Ancien des guerres d’Irak et d’Afghanistan, le général Ben Hodges a commandé l’armée américaine en Europe de 2012 à 2017, au moment de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans l’est de l’Ukraine. A ce poste prestigieux, il s’est essentiellement consacré à la menace russe. Aujourd’hui résident en Allemagne, dont il parle la langue, il travaille pour le Center for European Policy Analysis. Il est parfaitement informé des capacités des forces armées de l’OTAN et de la machine militaire de la Fédération de Russie qui s’oppose à cette alliance, il s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur de l’Ukraine et s’est dit profondément convaincu des intentions agressives du Kremlin. Pour cette guerre, l’ex-commandant de l’U.S. Army en Europe, atteste que « les Russes sont en grande difficulté ».
Mon Général, cela fait presqu’un mois que le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu lieu. En votre qualité d’homme de terrain, quel est le rapport de force sur le terrain ?
Les jours prochains seront déterminants pour l’issue du conflit. Nous sommes à un moment décisif, car les Russes sont en sérieuse difficulté. Pour commencer, ils n’ont pas autant de soldats qu’ils l’avaient annoncé. Tous les rapports vont dans le même sens du fait que le moral des troupes russes est en baisse, car, il y a des désertions, de nombreux commandants russes ont été tués. Il y a un cas de mutinerie sur un navire en mer Noire. Les Russes envoient au front des appelés du contingent peu ou pas entraînés. Au juste, rien ne se passe comme prévu.
Les Russes sont en mauvaise posture et ils le savent. Pour étoffer leur armée, ils sont réduits à demander l’aide de 16.000 combattants étrangers notamment syriens. En vérité, les Russes ne vont pas tenir longtemps avec de tels problèmes de ressources humaines.
Alors, peut-on déduire que Kiev est-elle menacée ?
J’étais dans la capitale ukrainienne -, où j’ai rencontré le président Volodymyr Zelensky. L’environnement urbain est compliqué. La ville est étendue et elle est traversée par l’un des fleuves les plus larges d’Europe. Selon moi, les Russes n’ont pas la capacité d’encercler Kiev. Je ne pense même pas qu’ils soient capables de prendre Odessa, sur la mer Noire. D’ailleurs, ils ne sont toujours pas arrivés sur place. Ils n’ont pas pris Marioupol, ni Kharkiv. Certes, ils ont détruit ces villes mais sans les conquérir. Je répète : ils n’ont pas assez de soldats pour atteindre leurs objectifs de départ.
Nous sommes au mois d’hiver, le climat joue-t-il un rôle sur cette guerre ?
Au sortir de l’hiver, cela complique les manœuvres des Russes qui sont obligés de rester sur les routes asphaltées afin de ne pas s’embourber dans les champs où la terre est aussi grasse, voire davantage, que dans le Midwest américain. Cela joue en faveur de la résistance ukrainienne puisque les convois russes doivent traverser des zones urbaines – où des embuscades sont possibles – ce qui requiert la mobilisation de soldats pour protéger leurs véhicules. Lorsqu’ils sont occupés à cela, les militaires russes ne sont pas sur le front à combattre. La Wehrmacht a connu le même problème pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mon général, que dites-vous sur la fourniture d’armes antichars et de quel type d’armes s’agit-il ? Aussi pourquoi c’est maintenant sont-elles fournies à l’Ukraine en si grande quantité ?
La décision de l’administration Biden de continuer à livrer des missiles antichars- est une décision importante. C’est une réelle opportunité, et c’est cette même arme que nous utilisons, la meilleure arme qu’un soldat puisse porter, -une possibilité importante, et la présence d’un tel nombre d’armes offrira aux soldats ukrainiens une très bonne capacité d’arrêter les chars et les véhicules blindés russes… Je pense que cela donne, non seulement de bonnes possibilités aux soldats ukrainiens, mais envoie également un signal indiquant que les États-Unis sont prêts à les aider, car, nous sommes déterminés à aider nos amis ukrainiens avec de réelles capacités.
Les Etats-Unis sont-ils prêts à fournir d’autres engins ?
J’aimerais également que nous dotions l’Ukraine de plus de capacités de défense aérienne. Je suis préoccupé par les drones russes, les hélicoptères russes. Les « Stringers » sont des armes que nous utilisons, ils tirent bien et on peut les utiliser sans trop d’entraînement. Jusqu’à présent, les États-Unis ont autorisé la Lettonie à fournir ses Stingers.
Mon Général, vous avez évoqué les Stingers, mais ces systèmes ont une portée d’environ 5 km. Et que se passera-t-il, par exemple, avec des missiles ou des bombardiers qui volent à plus haute altitude ?
Vous avez correctement identifié qu’il y a une menace de missiles russes, d’hélicoptères, de drones et autres. Mais les systèmes nécessaires pour abattre les missiles et les avions à haute altitude et à grande vitesse sont des systèmes très complexes qui nécessitent des mois de formation. Ce n’est donc pas quelque chose que vous pouvez simplement transmettre comme les Stinger ou Javelyn. Cela demande beaucoup plus de préparation. J’ai toujours été impressionné par les soldats ukrainiens, par la rapidité avec laquelle ils apprennent. Et donc, nous ne parlons pas de savoir s’ils sont capables de s’adapter à des équipements complexes, bien sûr. Que ce soit des Ukrainiens, des Britanniques ou des Allemands, c’est une réalité qu’il faudrait des mois pour apprendre à utiliser correctement le système Patriot ou des équipements similaires. Vous devez avoir un radar, plusieurs radars. Ce n’est pas seulement un missile qui abat un autre missile.
– Les États-Unis et l’Otan répondent à chaque fois aux ultimatums de la Russie en lui adressant des réponses. Selon vous, la Russie avait-elle besoin de présenter de tels ultimatums ?
Bien sûr, pour les États-Unis et nos amis, la diplomatie est la voie que nous privilégions. Mais la diplomatie doit être appuyée par la menace de sanctions. Elle doit être appuyée par une forte capacité militaire. Pour que l’État réussisse, nous devons garder tous nos alliés ensemble. Ce ne sont pas seulement les États-Unis, mais aussi tous les autres. Les exigences du Kremlin étaient non seulement scandaleuses, mais ridicules. Je pense que le Kremlin savait que nous allions dire non. Ils l’ont fait, tout d’abord, afin d’affirmer leur position extrême pour entamer des négociations.
-Je suis maintenant convaincu que nos diplomates continueront à travailler en coordination avec les diplomates ukrainiens et les autres Européens pour essayer de trouver une solution qui protège et respecte la souveraineté de l’Ukraine, et protège et respecte également les valeurs européennes et les frontières européennes, et qui, espérons-le, contribuera à éviter les conflits.
Pourquoi les Russes accusent-ils les Américains et l’Occident en général de toute cette tension actuelle ?
Je ne crois rien de ce qui vient du ministère russe des Affaires étrangères. Bild et de nombreux autres journaux ont publié des cartes (de l’Ukraine – éd.) montrant des flèches venant de toutes les directions. Et parmi ceux qui y prêtent attention, il y a plus de gens que jamais auparavant qui comprennent la géographie ukrainienne. Nous sommes tous intéressés par ce qui se passe en Ukraine, et c’est bien. Le point clé est que ce pays doit continuer à faire tout ce qu’elle fait pour que ses soldats soient prêts, sa population soit prête à défendre les cyber-réseaux ukrainiens, soit prête au sabotage, et que le littoral et les grands ports maritimes comme Odessa soient protégés.
Sources : lexpress.fr, ukrinform.fr avec afriquematin.net