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Guinée-Bissau/Voici l’émouvante histoire de l’assassinat d’Amilcar Cabral

Le dirigeant indépendantiste bissau-guinéen et cap-verdien Amilcar Cabral était assassiné devant son domicile à Conakry. L’attaque a été menée par un petit commando de militants de son mouvement, le Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap (PAIGC) qui, selon de nombreuses sources, étaient en lien avec les services portugais. Cinquante (50) ans après, sa veuve Ana Maria Cabral, était à ses côtés lors de ces évènements malheureux, elle raconte les faits et les circonstances de son assassinat.

Vous êtes à Conakry avec votre mari au moment des faits en 1973. Quel souvenir gardez-vous de cette journée avant les événements tragiques de la nuit ? 

« Comme leçon, c’est qu’il faut que nous préservions notre indépendance, notre dignité. « 

Il avait déjà reçu plusieurs renseignements des services d’espionnage de divers pays amis de l’époque… C’est moi qui n’étais au courant de rien. Mais j’ai vu qu’il était très soucieux ce jour-là. Il était très, très inquiet.

Après, il y avait une réception, si je ne me trompe, à l’ambassade de Pologne. Il n’était pas franchement du genre à fréquenter souvent les réceptions… Mais là il m’a dit « exceptionnellement, allons-y, d’autant plus qu’on n’a jamais reçu d’aide de la part de la Pologne. Allons-y, donc, pour leur rappeler que nous avons également besoin de leur solidarité. ». On y est donc allés. Et je me suis rendu compte qu’il ne voulait plus en partir. Comme s’il avait le pressentiment que c’était le dernier jour de sa vie. Il parlait à absolument tout le monde : des ambassadeurs, d’autres diplomates et ne montrait aucune envie d’en partir.

Aviez-vous souhaité emporter par sécurité un pistolet pour aller à cette réception à l’ambassade de Pologne, mais que Amilcar Cabral vous en avait empêché ?  

 C’est vrai, j’avais voulu emporter un pistolet, mais il n’a pas permis qu’on le prenne. Parce que j’avais bien compris que quelque chose se passait. Je ne savais pas ce qu’il en était, je n’avais pas les informations. Mais il n’a pas autorisé que l’on prenne le pistolet, il n’a pas non plus accepté d’agent de sécurité avec nous. Nous y sommes allés tous les deux, seuls, ni pistolet ni aucune sécurité. On revient donc à la maison qui était attenante au secrétariat du parti le Paigc. Et là, on voit que la maison était assiégée de partout.

 Qu’avez-vous constaté dès votre retour ?

 Il a compris que la maison était assiégée, moi je me suis dit que c’étaient des agents habituels de la sécurité. Mais ce n’était pas ça. Ils se sont approchés de lui, ils ont voulu le ligoter…J’ai appris ensuite seulement que l’accord qu’ils avaient avec Antonio de Spinola, le gouverneur militaire de Guinée Bissau, c’était de livrer les principaux dirigeants du Paigc, qu’il y aurait des vedettes portugaises au large de Conakry pour les emmener ensuite vers Bissau pour être remis à Spinola.

  J’étais perplexe, la discussion se poursuivait, mais ne débouchait sur rien, je ne comprenais rien du tout. À un moment donné, il dit « Autant être tué plutôt que de me faire ligoter ! ». Et voilà, Inocencio Kani a saisi l’occasion et a tout de suite fait feu contre Amilcar. Je ne me souviens plus exactement du nombre de coups de feu qu’il y a eu en tout, le rapport d’autopsie avait fait état de huit (8) ou neuf (9) balles en tout sur son corps, il me semble. Mais Inocencio Kani n’était le seul à tirer, il y avait eu une balle tirée par un autre dont je ne me souviens même plus du nom…

 Aristides Pereira, qui était son principal adjoint, était dans le secrétariat. Il en est sorti quand il a entendu des coups de feu, il a appelé les gardes en leur demandant ce qui se passait à l’extérieur. Cabral était déjà par terre tout ensanglanté. En voyant Aristides, ils se sont empressés de l’immobiliser et de le ligoter.

Est-il mort sur le champ ? Que s’est-il réellement passé après ?

 Bien qu’on lui ait tiré dessus, il ne meurt pas tout de suite, il continue à parler alors qu’il saigne du ventre. -Je me suis mise à crier, pour appeler les voisins, des Guinéens de Conakry qui habitaient en face. Mais on m’a capturée, on m’a attachée et on m’a emmenée vers une maison un peu en retrait… que nous appelions « La Montagne » où, par le passé, nous avions retenu des prisonniers portugais -des soldats, surtout- que les Portugais avaient réussi à faire libérer… et nous sommes restés là… plus tard la secrétaire, Rosete Vieira, est arrivée toute blessée, et encore d’autres, Vasco Cabral, José Araujo, je ne sais plus trop !

Plus tard, nous avons été libérés par l’armée de Sékou Touré et on a été emmenés vers son palais. Mon inquiétude, c’était de savoir si les troupes du président guinéen avaient pu sauver Cabral… Mais après, le ministre de la Santé, lui-même, est venu me dire qu’après avoir essuyé huit (8) ou neuf (9) coups de feu, ça n’avait pas été possible.

Votre mari avait-il été averti par différents interlocuteurs des risques d’assassinat. Et pourquoi ne s’est-il pas plus protégé ? Pourquoi étiez-vous seuls ce soir-là ? 

Parce qu’il était comme ça, il pensait que les amis s’inquiétaient trop ! Que de toute façon, même s’il était tué notre lutte était très avancée… Il était complètement sûr que la lutte se poursuivrait jusqu’à la victoire finale, comme d’ailleurs ça a été le cas.

Amilcar Cabral évoquait-il avec vous, parfois, la possibilité qu’il soit assassiné ? 

Pas de manière très directe, mais il l’évoquait quand même…

 L’on sait qui a tiré sur votre mari… mais il y a aussi les commanditaires. Alors quelle est la thèse que vous privilégiez ? 

Je privilégie la thèse des colonialistes, le régime colonialiste portugais, notamment Spinola qui avait déjà entraîné des gens au Cap-Vert, à la prison de Tarrafal, puis qui les a envoyés sur le terrain guinéen, présentés comme des déserteurs alors que tout ça ce n’était que des mensonges !

Pensez-vous que certains responsables de la Guinée-Conakry ou le président Sékou Touré lui-même ont joué un rôle dans cet assassinat ? 

Non, le président Sékou Touré ! Je n’y crois pas. Mais il est fort possible qu’il y ait eu derrière cet assassinat quelques responsables de la Guinée-Conakry, mais indexé Sékou Touré lui-même, je n’y crois pas ! Ce groupe d’assassins, après avoir tué Cabral et arrêté Aristides Pereira et d’autres dirigeants, a eu l’accès facilité au palais de Sékou Touré par ces gens-là, justement dans l’entourage de Sékou Touré.

Cinquante ans après sa mort, quelle leçon Amílcar Cabral laisse-t-il aux jeunes générations ? 

 Comme leçon, c’est qu’il faut que nous préservions notre indépendance, notre dignité. Qu’il faut que les gens fassent tout leur possible pour vivre dignement, pour être cultivés. Et, bien évidemment, défendre notre patrie, ne pas permettre que des tiers puissent nous mettre d’autres idées dans la tête.

Source: rfi.fr 

Le titre est de la rédaction de afriquematin.net

 

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