2019 sur la santé confirme l’échec de la gratuité ciblée – Par Dr Simon Kacou Pierre

La gratuité ciblée a favorisé l’endettement des établissements sanitaires publics, une dégradation de l’environnement de travail des agents de santé, une augmentation de la charge financière des  usagers et  une démotivation des agents de santé.

En effet le mercredi 12 juin 2019, un conseil des ministres s’est tenu au palais de la Présidence de la République. Ce conseil a  été l’occasion pour le gouvernement de prendre de nouvelles mesures  dans le secteur de la santé. le conseil a adopté un décret portant institution de mesure d’exemption sélective de paiement de frais de prise en charge médicale des usagers des établissements sanitaires publics et établissements sanitaires privés investis d’une mission de service publique. Ce décret,  indique  le ministre SIDI TOURE, porte parole du gouvernement, s’inscrit dans le cadre du vaste programme social du gouvernement. Il dresse la liste des actes de santé, des médicaments et intrants faisant l’objet d’exemption pour les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans révolu ne bénéficiant pas d’une assurance privée. Outre le volet d’application des mesures d’exemption sélective, les établissements sanitaires publics et privés  investis d’une mission de service public sont tenus de prendre immédiatement en charge les 48 premières heures des urgences médico-chirurgicales de tout patient. Au dire du porte parole, ce décret met en place un cadre de suivi de la mise en œuvre des mesures d’exemption sélective de paiement des frais de prise en charge médicale des usagers par la création d’une commission nationale de coordination de la mise en œuvre de la gratuité ciblée. Cette commission dispose d’un comité technique et des comités régionaux de vérification et de pré-validation.                                                                                                                                                                                              Notons qu’au sortir de la crise post électorale, le Gouvernement ivoirien a institué pour une période déterminée,  une  mesure  exceptionnelle  de  gratuité  des  soins  dans  les  établissements sanitaires publics et les formations sanitaires à base communautaire conventionnées, afin de soulager les populations particulièrement éprouvées par la dégradation de l’environnement socio-économique  du pays. Par la suite, face aux dysfonctionnements constatés, cette mesure a été remplacée  par celle ciblant prioritairement les femmes enceintes et les enfants âgées de 0 à 5 ans  depuis le 20 février 2012. L’ensemble de la population quant  à  elle,  bénéficie  de  la  prise  en  charge  du  paludisme  diagnostiqué  et  des urgences médico-chirurgicales. C’est la  gratuité ciblée.

Aujourd’hui,  le décret du 12 juin 2019 confirme l’échec de la gratuité ciblée. En effet les soins et les médicaments en Cote d’Ivoire n’ont jamais été gratuits ni pour les femmes enceintes ni pour les enfants de 0 à 5 ans. Environ  30%  des  personnes   déclarent avoir  déboursé de l’argent pour des soins censés être gratuits. Ces personnes se retrouvent majoritairement au niveau secondaire de la pyramide sanitaire avec 44,23 %.  Les sommes moyennes  déboursées selon les usagers étaient de 4215 FCFA pour le niveau primaire, 9950 pour le niveau secondaire et 8350 F pour le niveau tertiaire.

Les comités de suivi de la gratuité ciblée mis en place à différents niveaux de la pyramide sanitaire n’ont jamais été  opérationnels et il n’a jamais existé un cadre unique de coordination et de gestion   de la mesure. De plus, les acteurs de terrain n’ont pas été formés à l’utilisation des outils de gestion financière élaborés dont le remplissage est jugé fastidieux. Les supervisions pour  améliorer la mise en œuvre de la mesure et de l’usage rationnel des médicaments et intrants  stratégiques sont peu fréquentes dans les districts et centres de santé. La mesure de gratuité ciblée est différemment comprise et appréciée par les acteurs majeurs du système de santé. La réalité a mis en évidence un sous financement de la mesure de gratuité ciblée.

 Ainsi,  des  ruptures fréquentes  en médicaments et des retards importants dans le remboursement des formations sanitaires impliquées dans la mise en œuvre de la gratuité ciblée sont observées. Il s’en est suivi un endettement de certaines formations sanitaires,  une augmentation de la charge financière des  usagers et une dégradation de l’environnement de travail des agents de santé. La majorité des agents de santé rencontrés a affirmé être démotivée, situation ayant un impact négatif sur la qualité des soins.

Désormais tous les actes de soins de santé et les médicaments ne seront plus gratuits

Cette mesure d’exemption sélective de paiement de frais de prise en charge médicale des usagers des établissements sanitaires publics et établissements sanitaires privés investis d’une mission de service publique dressera  la liste des actes de santé, des médicaments et intrants faisant l’objet d’exemption pour les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans révolu ne bénéficiant pas d’une assurance privée. Ceci signifie clairement que désormais  toutes les pathologies ne sont plus prises en charge parce que  tous les actes de soins de santé et les médicaments ne seront plus gratuits pour les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans au regard de la mesure d’exemption sélective de paiement de frais de prise en charge médicale.

Par ailleurs, ce décret met en place un cadre de suivi de la mise en œuvre de la gratuité ciblée avec la création d’une commission nationale de coordination, de suivi et de contrôle  disposant d’un comité technique et des comités régionaux. Cette disposition montre de façon évidente l’échec des  comités de suivi de la gratuité ciblée mis en place dès les premières  heures de la réforme sur la gratuité.

Ce qu’il faut retenir, c’est  la fin de la gratuité ciblée et  l’échec évident  des  reformes  sur la santé  et partant l’échec du système de santé ivoirien depuis 2012.

Dr Simon Kacou Pierre

Consultant-Spécialiste

Master en santé publique

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