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Inflation alimentaire/Des pays sont vraiment dans une situation de crise

Va-t-on vers des émeutes de la faim semblable à celles de 2008 en Afrique ? Spécialiste de géopolitique agricole et alimentaire, directeur général du club Déméter et chercheur associé à l’Iris, Sébastien Abis éclaire l’opinion nationale et internationale sur cette préoccupation.

L’Afrique subit une inflation alimentaire inquiétante, à titre d’exemple, l’on a vu, récemment, en Sierra Léone, des manifestations contre la vie chère, qui ont mal tourné. – Peut-on craindre un retour de ces émeutes de la faim ?

 Oui et non. Oui, parce que nous sommes dans un contexte extrêmement dégradé, de l’instabilité chronique sur le plan géopolitique et social dans beaucoup de pays africains, tous les effets de la pandémie de Covid qui ont eu des incidences sur les pouvoirs d’achat, les violences du climat. Et depuis six (6) mois, nous avons même un conflit au nord de la mer Noire dont on pourrait penser qu’il n’aurait pas d’incidence jusqu’en Afrique, sauf que le poids de la Russie ou de l’Ukraine sur les exportations mondiales de céréales, d’huile de tournesol ou des engrais font que mécaniquement un certain nombre d’États africains, dépendants, non pas intégralement, mais en partie de ces ressources provenant de ces deux pays en crise.

Selon Sébastien Abis « on a des céréales locales qui retrouvent une visibilité sur les marchés africains, parce qu’elles sont moins dépendantes des approvisionnements extérieurs ».

Donc, oui, nous avons des pays qui sont vraiment dans une situation de crise alimentaire avec de l’inflation. La Sierra Leone est un exemple, mais le cas du Zimbabwe est encore plus dramatique. On pourrait citer les taux d’inflation alimentaire en Angola, en Éthiopie, au Rwanda. Mais on a tout un tas de mécontentements qui se conjuguent et qui expriment du coup des colères. Et d’ailleurs, dans le cas de la Sierra Leone, ces dernières semaines, les manifestations n’étaient pas que des émeutes autour du prix de la nourriture.

Plusieurs bateaux chargés de céréales ont enfin quitté les ports ukrainiens depuis le début du mois d’août. Cela suffira-t-il pour un retour à la normale des prix des céréales que l’Afrique importe en quantité de plus en plus grande ?

Ce qui est certain, c’est que ce sont des signaux d’accalmie. Sur les marchés agricoles, il faut absolument rester prudent sur la dynamique à venir. Il faudrait que le ballet agro-logistique et maritime s’intensifie significativement dans les prochaines semaines pour corriger les manques et demandes qui doivent être rattrapés.

Par ailleurs, le renchérissement des engrais fait qu’un certain nombre d’agricultures en Europe, mais aussi en Afrique, vont peut-être avoir des rendements dégradés l’an prochain, et donc, on pourra avoir des récoltes qui seront peut-être un peu moindres dans un contexte de très – grande instabilité géopolitique qui va perdurer, de grande instabilité sur les marchés agricoles et sur les prix qui vont lui aussi continuer, avec un aléa météorologique plus que jamais intense en termes d’imprévisibilité.

 L’Afrique importe deux fois plus de céréales qu’il y a 20 ans, que ce soit du riz ou du blé, n’est-ce pas un échec des politiques agricoles sur ce continent ?

C’est vrai qu’on a vu des pouvoirs publics privilégier l’approvisionnement depuis les marchés internationaux pour notamment sécuriser l’alimentation des villes, parfois au détriment des zones intérieures rurales du pays, et donc des productions locales. On a vu l’explosion des consommations, notamment de blé. On a vu surtout l’explosion de la consommation de riz. On ne peut pas faire pousser du blé sous les latitudes d’Afrique de l’Ouest et une grande partie des pays africains ne peuvent pas en produire. En revanche, le riz en Afrique de l’Ouest a connu un vrai boom. Le Nigeria tient à renforcer sa production dans les prochaines années.

 Le sorgho, le mil, et autres céréales locales qui sont en train de connaître un retour en vogue, n’est-ce pas une visibilité sur les marchés ?

Oui, on a des céréales locales qui retrouvent une visibilité sur les marchés africains, parce qu’elles sont moins dépendantes des approvisionnements extérieurs. Mais il faut pouvoir les mettre à disposition sur ces marchés de consommation. Cela veut dire de la logistique entre les zones de production souvent intérieures où parfois l’état sécuritaire n’est pas au rendez-vous – au Nigeria, au Burkina Faso, vous avez des zones de productions agricoles aujourd’hui où c’est très dangereux d’aller chercher des marchandises -, vous avez un état logistique (route, stockage…) qui n’est pas encore au niveau pour permettre justement l’arrivée en masse de production locale sur les rives littorales. Et puis, il faut de la transformation qui souvent fait défaut. Et c’est tout cela qu’il faut encourager.

 Source : rfi.fr avec afriquematin.net

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