Nazaire Kadia (analyste politique)
La passe d’armes entre la France et le Mali est loin, mais bien loin de prendre fin. Les déclarations tous azimuts des officiels français sur le dossier malien, depuis la prise de pouvoir du colonel Assimi Goïta, montrent de toute évidence que la sérénité n’est plus de mise du côté de Paris. Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient ou devraient être. Paris se rend compte que lentement mais sûrement, la situation lui glisse entre les mains et si rien n’est fait, elle risque de lui échapper.
De ce fait, les officiels français, dans une agression verbale que rien ne justifie, ne manquent aucune occasion pour assener leurs vérités, et mettre en exergue selon eux, le caractère illégitime du pouvoir de Bamako ; cela avec une discourtoisie qui frise l’irrespect.
On peut comprendre que l’accession au pouvoir, autre que par les urnes est condamnable. Mais revient-il aux officiels français de conférer une légitimité à un pouvoir ? Au demeurant, de quelle légitimité jouissait le président intérimaire du Mali M. Dioncounda Traoré, lorsqu’il fit appel à la France pour intervenir au Mali en 2012 ?
Le peuple malien, seul détenteur de la légitimité sur son territoire, a démontré si besoin en était, qu’il est en phase avec le pouvoir en place actuellement à Bamako. Alors la sagesse aurait voulu que Paris intègre cette donne et agit en conséquence. Il suffira d’accompagner le pouvoir pour réussir la transition, recouvrer l’entièreté du territoire malien, surtout les zones aux mains des terroristes-djihadistes et des rebelles Touaregs. Paris devra aussi abandonner son vieux projet de création de l’Etat de l’Azawad, dont la promesse a été faite aux Touaregs. Espérons que bientôt, on ne parlera pas de génocide dans l’Azawad, comme on en a entendu parler au Darfour et qui s’est estompée dès que la scission du Soudan fut devenue une réalité !
Mais avec du recul, on peut se rendre compte que les déclarations à l’emporte-pièce, avec une violence incompréhensible et une volonté manifeste de tourner le pouvoir de Bamako en dérision, sont la manifestation d’un agacement, d’une frustration et la traduction de l’impuissance des autorités françaises face à une situation qu’elles contrôlaient au départ, et qui aujourd’hui est entrain de leur filer entre les mains.
Elles supportent difficilement que le pouvoir de Bamako leur tienne tête et refuse de se faire conduire par la main comme les pouvoirs qui l’avaient précédé.
En outre Bamako a l’outrecuidance de faire appel à des partenaires russes pour porter la concurrence dans cette partie de l’Afrique, quasiment propriété privée de Paris. Quel péché de lèse-majesté !
On peut comprendre l’état-d’âme et les ressentiments des dirigeants français, mais ils doivent eux aussi comprendre que « le temps qui était le temps, n’est plus le temps qui est le temps… ». Les temps ont changé, les mentalités ont évolué, les générations ne sont plus les mêmes. Alors, vouloir appliquer des schémas éculés qu’on a usité depuis des décennies, et dont le modus operandi est connu de tous, est une erreur grossière.
Après avoir tenté de faire du chantage au pouvoir malien, en menaçant de retirer du pays, les troupes françaises, dans le secret espoir que la peur des djihadistes ferait revenir Bamako en de meilleurs sentiments, Paris eut la surprise de constater que cette option, non seulement ne fit pas peur au pouvoir malien, mais est vivement souhaitée par celui-ci.
Aujourd’hui, le peuple malien à travers ce pouvoir, fut-il militaire, entend prendre sa destinée en main, et non laisser un quelconque état la tracer pour lui. Le rapport du cheval et du cavalier a vécu et cela devra être intériorisé par tous ceux qui veulent commercer avec le Mali.
C’est avec amusement que nous avons lu l’interview accordée au Journal Du Dimanche (JDD) par M. Yves le Drian, ministre français des Affaires Etrangères ; il faut avouer, venant du ministre des Affaires Etrangères, cette interview était…étrange !
Morceaux choisis :
« …Les mercenaires de Wagner ont déjà commencé à piller le Mali mais ne cherchent pas à remplacer la France et les pays européens au Sahel… ».
Plus loin, il ajoute : « …En Centrafrique, ils sont allés faire de la prédation en échangeant la sécurité des autorités contre le droit d’exploiter impunément des ressources minières… ».
Et cerise sur la gâteau : « …Wagner utilise la faiblesse de certains Etats pour s’implanter elle-même, pas pour remplacer les européens, et au-delà pour renforcer l’influence de la Russie en Afrique… ».
Wouaoooo ! A-t-on envie de s’écrier !
N’est-ce pas ce que fait la France dans ses ex-colonies depuis des siècles ?
L’uranium du Niger, le pétrole du Congo, le pétrole du Gabon, les marchés d’Etat de Côte d’Ivoire et d’autres pays francophones raflés sans concurrence, la mainmise sur de nombreux secteurs d’activités stratégiques, voilà autant de hauts faits utiles à rappeler à M. le Drian.
Ces pays africains, n’ont pas eu le choix de la présence française sur leur territoire. Aujourd’hui, la présence russe au Mali et en Centrafrique, relève d’un choix. Et cela est à respecter. Si ce choix s’avère mauvais, Maliens et Centrafricains auront eu le mérite de s’être trompés seuls !
Plusieurs siècles d’exploration, de conquête, de colonisation, de décolonisation, de néo-colonisation, de coopération avec la France sans que les Africains n’aient eu leur mot à dire, doivent prendre fin, si cela n’est pas envisagé dans une perspective de rapport gagnant-gagnant. Qu’on se le tienne pour dit !
Ainsi va l’Afrique.
Et s’il y a eu un soir au Mali, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.