par Leslie Varenne
Désormais, dans tous les cours de droit international, les étudiants devront ferrailler avec la jurisprudence Gbagbo. La Cour Pénale Internationale vient en effet d’inventer un nouveau concept juridique tout à fait révolutionnaire : le maintien en détention d’une personne acquittée et donc reconnue innocente des faits qui lui étaient reprochés. Les universitaires et les futurs avocats qui plancheront sur cette jurisprudence-là, se préparent des nuits blanches, des migraines, des « nervous breakdown ».
Pour comprendre l’embrouillamini juridique et l’enjeu de la prochaine audience du 1er février, il est nécessaire de revenir sur les événements des 15 et 16 janvier derniers. Deux journées folles où la CPI a une nouvelle fois démontré jusqu’à l’absurde et aux yeux du monde entier son « respect du droit », son « impartialité » et son « professionnalisme » !
Le 15 janvier, la Chambre de première instance présidée par le juge Cuno Tarfusser rend son verdict, elle prononce l’acquittement à la majorité, de deux juges sur trois, de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé et ordonne leur libération immédiate. Puis le juge président suspend l’audience jusqu’au lendemain. Le 16 janvier au matin, le Bureau du procureur fait une requête surprenante demandant que les acquittés soient placés en liberté conditionnelle. En milieu d’après-midi, toujours à la majorité, Cuno Tarfusser réitère son verdict d’acquittement de toutes les charges retenues contre les deux accusés, rejette fermement la requête du procureur, et ordonne leur libération immédiate sans condition. Pour la Chambre de première instance le dossier est clos, cette affaire est terminée. La procureur, Fatou Bensouda, aurait pu en rester là et saisir cette opportunité pour communiquer avec grandeur et emphase sur l’impartialité de la Cour, la vérité, la justice, le droit, bla-bla, et ainsi essayer de redorer, si tant est que ce soit encore possible, l’image de son institution délabrée. Mais elle a préféré se faire hara-kiri…
Le 16 janvier aux environs de 16 heures, les acquittés sont donc considérés comme libres. Selon une source à la Cour, à partir de ce moment tout le personnel de l’institution internationale, administration, gardiens travaillent à la mise en œuvre de cette libération. A 21 heures, surprise, le greffier annonce aux acquittés qu’ils devront encore dormir en prison, le Procureur ayant interjeté appel du rejet de sa demande visant au placement des acquittés en libération conditionnelle ou leur maintien en détention. Dans l’attente de la décision de la Chambre d’appel sur ce recours, le Procureur sollicitait le bénéfice de l’effet suspensif de la décision de rejet, ce qui est une aberration juridique selon des juristes interrogés. En effet, selon ces experts, il ne peut y avoir d’effet suspensif à une décision de rejet qui en soi n’ordonne rien, mais se limite à rejeter une demande. C’est donc parfaitement absurde.
C’est sur cette anormalité que les étudiants devront désormais plancher. Mais à cette heure, tout le monde, y compris les fonctionnaires de la Cour, est absolument persuadé que la ficelle est trop grosse, ça ne passera pas, les acquittés seront donc libérés. C’était sans compter sur l’entêtement suicidaire de la procureur.
Preuve des manœuvres politiques qui se déroulent en coulisses, le 17 janvier au soir l’avocat du président Alassane Ouattara annonce qu’une décision sera rendue le lendemain. Comment peut-il le savoir alors que les acquittés/détenus et leur défense l’ignorent ?
Mais le conseil du président ivoirien est très bien informé et dès le lendemain, bingo, la Chambre d’Appel fait droit, à la majorité, à la requête du procureur sur l’« incompréhensibiliste » effet suspensif de la décision de rejet ! Dans ces conditions, deux personnes acquittées sont, à ce jour, toujours maintenues en détention, sans qu’aucune décision judiciaire n’ait ordonné ce maintien en détention. Il s’agit donc bien, selon les juristes, d’une détention parfaitement arbitraire, ou à tout le moins parfaitement illégale.
L’audience du 1er février sera donc consacrée aux débats entre toutes les parties concernant la libération ou non des acquittés. Le Bureau du procureur et la Chambre d’appel composée désormais de cinq juges, dont le nom entrera dans tous les manuels de droit, à l’instar de Fatou Bensouda et de son inénarrable subtitut, Eric McDonald, s’enferreront-ils dans le monde de l’absurdie en décidant de libérer les acquittés en conditionnelle ou en les maintenant en détention s’ils ne remplissent pas les conditions ? Ou encore diront-ils le droit, en les libérant sans condition ? L’appel de l’acquittement n’est pas encore à l’ordre du jour; les juges de la première Chambre n’ont pas encore rendu leurs motivations par écrit, par conséquent le procureur n’a pas pu interjeter appel. C’est donc le seul objet de cette audience.
En réalité, tout le monde l’aura compris, ce qui se joue le 1er février va bien au-delà des contorsions du droit. L’enjeu central est politique : Laurent Gbagbo pourra-t-il rentrer en Côte d’Ivoire et prendre part au débat politique et surtout à l’élection présidentielle de 2020 ou sera-t-il consigné dans un pays européen ? Si d’aucuns doutaient encore de la partialité de cette justice internationale, la jurisprudence Gbagbo aura permis aux borgnes et aux aveugles de recouvrer la vue.